L’éthique en toc des éditions Baleine

L'éthique en toc des éditions Baleine

À la belle époque, les éditions Baleine ont publié la fine fleur des auteurs cocos, gauchos ou anarchos. En publiant un livre de François Brigneau, l’un des fondateurs du Front national, Baleine provoque la colère de Didier Daeninckx, auteur de trois Poulpe et inlassable chasseur de fachos.

Même si elles ne se résument pas à la collection Le Pouple, les éditions Baleine sont surtout renommées grâce aux aventures de Gabriel Lecouvreur (dit Le Poulpe à cause de ses longs bras), enquêteur libertaire hors normes, amateur de bonnes bières, habitué du salon de coiffure (surtout du lit) de Chéryl et du restaurant Le Pied de Porc à la Sainte-Scolasse, envoûté par la restauration d’un vieux Polikarpov (avion russe qui s’est illustré pendant la Guerre d’Espagne) qui a eu 40 ans en 2000.

La Bible imaginée par Jean-Bernard Pouy a été adoptée par de nombreux auteurs célèbres ou non qui ont fait du Poulpe l’un des personnages récurrents les plus militants. Après l’œuvre du « père » qui a sorti La Petite écuyère a cafté en 1995, une belle série d’écrivains a aligné pas mal de jeux de mots tordus en guise de titres. Au hasard, citons Patrick Raynald (Arrêtez le carrelage), Didier Daeninckx (Nazis dans le métro, La Route du Rom et Éthique en toc), Noël Simsolo (Un Travelo nommé désir), Jean-Jacques Reboux (La Cerise sur le gâteux), Gérard Delteil (Chili incarné), Roger Martin (Le GAL, l’égout), Roger Dadoun (Allah recherche d’autan perdu), Romain Goupil (Lundi, c’est sodomie), Jacques Vallet (L’Amour tarde à Dijon), Cesare Battisti (J’aurai ta Pau)… Chaque épisode était une belle occasion pour casser du notable, du flic, du facho, du pourri en tout genre.

En éditant subitement François Brigneau, Baleine semble changer son fusil d’épaule. Né en 1919, Brigneau, de son vrai nom Emmanuel Allot, grand admirateur de Robert Brasillach, s’était engagé dans la Milice au lendemain du débarquement allié en Normandie. Il fut condamné pour collaboration et emprisonné. Soutien de Tixier-Vignancourt en 1965, il passera ensuite par Ordre nouveau et par le Front national (dont il fut le co-fondateur et vice-président en 1972 et 1973). Dans les années 80 et 90, il a collaboré à National Hebdo avant d’être l’un des fondateurs de Présent. Il a été plusieurs fois condamné pour antisémitisme et ce n’est pas sa brouille avec Jean-Marie Le Pen qui nous le rendra sympathique. Sans aller plus loin dans les « détails », nous comprenons que Baleine a tourné le dos à l’enquêteur libertaire qui avait prit les traits de Jean-Pierre Darroussin au cinéma.

Tout ça fait naturellement bouillir le sang de Didier Daeninckx. L’auteur de Meurtres pour mémoire ne rigole pas avec les pages sombres de l’Histoire. Depuis longtemps, il se bat vigoureusement contre l’oubli et le révisionnisme. Le 16 février, dans une lettre ouverte aux éditions Baleine, il explique. « Dans la famille, il y a un oncle dont le nom figure sur des plaques émaillées, dans une rue de Dugny. Résistant déporté suite à dénonciation des potes politiques du milicien François Brigneau. Mort dans un camp. Son histoire a forgé pour partie la manière dont je regarde le monde et m’a rendu intransigeant sur certains "détails" du siècle passé. J’ai publié à Baleine, maison qui s’est construite sur une prise de parole antifasciste. Je me suis battu quand Serge Quadruppani, qui faisait équipe avec Hervé Delouche, y a introduit un de ses affidés, Gilles Dauvé alias Jean Barrot, l’un des concepteurs du négationnisme d’ultra-gauche. J’ai consacré dix ans de ma vie à mettre à plat les menées de ces gens, et hormis le temps prélevé à mes amis et aux miens, cela a eu des effets considérables sur mon travail d’écrivain. J’ai la conscience de quelqu’un qui a fait tout simplement ce qu’il devait. Ce n’est pas pour accepter de figurer dans une décharge, ce que sont à mes yeux devenues les éditions Baleine après avoir mis l’ex-milicien Brigneau à leur catalogue, sans avoir le courage d’assumer la biographie d’ultra-droite de leur nouvelle recrue. Je rompt donc à ce jour toute relation avec les éditions Baleine. »

Daeninckx devait écrire un nouveau Poulpe. « L’encre en restera dans le stylo », assurait-il avant de lancer, le 17 février, un appel pour le droit de retrait des auteurs trahis par Baleine. Rejoint par Patrick Raynal, Roger Martin, Sylvie Rouch, Lionel Makowski, Gérard Streiff, Maud Tabachnik, Chantal Montellier, Gilles Vidal, Sébastien Doubinsky, Romain Slocombe, autres « poulpistes », Didier Daeninckx revient utilement sur la genèse. « Les éditions Baleine sont nées en 1995 avec la création du personnage du « Poulpe » défini comme un enquêteur « libertaire et antifasciste ». Ce personnage est sorti des livres pour devenir un véritable protagoniste des luttes contre le Front National, pour les sans-droits, les sans-papiers. Quinze ans plus tard, par la seule volonté de son directeur et contre l’avis de ses auteurs, les éditions Baleine ont décidé de mettre à leur catalogue un livre de 1949, Faut toutes les buter, dont l’oubli avait sanctionné le racisme et la médiocrité. Il est signé de François Brigneau, l’un des créateurs du Front National, également auteur de Si Mussolini m’était conté, de Xavier Vallat et la Question juive, et d’une apologie au titre faussement interrogatif : Mais qui est donc le professeur Faurisson ?. Compte tenu de son histoire, cet ex-Milicien souvent condamné pour antisémitisme n’avait pas sa place aux éditions Baleine, compte également tenu de leur histoire. »

En conséquence, tous ces auteurs demandent le retrait immédiat de leur nom et de leurs œuvres du catalogue des éditions Baleine. Ce qui est le minimum. L’éthique en toc de Baleine a flingué le Poulpe. Les amateurs de polar anar sont en deuil.

Source La revue des Ressources.Org