Toubib or not toubib, « Docteur à tuer » ?

Toubib or not toubib, « Docteur à tuer » ?

Ex tueur à gages pour la mafia, alias Griffe d’ours est devenu le docteur Peter Brown, interne dans un hôpital gangrené de Manhattan. Quand tout à coup le passé ressurgit. Tout se joue sous le coup de huit heures d’affilées, dans un premier roman d’humour noir décapant, épatant au rythme haletant sous la plume bien inspirée de Josh Bazell. « Docteur à tuer », tout un programme, avec de la sueur et des rires qui s’échinent à vous liquider les pages tellement c’est prenant pour votre sang froid.

D’aucuns ont perçu dans le héros de « Docteur à tuer » un docteur House vu à la télé que j’ignore copieusement, puisque comme vous le savez, je ne suis pas nantie de cet outil de décervelage massif ! Alors franchement, ce héros en blouse blanche, je ne lui ressens pas de lien de parenté avec quiconque et encore moins avec King Kong. D’autant que si l’on sait, que son génie du combat rapproché et son indifférence à la vie qui se calte entre ses pognes accueillantes en font un médecin au sang froid affirmé et blasé avec la camarde en écharde.

« Tant pis si t’es dans la débine / T’avais qu’à êt’dans la mafia / Un coup d’sourdine / Deux sous de combine / Et t’avais ton rata » (Léo Ferré, La mafia)

Josh Bazell est docteur en médecine de l’université de Columbia. Il a écrit son roman génial alors qu’il achevait son internat dans un hôpital tout autre que celui qu’il décrit dans ses pages. Time Magazine l’a sélectionné pour sa sacrée originalité parmi les meilleurs romans de 2009. Même qu’il sera projeté sur les écrans avec Leonardo Di Cappuccino bien serré dans le rôle titre. Si bien que sur sa lancée, ce saignant Josh est sur le point d’achever son second roman. Comme il se doit, la suite des aventures du docteur Brown.

Obama, le célèbre bingo casse la baraque de l’économie de marché sur la tête, a tout compris au système de soins les plus chers ne sont pas toujours les meilleurs, dans son beau pays au panier percé. Ici, c’est comme là-bas si j’y suis. Quand vous rentrez à l’hosto, vous ne savez pas si vous en ressortirez les pieds devants. En plus, du fait troublant qu’on ne peut plus lâcher ce roman d’un paragraphe, Josh Bazell apostrophe ses lectrices et lecteurs par des notes en bas de page, explicatives du mode de vie amerloche. Parmi ses diatribes les plus moches sur les réalités de son beau pays de cocagne à l’hygiène irréprochable comme un billet de mille dollars. « Curieux paradoxe : tout ce qui est bleu dans le bloc opératoire est censé être stérilisé, mais nos pyjamas, qui sont bleus, sont tous passés dans un restaurant de fast-food, au minimum, depuis la dernière fois qu’ils ont été lavés. Que dire ? L’hygiène est une science imparfaite ». (page 188)

Acides les réflexions du héros malgré lui, comme un cacheton de Moxfane qui le déconnecte de la réalité lorsqu’il travaille le corps sensible dans une salle d’opération, d’un mafieux qui l’a démasqué. Il doit, même s’il lui en coûte cher, le tenir en vie. S’il ne veut pas se sentir cafeté pour revenir à la case départ, et être soustrait du programme fédéral des témoins encombrants : les repentants.

Dans ses basques, vous voyagerez à l’œil à Auschwitz et savourerez l’humour syndicaliste de solidarité avec toute l’humanité d’un Lech Walesa au mieux de sa forme pour épater la galerie et son ami le pape : « En fait, j’aimerais moi-même être juif. Parce que je serais beaucoup plus riche ». (page 101) Il faut bien que jeunesse trépasse, pas vrai ? Selon la maxime : « Ah la jeunesse. C’est comme l’héroïne qu’on fume au lieu de la sniffer. Elle disparaît si vite qu’on n’arrive pas à croire qu’il faille quand même la payer ». (page 112) Vous n’affranchirez plus jamais votre bonne conduite de la même façon, quand vous apprendrez que pour devenir mafieux, il faut s’affranchir et tuer une première fois pour l’exemple. Vous ne verrez plus du même œil les films de genre. « Délivrance est aux ploucs ce que le Parrain est aux mafieux ». (page 206). A New York, les keufs sont très généreux dans leur accueil gracieux. «  De plus, même à New York, et peu importe qui l’on est, le risque de se faire arrêter est environ cent cinquante fois supérieur à celui de se faire agresser ». (page 228). Ah et puis, il y des requins dans ce bouquin, des vrais qui ont les crocs. «  A l’inverse du requin, par exemple, dont la plupart des espèces commencent à s’entre-tuer dans le ventre de leur mère sitôt sortis de l’œuf. Résultat : leur cerveau n’a pas évolué depuis 60 millions d’années, alors que le nôtre… » (page 35).

Bon, je sais, tout ce que j’écris peut vous paraître un peu décousu. Alors pour articuler le bestiaire du kapo, au mafieux, au toubib allumé en passant par les requins, les molosses, même qu’il y a des nanas qui ne sont pas bégueules et pas plus bêtes que les mecs, il vous suffit de remonter le fil des chapitres. Vous verrez, c’est nickel dans l’articulation et y’a de l’action, du gore, de l’hémoglobine, des sentiments, de l’amitié virile, un air de famille, du sexe et surtout beaucoup du suspens. Enfin ! Tous les ingrédients de la cuisine du thriller à cent à l’heure. C’est tout bon.

Au final, docteur Brown, vous reprendrez bien une blouse blanche ? « Quoi qu’il en soit, on jette un coup d’œil au patient et en étant particulièrement à l’affût des maladies « iatrogènes » (provoquées par le médecin) et « nosocomiales » (contractées à l’hôpital) qui réunies représentent la huitième cause de mortalité aux Etats-Unis. Après, on fout le camp. Parfois, au contraire, quand on fait la tournée matinale du service, aucun patient ne se plaint. Ce qui n’est jamais bon signe ». (page 18)

A la fin du livre, j’en suis même venu à me demander qui de la mafia et des toubibs trucident à gogo, selon des fluides glacials ? Un conseil, offrez ce livre à votre meilleur ennemi en stage de santé à l’hosto. Il ne s’en remettra pas, c’est garanti ! Normaaaaaaaaaaallllllllll c’est bon pour le moral cette littérature qui assène certaines vérités à se choper le virus de lire vivement la suite !

Docteur à tuer de Josh Bazell, traduit de l’anglais par Denyse Beaulieu, éditions Jean-Claude Lattès, 300 pages, mars 2010, 20 euros