Zornhof, à l’Est d’Eden

Zornhof, à l'Est d'Eden

L’Ogre Oberlé arpente ses souvenirs et passe par la Lorraine la hotte emplie de réminiscences, de parfums perdus, l’imaginaire peuplé de personnages attachants et fantasques.
Gérard Oberlé chausse ses bottes de sept lieues pour nous narrer le récit initiatique d’Henri Schott, homme sans père et sans reproche qui a laissé son cœur à l’Est de ses habitudes, et qui retrouve sa direction en un Voyage d’hiver plein de surprises et d’émotions en chaînes. Beau et fort comme la ligne bleue des Vosges.

Schott écrivain, à l’esprit compliqué comme ses semblables de plume, apparaît de suite comme un frère, un double, un avatar de Gérard Oberlé lui-même. Même si les identités sont brouillées, même si les acteurs du drame ont des masques de la Commedia Delle Arte, il est des situations et des transhumances de l’esprit qui ne peuvent être feintes ou simplement inventées.

Tout se mélange entre réalité et fiction en une délicieuse rêverie, bercée par Schubert et l’empreinte imaginaire des histoires ancestrales du plateau Lorrain qui n’ont rien à envier aux contes des forêts bretonnes ou d’ailleurs.
Le narrateur, personnage aussi érudit qu’insoumis se déshabille au fur et à mesure des pages, il nous montre son âme « charbonneuse », nous laisse nous enfouir au plus profond de son intimité et de ses odeurs particulières. Chacune de ses rencontres du hasard est une récréation ; Marlène, Gus, Baba et les autres ont dans les yeux la force et l’absolu dont se nourrit notre guide, et nous par la même occasion.
Véritable don de soi, voyage intérieur iconoclaste, à la fois drôle, charmant et douloureux, Oberlé rend ici hommage aux paysages et aux êtres qui ont construit ce qu’il est aujourd’hui.

Travail sur la mémoire, voici les rêveries d’un promeneur solitaire qui marquent à jamais en Littérature l’apport d’un pays et d’une région, « Retour à Zornhof » est un chant grégaire en un temps qui menace de finir. Un recueil de mots choisis, pesés, franco-germaniques, un livre où la poésie rend ses grâces à Baudelaire, Virgile, Verlaine et Hölderlin.

Ce « Retour à Zornhof » qui offre autant de beauté, de pittoresque et de dépaysement que Ushuaia est le carrefour de toutes les fuites, le centre du monde, la clef de voûte de la construction intérieur de ce héros sans âge qui foule de ses deux pieds en un ultime pèlerinage la terre de son enfance.
Zornhof petit bourg vosgien est un lieu perdu épargné par le marasme et la dépression économique de toute une région sinistrée. Un lieu qui n’est pas secoué par le temps perdu, un Eden.

Avec ce retour au pays lorrain, Oberlé nous écrit sans doute son plus beau livre, rédigé en moins d’un an entre Alep en Syrie et le fameux Manoir du Pron, lieu de résidence mythique de ce dinosaure des Lettres, il inscrit dans la pierre vivace de notre mémoire collective quelques unes des plus belles jamais pensées sur cette région mal connue qui fait rêver ou frémir. Merci pour la Ballade mon cher Gérard, globe-trotter impénitent des Lettres françaises… et mondiales.

« Je préfère les livres qui se vendent mal aux auteurs qui se prostituent » lit-on au début de cette autofiction, gageons que cet ouvrage-là fera exception à la règle et se vendra à tour de bras, avec la qualité qui est la sienne, être le lieu d’un profond humanisme, le berceau d’une écriture foisonnante, belle et réjouissante.

Sortie le 31 Aout 2004.

Retour à Zornhof, Gérard Oberlé, Grasset, 250 pages, 17 euros

Retour à Zornhof, Gérard Oberlé, Grasset, 250 pages, 17 euros