Quand l’auteur Jonathan Rabb vous invite au cinoche à Berlin….

Quand l'auteur Jonathan Rabb vous invite au cinoche à Berlin….

Le cinéma enjeu économique et de propagande dans le Berlin de la fin des années 20 en super crise économique sur fond d’épouvantail du national socialisme qui agitait son poitrail ! C’est dans ce contexte survolté que Nilolaï Hoffner inspecteur de la police criminelle doit enquêter sur la mort d’un grand ponte des studios de la UFA. Intrigue alléchante et surprenante, quand le flic intègre fait acte de compagnonnage avec le prince de la pègre berlinoise et le metteur en scène Fritz Lang ! Bien balancé, on ne se lasse pas de la prose de Jonathan Rabb, un auteur vraiment talentueux en diable !

L’inspecteur Nikolaï Hoffner de la Kripo (police criminelle) à Berlin avait sa place dans la collection « Grands détectives » aux éditions 10 / 18. Et plus encore son jeune auteur, Jonahtan Rabb new yorkais, rien moins que l’auteur de quatre romans. Ayant un grand faible avec tout ce qui traite dans le fond la culture et l’histoire berlinoise, Jonathan en connaît un sacré rayon de la République de Weimar ! L’assommoir de tous les espoirs serti par une sociale démocratie qui fournit au pouvoir le ministère du président de Prusse presque sans discontinué entre 1919 et 1932, jusqu’à l’avènement d’un étranger au sol national, un certain nabot peintre autrichien raté.

Le récit se situe en février 1927. Un cadre de la UFA (les plus grands studios de cinéma en Europe) baigne moribond dans sa baignoire. Excès de propreté ou sa société a-t-elle fait le ménage concernant une personnalité encombrante ? Hoffner, le super flic devra conclure. Rien n’est simple, la maîtresse du clamsé s’est fait la mâle et une mystérieuse amerloche au charme abouti, une certaine Helen Coyle n’est pas indifférente aux faits. L’inspecteur quant à lui ; n’est pas du tout insensible à la belle et en fera les frais. Il va s’adjoindre deux acolytes pas vraiment policés. Alby Pimm le boss du plus puissant syndicat du crime berlinois et l’étoile montante du cinéma allemand, Fritz Lang qui rêve d’exporter son art par delà l’Atlantique.

Weimar en réplique, décadente à souhait pour les nantis et crève la gueule mange ta main pour demain, importait d’autres mœurs d’attouchement rapproché : « C’était la nouvelle tendance. Outre la démocratie et la prospérité, la danse nue et la cocaïne, Weimar avait apporté la poignée de main. » (page 26) D’autres formes d’expression fleurissent sur les murs : « Vogt conduisit Hoffner à la porte et quelques minutes plus tard, ils étaient à l’extérieur de l’immeuble, dans une ruelle plutôt large. JUIFS DEHORS ! - les mots étaient tracés à la peinture blanche sur le mur de brique ». (page 146). En effet, un parti monte en l’air sa puissance au nom d’un national-socialisme de circonstance : « National-socialiste, c’est le nom de notre parti. Il nous arrive d’employer d’anciens membres des Corps francs* mais seulement pour montrer notre force. Aujourd’hui, c’est un parti pour intellectuels ». (page 192) * (Ces mêmes Corps francs, militaires en goguette survivant de la grande boucherie de 14 / 18 prêtèrent main forte à la sociale démocratie pour mâter les mouvements sociaux insurrectionnels en Bavière et à Berlin). Sur fond de refrain revanchard contre l’infamant Traité de Versailles, certaines consciences nationales réveillèrent l’oriflamme : « Monsieur l’inspecteur principal, je vais vous dire : l’Allemagne d’abord, c’est le slogan de ces nationaux-socialistes, et je leur donne raison. Le Traité de Versailles permet aux Anglais, aux Français et aux Américains de se préparer à terminer le travail dès qu’ils s’estimeront prêts ». (page 465)

Le cinéma vaste entreprise en pleine expansion est aussi l’un des héros de ce roman envoûtant. L’espionnage économique pour se procurer la nouvelle technologie qui va révolutionner les grands écrans en lui apposant le son, les ricains et les allemands rivalisent sur ce terrain. Un affreux jojo Goebbels apparaît aussi, non pas seulement hélas comme figurant inconséquent, mais comme propagandiste qui comprend le rôle du cinéma pour manipuler les foules, même si l’arme fatale qui rentrera dans tous les foyers allemands sera la radio !

Le contexte politique et social est admirablement posé, les antagonismes entre les différents courants de pensée en rigueur composent sans défection. Dans cette atmosphère délétère, Hoffner se rappelle au bon souvenir de son époque et ses deux fils rameutent un petit air baroque à lui casser la baraque. Jonathan Rabb écrit touffu et fouille son sujet. Aucune bribe d’images ne raille la pelloche, c’est du bel ouvrage ! L’incongruité des alliances entre certains personnages principaux relève encore d’un cran notre étonnement. En plus du plaisir de lire de fond en comble cette intrigue soutenue, on y apprend sur le cinéma et ses ramifications avec les forces politiques montantes en présence. Il décrypte parfaitement cette période troublée et les enjeux qui se jouent déjà en coulisse. J’ai grand hâte que les éditions 10 / 18 éditent « Rosa », un autre roman de Rabb pour me régaler autant qu’avec « L’homme intérieur » au titre pourtant énigmatique qui abat les masques dans les derniers chapitres de ce roman fascinant.

Il permet aussi de mettre en regard notre époques avec la République de Weimar et ses points de similitudes entre la montée prégnante du nationalisme et la crise sociale et les risque de l’avènement d’une sociale démocratie matinée d’un écologisme opportuniste et autoritaire. En espérant que l’histoire ne se répète pas : il leur faudrait une bonne guerre !

C’est tellement rare un roman qui donne à réfléchir en version originale littéraire, surtout quand son auteur n’est pas issu du sérail berlinois. Il a le recul avec son objet très documenté, et son art de la littérature n’en est que plus docte et franc.

L’homme intérieur, Jonathan Rabb, éditions 10 /18, collection Grands Détectives, janvier 2010, 474 page, 8, 90 euros