Wendy Delorme et sa pomme hors norme !

 Wendy Delorme et sa pomme hors norme !

Par son « Insurrection ! en territoire sexuel », Wendy Delorme avec ses vingt textes de fictions politiques bouscule les genres textuels et sexuels. Elle écrit avec sa chair à vif. Enervée, insurgée et militante lesbienne elle nous jette à la face son militantisme sensuel. Au lieu de lever le poing avec le troupeau des femelles soumises, elle le fourre dans le con de ses frangines et demande qu’on lui rende la pareille. Ses combats contre la domination masculine sont des manifestes politiques crûs et jouissifs.

Quand j’ai débuté la lecture de « Insurrection ! en territoire sexuel », je n’ai pu m’extraire de l’escarcelle ce vers sévère de Léo Ferré : « Que m’importe Jean Genet que tu bandes » ! Hard corps la panoplie maso de la belle pour aller draguer une copine et souffrir le martyre en pire, j’expire ! Avec ses orteils : « petits rôtis ligotés » / (page 14) et son oppression respiratoire « tu te sens tenue, menton levé côtes soulevées pour éviter la douleur de l’armature qui presse ta cage thoracique et te donne l’allure d’une proue de bateau ». (page 15) En plus de cette imposture, tu dois affronter les mecs qui croient que tu es parée pour leur plaire et tu as la consistance que «  le monde va sombrer dans le grand chaos punitif de l’espèce masculine ». (page 17) Résultat de vos manigances : « Vous avez toutes les deux mal aux seins aujourd’hui. Toi tu les fais pigeonner, elle pour les faire disparaître ». (page 19) Comme si pour se croire « Une Fem-me » (premier chapitre), les frangines se devaient d’être prises au piège de la féminité !

C’est vrai que Genet était militant de la cause des minorités (sexuelles, radicales, ethniques….). Il écrivait comme il vivait en fourrageant la poétique véridique. Wendy lui emboîte le flan beau avec ses maux bien à elle, avec ses tripes qu’elle fripe entre des mains amies et ses mots culbutés qu’elle jette à la déconfiture des hypocrites culs serrés. Elle brandit son irrespect radical et festif contre la domination masculine. Elle fulmine sa rage et son combat.

Son parcours atypique ravit la chique. Versus pile : prof de Sciences de l’Information et de la Communication à l’université / Versus face non cachée : auteure, performeuse dans des pornos queer et indépendants, militante lesbienne, comédienne burlesque… elle force sur les genres. Dans les tableaux de ses expositions entre les lignes, elle surligne les fems, butchs, filles pirates, bad-boys, riot girls, pédales en cavales, trans… jusqu’à ses potentialités avortées de parentalité dans « Bébé Camp » et son manque de peau. «  La troisième fois hier après-midi, place de la République, sous le soleil de midi, quand Andy t’a dit : J’ai un souci, je ne pourrai pas te faire de bébé, je suis séropo ». (page 40) Ce « Bébé Camp » qui aurait été élevé au sein du collectif matriciel et fusionnel : « Il fallait faire un Bébé Camp parce que vous vouliez « jouir plutôt que reproduire », parce que « l’IVG est un droit, le Vatican n’y touchera pas », parce que « Nous sommes toutes des salopes avortées », parce que « Cathos, fachos, machos, vous nous casser l’clito » » (page 42). Les slogans entre guillemets étaient scandés lors des manifs de rue par les militant(e)s des associations et réseaux de lutte contre le sexisme, l’homophobie, la transphobie… dont Wendy fut une militante active.

