La maternelle à la casse, roulez jeunesse !

La maternelle à la casse, roulez jeunesse !

Etonnant non, me direz-vous comment une bestiole, qui n’a jamais été conviée à aucune école de la République de part son statut de bestiole justement, peut s’intéresser à l’école des tout-petits : la maternelle ? C’est précisément par ce que cette institution me paraissait être encore viable pour un môme désireux de s’épanouir loin des carcans primaires du si peu imaginatif et gratifiant « lire / écrire / compter » ! Joss Berger Tancerel dans le rôle de l’institutrice en retraite discute avec Michel Bergès prof d’université, de l’histoire de la maternelle et de ses aboutissants dans le contexte de la casse des services d’éducation et l’équation du rendement qu’on veut lui faire jouer au nom de l’économie de marché à tout prix ! « Ecole maternelle : cri d’alarme ! », ils en font le constat amer !

Un autre éditeur, le gros dos aux gros sous, a publié un bouquin sur la maternelle par une grande manitou de l’AGIEM (association corpo des enseignant(e)s de mater). Il n’a pas crû bon que son service de presse fasse son boulot et m’envoie son bouquin. C’est dommage, ça aurait été intéressant de comparer les mises en garde sur l’avenir ou la fin de la maternelle.

En revanche les éditions érès basées à Toulouse sont heureux de vous annoncer que « Ecole maternelle : cri d’alarme ! » a reçu le prix 2009 de l’initiative laïque passée, présente par la CASDEN : (banque parallèle de prêts solidaires) / la MAIF (mutuelle assurance) et la MGEN (mutuelle santé), en bref les trois pilliers de la mafia enseignante au premier degré et l’émergence en tendances d’un syndicat qui en découle !

L’originalité majeure de cet ouvrage s’articule sous forme de dialogues très construits entre une simple instit (les prolos de l’éducation) et un prof socio historien de fac (les mandarins cousins de la mandarine dans l’enseignement, jusqu’alors les moins fliqués par le système). Il est très intéressant de constater que l’institutrice est une femme érudite et très cultivée dans son domaine. Même si les références à la terminologie pédagogique peuvent paraître un peu difficiles d’accès pour un public qui n’appartient pas au sérail éducation nationale. Néanmoins, je rassure les futur(e)s lectrices et lecteurs que le sujet intéresse, la lisibilité est ouverte pour peu que l’on ait un minimum de culture dans ce domaine, que l’on soit parent ou non de très jeunes enfants.

Je regrette amèrement que dans le chapitre « Institutions et lois. Evolutions de la prise en charge de la petite enfance en France », seuls les textes de lois et les politicards normés et bornés fassent foi laïque. Ils prennent toute l’importance selon les auteurs. Dommage que les divers courants pédagogiques révolutionnaires et libertaires soient ignorés tout comme les avancées fondamentales de la Commune de Paris ! : « Nous voulons le respect des justes salaires / Et le seuil des écoles / Ouvert à nos enfants / Nos parents ne savaient ni lire et écrire / On les traitait de brutes / Ils acceptaient l’affront / L’Egalité, la vraie, est à qui la désire ». (Jean-Roger Causssimon in La Commune est en lutte, chanson pour le film Le Juge et l’Assassin). Dans cet état d’esprit de résistance, les auteurs omettent aussi les instits « désobéisseurs » de l’éducation.

Autre regret, l’institutrice qui partageait sa classe devant trente bambins ne remet jamais en question ses conditions de travail, que je trouve pour ma part déplorables. D’autant plus qu’elle argumente fort pertinemment à propos des modalités adéquates pour recevoir ou non des enfants de deux ans à l’école maternelle, en comparant les autres modes d’accueil. Tout comme les rythmes insensés des enfants calqués sur celui des parents, esclaves volontaires au travail

salarial et aux transports qui créent pour leur rejeton des journées de plus de 8 heures, qui frisent la déshumanisation des bambins ! Même si elle reconnaît que certaines conditions de maturité sont nécessaires pour qu’un enfant accepte et puisse vivre en communauté avec d’autres enfants dans le cadre d’une éducation populaire.

Les auteurs abordent et comparent les modes de garde des enfants de moins de trois ans en Europe et en France et insistent sur le développement psychologique de l’enfant de deux ans En revanche, jamais n’est abordé un projet de société idéale où l’enfant en bas âge ne serait pas vécu par ses géniteurs comme un fardeau à placer pour la journée à la maternelle de préférence puisque gratuite. Alors que l’enfant pourrait être considéré et respecté comme un être social en devenir, à développer ses potentialités créatrices de joie de vivre dans un monde où le travail salarial de ses parents ne serait plus examiné comme une nécessité vitale, quitte à gagner au minimum sa vie pour la partager au maximum avec ses enfants ! Que l’éducation dès la petite enfance transfuse les données de rentabilité d’un système économique moribond, Xavier Darcos en remet une couche ! Fort heureusement, l’honneur est sauf, l’institutrice relève le gant de cet ex sinistre, (comme aurait dit le regretté Coluche), de l’éducation nationale qui dans un souci de « bonne utilisation des crédits de l’Etat », se demandait s’il était logique de faire « passer des concours à bac + 5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches » !!!!!

L’institutrice lui répond fort pertinemment : « Une autre condition généralement imposée à l’entrée en maternelle est la propreté, entendez par là qu’il soit continent, d’où la réaction de surprise et d’indignation aux propos de Xavier Darcos (…) Non, Monsieur le ministre, la quasi-totalité de mes collègues n’a jamais changé de couche durant toute sa carrière, vous auriez dû le savoir ! » (page 51)

Dans la droite ligne familiale du casse de la petite section, voir ensuite de la moyenne section maternelle, Nadine Morano, secrétaire d’Etat à la famille a proposé dès la rentrée 2009, la création de « jardins d’éveil » à titre expérimental et payant, comme de bien entendu ! Et comme l’acceptation des enfants de deux ans à l’école maternelle n’est pas l’apanage de l’inné ! D’autant moins en terme administratif, puisque : « Les enfants de deux ans ne sont pas comptabilisés par l’administration dans l’effectif de l’école. En d’autres termes, si une école reçoit des demandes pour dix, vingt ou trente enfants de deux ans, l’inspection académique autorise l’école à les prendre en charge mais sans personnel supplémentaire : à la directrice de les répartir sans les classes existantes. J’ai vu fermer une classe dans des écoles qui avaient pourtant une liste d’enfants de 2 ans en attente, mais que l’on ne pouvait comptabiliser dans l’effectif ! » (page 53) Autrement dit du point de vue administratif, les enfants de deux ans sont des fantômes et ne comptent que pour du vent. En revanche pour Nadine Morano, l’enfant de deux ans a une valeur marchande ajoutée et compte pour de l’argent. Sacré système tout de même, à peine désintéressé !

Livre assez complet et abouti à part mes quelques remarques. Je vous le propose bien volontiers à lire et à votre sagace esprit critique, histoire aussi de donner votre avis et vous prononcer haut et fort contre la mort imminente de la petite section à l’école maternelle dans de brefs délais, si les parents, les enseignants, les ATSEM (indispensables dames de service) et leurs partenaires ne se mobilisent pas immédiatement.

Il ne tient qu’à vous toutes et tous, que ce cri d’alarme de Joss Berger Tancerel et Michel Bergès ne reste pas lettre morte !

Ecole maternelle : cri d’alarme ! de Joss Berger Tancerel et Michel Bergès, éditions érès, collection « 1001 BB », octobre 2009, 10 euros