Pourquoi la France aurait intérêt à aider Aristide à rentrer chez lui

Jean-Bertrand Aristide, avec lequel je viens d’avoir une longue conversation téléphonique, m’a confirmé qu’il était prêt à rentrer chez lui. Ceux qui le soutiennent aux USA, parmi lesquels des personnalités comme Randall Robinson, Maxine Waters, Danny Glover, Noam Chomsky, la famille Kennedy et de nombreux élus du Black Caucus, ont affrété un avion qui est prêt à décoller. Cet avion est approvisionné en vivres et en matériel médical. Il fera un crochet par l’Afrique du Sud pour y prendre l’ancien président haïtien qui, contrairement à la propagande entretenue par ceux qui ont organisé le coup d’Etat mené contre lui, est resté la personnalité la plus populaire d’Haïti.

C’est grâce à Jean-Bertrand Aristide que René Préval a été élu. Je suis bien placé pour le savoir puisque c’est moi qui ai annoncé à l’ancien président, en 2005, l’intention qu’avait René Préval de se présenter aux élections et qui ai transmis sa réponse aux amis qui avaient organisé un dîner pour convaincre Préval de se présenter. La France, intoxiquée depuis six ans par la propagande grotesque entretenue par Villepin et ses amis, qui sont encore nombreux dans le personnel diplomatique, n’a aucun intérêt aujourd’hui à s’opposer à ce retour. C’est au contraire le dernier espoir pour Paris, actuellement roulé dans la farine par Obama, de participer à la reconstruction d’Haïti. J’observe l’attitude de la diplomatie française et je n’y vois qu’incohérences dues à l’ignorance et aux préjugés. Le Premier ministre nomme à la va vite pour s’occuper du dossier un Arno Klarsfeld, montrant par là l’intérêt qu’il porte à Haïti et la connaissance qu’il a du dossier. Je n’ai rien contre M. Klarsfeld.

Je comprends très bien qu’occupant des fonctions d’importance nulle au cabinet du Premier ministre, il ait envie de s’occuper et surtout de se faire valoir. Cependant, je le crois plus à sa place à courir les bimbos dans les soirées parisiennes que dans cette mission. Il justifie sa nomination au motif qu’Haïti serait proche de la Martinique... Je l’invite à revoir ses cours de géographie de l’école élémentaire. Je ne parle même pas des cours d’histoire puisque l’histoire des exactions françaises en Haïti n’est pas enseignée et qu’il y aurait des cours de rattrapage à organiser au quai d’Orsay et même à Matignon. Les Américains ont refusé deux fois à l’avion de M. Klarsfeld de se poser, provoquant un incident diplomatique, ensuite démenti. M. Klarsfeld nous explique dans une interview que, lors d’une tentative d’atterrissage, il était à 20 mètres du sol haïtien et qu’il aurait pu sauter... Je ne sais où on lui a enseigné ce genre de prouesses, mais, étant moi-même pilote, je serais curieux de le voir sauter d’un avion en phase d’atterrissage à 20 mètres sol. Je me mets aux commandes et on fait l’essai quand il veut, s’il revient de Port-au-Prince.

Le président Sarkozy a annoncé son intention - après que j’aie émis et transmis ce voeu à son conseiller - de se rendre en Haïti, ce qui est une bonne chose. J’avais vainement formulé pareille demande à maintes reprises, sans attendre la mort de 100 000 Haïtiens. Si le chef de l’Etat français se rend à Port au Prince, de deux choses l’une, ou c’est un triomphe historique ou c’est un fiasco humiliant pour la France. Un fiasco qui pourrait même être physiquement dangereux.

Si M. Sarkozy, conseillé par des irresponsables, veut préparer le voyage avec des Klarsfeld ou des Karam, et se mettre sous la protection des Américains pour assurer sa sécurité, c’est son affaire. Mais Haïti n’est ni la Martinique, ni la Guadeloupe. Je vois mal comment il pourrait bien accueilli si 98 % de la population lui reproche de n’avoir pas dénoncé l’enlèvement par la France, en 2004, d’un président légitimement élu par un large majorité des Haïtiens. Un coup d’Etat qui, je le rappelle a fait autant de victimes que le séisme de 2010. En tout cas, si Titid rentre chez lui, je serai du voyage aux côtés, certainement, de mes amis Danny Glover et Randall Robinson.

Quant à Villepin, plutôt que de donner des avis qu’on ne lui demande pas sur l’opportunité, pour le président de la République française, de se rendre ou non en Haïti, il ferait mieux de s’assurer que la dépêche diplomatique signée par l’ambassadeur de France, Thierry Burkard, indiquant que la soeur du ministre-poète est allée, sur ordre de son frère, au palais national, le 10 décembre 2003 à 15 heures, accompagnée de Régis Debray, menacer de mort le président élu d’un pays souverain, ne se mette pas à circuler.