Dans une interview, Wendy parle de « fictions politiques » à propos de cet ouvrage. Elle écrit à la première et la seconde personne du singulier, comme pour nous secouer le cocotier à vouloir s’identifier à elle. Pari pas facile à tenir pour un public crucifié à ses oeillères et aux jeux de rôle que la société veut nous faire jouer pour réaliser l’idéal familial. Elle en rit comme un chacal végétarien. Ce qu’elle adore le plus à vivre dans sa prose crûe, c’est son « Eloge de la main ». C’est son cri militant pour prouver que les femmes qui s’aiment peuvent se passer de la ridicule virgule du mâle (« ce bout de viande qu’il a entre les jambes et qui lui tient lieu de cerveau », page 130) qui veut ponctuer la jouissance des femmes. Les frangines à la peau moite se foutent joyeusement sans eux au creux des pognes qui voyagent à rebrousse poil de leur peau intime. La veuve poignet n’est plus le seul réservoir des godes aux quatre points cardinaux des plaisirs extrêmes. « C’est moi qui décide mais c’est mieux si je ne le sais pas. Tu es une main de chair dans un gant de latex, pas Richelieu ». (page 75)

Son combat pour libérer les mots de la déliquescence des sens, de cette action de châtrer le verbe baiser, de pasticher nos humeurs dans des bocaux et encenser la censure au nom de la morale apprise au catéchisme du prisme réducteur de la sexualité mort-née et commerciale, Wendy tire sur l’ambulance de nos impuissances. « Tu ne jouis pas, tu as du plaisir. Tu ne me baises pas, tu me fais l’amour. Tu ne m’encules pas, tu me prends par derrière. Tu n’éjacules pas, tu jaillis ou tu coules. Tu ne mets pas ton poing dans ma chatte, tu pratiques le fisting. Tu ne parles pas cul au téléphone, tu t’adonnes au dirty talking. Comme si tu avais besoin d’euphémiser ou d’anoblir, mais tu sais que le langage châtié châtre la portée des actes ». (page 163)

Sa verve me fait aussi penser à une Virginie Despentes et sa « King Kong Théorie » (Le livre de Poche, 2006). Car nous aussi du côté simiesque nous avons aussi nos tarés couillus ! En pente douce sur « La Voie Humide » de son acolyte Coralie Trinh Thi (autobiographie, 2007) qui publie elle aussi comme Wendy, Au Diable Vauvert, un mec bien sympa qui se dégage de ses attributs en lisant un bouquin. « Thank you Satan », comme aurait dit Léo Ferré.

Il y a cette fable très réussie de la visitation du mythe de « La Pomme », avec Eve qui nous donne sa version de la création. Elle défend sa pomme en proposant que l’on peut se passer des poux du Grand Barbichu pour l’érection du monde et que Adam est tout à fait incompétent. «  C’est que j’avais deviné depuis longtemps sa supercherie. Dieu n’existe pas. Je n’avais pas prévu de Dieu moi, dans l’histoire de l’humanité. Une force créatrice du nom de Eve servirait éventuellement de divinité aux âmes faibles et perdues qui auraient besoin de vouer un culte à quelque chose ; alors autant que ce quelque chose soit moi, leur créatrice. Mais Adam n’en a fait qu’à sa tête, comme toujours ». (page 156)

Etat des troubles avec son double, elle déboule une écriture directe sans boursouflure au bromure et donne accès à son humour tendre, l’autodérision salutaire et vibrante qui souille par la violence des propos la sexualité de vos mamans et papas. Irrévérence garantie et appel des elles à l’Insurrection et à la sexualité librement consentie, jouissive et libertaire radicale pour sortir le con du bocal et se passer des queues animales. Et merde définitive aux mythes et termites du prince charmant bling bling. « On ne voudra pas comprendre que tu n’es pas flattée, que tu ne veux pas être leur belle, que les princesses c’est l’aliénation sur un lit de roses dans un sommeil d’attente pendant cent ans. D’ailleurs tu ne veux pas de prince, tu ne l’attends pas, tu ne trouves pas charmant les princes » (page 172)

Vous reprendrez bien un quartier de pomme avec Wendy Delorme ? Bien volontiers et à ta santé ma belle !

Wendy Delorme, Insurrections ! en territoire sexuel, éditions Au Diable Vauvert, février 2009, 176 page, 15 euros