Immortel et clone touriste : « Mathusalem et Cie »

Immortel et clone touriste : « Mathusalem et Cie »

Suivez Eugène Galton journaliste, qui a de la suite dans les idées et a décidé de ne jamais mourir et se reproduire sous la forme d’un clone. Ainsi prémuni de tous les bobos de la terre, il peut déclarer sa fougue à la vie : lui malade, jamais plus ! Adieu méchants virus et autres saloperies… Sauf qui peut la vie n’est pas un roman et il va devoir boire ses déboires sur un ton trop plein d’entrain porté par Jacques Girardon qui signe son premier roman tout à fait épatant.

Ce livre me rappelle en quelque sorte le film « Immortel » mi réel des personnages en chair et des vrais / faux dessinés et mis en scène par Enki BilaI à l’écran où en cas de pépin d’un organe, on vous greffe un nouveau à partir d’un de votre clone.
Il suffit parfois d’un simple éternuement, de lire attentivement une boite de médicaments et de quelques soupçons en forme de questions existentielles pour qu’Eugène Galton, journaliste de son état, bascule de sa vie banale et se projette dans la vie éternelle lors d’un voyage au bout de la nuit dont on ne départit pas !

A force de travailler du chapeau cette idée saugrenue de se survivre à lui-même de parer à tous les croche-pattes de l’existence tel « Un danger qui d’ailleurs nous guette tous : le cancer ne résulte-il pas de la santé excessive de certaines cellules qui nous tuent faute de mourir ? » (page 21). Quitte à tromper le serment d’Hypocrite, Eugène sans gène se retrouve propulsé journaliste médical et interviewer d’une sommité de la quéquette en la personne du célèbre professeur Larochemigene, gynécologue. La scène hilarante dans la salle d’attente au milieu des gorgones qui lui dégoupillent les gonades au figuré pour l’extraire du domaine féminin, dont il n’a rien à y fiche ni avec les mains ni encore moins avec les pieds, comme dans une chanson qui fait mâle à Johnny par Boris Vian, il s’en tire entre deux eaux. « Je ne nie pas l’intérêt du sujet,
mais le ton monotone du professeur ajouté à la fatigue due aux émotions de la matinée m’entraînait peu à peu dans une somnolence dont je ne sortis en sursautant que lorsqu’il me demanda d’un air fâché : - Vous n’avez pas pris de notes ? » (page 49).

Avec sa compagne Ninon, c’est plus que ni oui ni non / non. Même avec ses ami(e)s lors des débats entre « la fécondation in dodo » et la fécondation in vitro dont Eugène est un fervent partisan, ça chaloupe des gros yeux hagards à son égard. Et dans ses réflexions à lui-même tout seul, c’est le grain de riz qui fait déborder son esprit : « Un nombre élevé de gênes n’exprime d’ailleurs pas une quelconque supériorité, puisqu’un grain de riz en a plus qu’un diplômé de Haward ». (page 75).

L’auteur Jacques Girardon s’est bien amuser à écrire ce roman, ça se sent. Il a la science qui se diffuse même chez une lectrice ignare dans ce domaine des connaissances. Il a de qui tenir le bougre, en tant qu’ancien rédacteur en chef de Sciences et Avenir. Même si parfois, on a l’impression qu’il veut trop emplir son entonnoir dans ses pages, j’ai accroché et suivi toutes les démonstrations de son héros, sans avoir recours au dico scientifique. Je me suis régalée au chapitre du petit air de famille entre les singes mes frangins et vous les humanos pas finis. «  Mais un singe génétiquement modifié pour me ressembler comme un frère, au point de se substituer à moi dans certaines circonstances, peut-il encore être considéré seulement comme un animal ? Une telle situation troublerait l’individu le plus équilibré. (…) Les singes eux, nous rappellent quelqu’un, et c’est la raison pour laquelle nous leur faisons subir les traitements les plus sadiques. Comme si notre cruauté exprimait la honte de ce que nous avons été et que nous avons peur d’être encore. (bien dit l’ami !!!!). … Qu’un jour on puisse tomber amoureux de chimpanzés génétiquement modifiés devient envisageable. Des guenons bien roulées pourraient même remplacer systématiquement les prostituées. ». (pages 98 / 99). Ce qui n’est pas très sympa pour bobonne et ma pomme !

L’article d’Eugène «  Les enfants seront immortels » lui accordera des gnons au sens propre. Il dépasse et se surpasse encore, sa décision est prise : « Je crois aujourd’hui que, plus qu’un réel désir d’immortalité ou qu’un instinct de conservation hypertrophié, c’est le sentiment de frustration qui me poussa à prendre la décision de me faire cloner ». (page 127)

Il entreprend alors des recherches qui le poussent entre les bras pas trop délicats d’un savant serbe et bééééééé oui (comme on dit dans mon Médoc !), naît, sauf que, « Malheureusement, il ne s’agissait pas d’un simple bébé inconnu, mais de mon double génétique ». (page 185).

Super, le roman bascule dans la fantaisie science-fictive réactive et sociale, avec l’Eugène passager clandestin à travers l’Europe et un bébé non déclaré au débat sur l’identité nationale. Je passe les péripéties passionnantes et bien réelles des tribulations d’un voyageur iconoclaste ! Dommage en revanche, le happy end tellement convenu du retour à la famille conventionnelle comme pour ne pas froisser la morale en vigueur et que vive le métissage quand même !

Premier roman de Jacques Girardon, avec humour, plume alerte et incarnée, sur un sujet d’actualité brûlante, on s’y colle et on ne décolle pas des pages….

Mathusalem et Cie de Jacques Girardon, éditions le dilettante, 288 pages, janvier 2010