Dracula la suite : j’irai faire la bombe sur ta tombe !

Dracula la suite : j'irai faire la bombe sur ta tombe !

Les adolescentes boutonneuses élevées à la « bit lit » châtrée de « Twilight » n’ont rien à envier à leurs darons qui lisent « Dracula l’Immortel » de Dacre Stoker et Ian Holt. Ces deux escogriffes dégainent le colt du carnaval commercial à la racole de l’œuvre magistrale du parent éloigné, le célèbre et vénérable Bram Stoker auteur sans commune mesure de « Dracula ».

Pour la petite histoire littéraire du roman de genre vampirique, vraisemblablement c’est Goethe le poète des affinités électives qui s’y est collé avant Baudelaire avec « La fiancé de Corinthe » (1797), puis "Le Vampire" de Polidori (1819), la sublime « Carmilla » de Le Fanu (1871) et enfin « Dracula » de Bram Stoker (1897).

Dans la famille Stoker, je voudrais le neveu Diacre qui a reçu la bénédiction de la tribu pour offrir un fiacre lesté d’un pavé de 500 pages. Il s’est accolé pour ses affaires les services de Ian Holt scénariste, qui se définit comme un spécialiste de Dracula. Pour les ignares de ce cher Bram, les auteurs disent avoir pompé sans vergogne dans son œuvre sous couvert de ses notes et ses brouillons pour nous livrer ce bouquin sans âme qui vive. Afin de rendre leur version plausible et si paisible, ils ont utilisé tous les subterfuges techniques dignes des facéties et autres niaiseries incarnées dans « Buffy contre les vampires ».

En 1912, les vainqueurs de Dracula ont pris du ventre et des poils blancs. Ils ne sont pas revenus indemnes de cette épopée et en gardent des séquelles. Le comte Dracula qui s’était carapater dans ses Carpates natales, vingt-cinq ans plus tôt pour échapper au bras vengeur des justiciers assoiffés du sang avait été laissé massacré, à l’état d’un pet de mouche . Hors, il s’avère que des crimes sanglants et mystérieux secouent à nouveau les consciences et la réalité du Quartier Latin à Piccadilly. Delà à imaginer que de l’au-delà tangible, le prince des ténèbres refasse surface…. Tout le monde sur le pont, les papis vont devoir à nouveau affûter leurs armes et se battre avec leurs vieux démons. Tous les ingrédients sont au rendez-vous pour que la soupe prenne un tant soit peu consistance : passages gores / brouillages de pistes / enquête policière, sexe….

Imaginez le drôle de drame, si tous les vampires en exercice réclamaient leur droit à la retraite pour jouir de la vie éternelle en solitude perpétuelle !

A croire aussi que les critères du personnage évoluent plus vite que son ombre charnelle ! Chez Bram, Dracula vivait à l’ère puritaine victorienne, le sexe est uniquement suggéré. Chez Dacre, le sexe monte à crû et il y a même des scènes lesbiennes. Chez Bram, les vampires crament sous les coups de soleil et chez Dacre ils peuvent rayonner au Phébus sans trop que ça devienne craignos. Chez Bram, Mina est à tout jamais marquée de son baptême de sang avec Dracula, alors que chez Dacre elle est guérie, ne vieillit pas et garde un visage et un corps de jeune femme pimpante.

Dacre essaie de raccrocher les wagons à Bram lorsqu’il commence le roman par un courrier de Mina à son fils. Alors que chez Bram, c’est tout le roman qui s’inscrit dans un récit épistolaire où Dracula n’a jamais le droit à la parole.

S’adjoignent de nouveaux personnages…. 500 pages, il faut tenir et gare à la crampe du poignet ! La comtesse Bathory égérie de la littérature à la sauce vampirique et même ce bon vieux Jack ont droit de citer !
« - VIVUS EST, Jack l’Eventreur, c’est Dracula. C’est forcément lui. Seward l’a écrit avec son sang. A qui d’autres pouvait-il faire allusion ? » (page 301) Il y a comme qui dirait une liesse actuelle pour la littérature vampirique et un gros filon pour les éditeurs. Seulement la qualité n’est pas toujours au rendez-vous des sueurs froides. La « bit lit ». Contrairement à ses consonances pour nous autres incultes franchouillards n’a rien de cochon. « Bit » se tire la bourre du prétérit de « bite » qui veut dire mordre en angliche. Stepheny Meyer, la reine mère de ce genre littéraire a marqué les pages avec sa saga autour de « Twiligth » (le crépuscule). Tout se déroule de nos jours dans un bahut banal. Le bal de promo sur fond de rivalités féminines et de contraintes parentales, même que Bella l’héroïne se pique aux canines d’un jeune vampire propre sur lui. Normaaaaaaaaaaaal, il se lave à l’eau de bénitier et est sexy en diable. Il a même des particularités surnaturelles, le changement de couleur de ses prunelles. Les amoureux ne se bécotent pas sur les bancs publics mais vont se conter fleurette dans une clairière ensoleillée. Ils causent, ils n’arrêtent pas de causer. Quatre tomes plus tard et nos jeunes filles au cœur d’artichaut et lectrices hystériques en émoi se demandent si ça va le faire. Sauf que l’auteure est mormone et la morale religieuse, c’est sacré ! Chasteté et abstinence avant le mariage sont les deux mamelles universelles de sa crécelle.

Heureusement, pour relever le défit, deux surprenantes auteures (encore des femmes, et oui et tant mieux !), de la Nouvelle Orléans ont révolutionné le genre. Anne Rice («  Entretien avec un vampire  ») et Poppy Z Brite (« Ames perdues ») écrivent avec leurs tripes des scènes de grandes bouffes pimentées et tirées du pis des veines. Ca pisse le sang et ça sème l’amour des corps repus. Quel régal ! J’adore particulièrement Poppy et son écriture baroque / rock, avec ses personnages duels, androgynes et terriblement féminins qui se gavent de gâteaux au chocolat. Ses éternels ados ne sont pas des gogos débiles. Ils ont du panache et sont très attachants. Retour sur notre continent. Moins connues puisque aussi moins distribuées et souvent boudées par les grands éditeurs, Ambre Dubois (écrivaine et responsable des éditions du Petit Caveau), Nathalie Suteau, Estelle Valls de Gomis et Charlotte Bousquet s’aiguisent le clavier aux canines de leurs vampires préférés.

Vous l’aurez compris et ne vous leurrez pas, dans cette littérature de genre il y a à boire des grands crûs et à manger des mets délicieux. Ne vous laissez pas arnaquer par les chants des sirènes de la renommée qui dressent un écran de fumée et mettent en exergue d’autres auteur(e)s bourré(e)s de talent mais par trop ignoré(e)s. Replongez dans vos classiques, « Dracula « de Bram Stoker, chef d’œuvre assuré ! (A suivre…)

Dracula l’Immortel de Dacre Stoker et Ian Holt, éditions Michel Lafon, 506 pages, octobre 2009, 22,95 euros