La grande sauterie au ralenti des "Gens de Dublin " !

La grande sauterie au ralenti des "Gens de Dublin " !

Une réunion de famille entre ami(e)s huppé(e)s d’il y a un siècle à Dublin, à s’y m’éprendre, on se croirait de nos jours lors d’un réveillon de fin d’année sans le succès damné de la télé et des téléphones portables mais avec la frime des apparences et les vieilles filles sèches. C’est d’un triste à pleurer. Et pourtant, ça chante, ça danse, ça poétise, seulement il manque un brin de fantaisie et de vie !
John Huston est épuisé lorsqu’il réalise son dernier film avec des costumes.

The Dead (la mort) d’après la nouvelle de James Joyce, étonnant non, comment ce titre du film est traduit en français par Gens de Dublin, ultime réalisation de John Huston (1906 / 1987), prolixe auteur de pas loin d’un film par an depuis 1941 jusqu’à 1987 !

Dublin, en janvier 1904 sous la neige, les frangines Kate et Julia Morkan flanquées de leur nièce Mary invitent la famille et des proches à fêter l’Epiphanie. Une vingtaine de personnes participent lors de la soirée aux danses, chants, poésies et banquet entre gens de la bonne société qui se veulent cultivés et se confondent pourtant dans la monotonie d’une atmosphère feutrée. Ambiance chaleureuse de tombeau familial où rien de ce qui fleurit les secrets de famille ne doit transparaître au grand jour, si vous voyez le genre.

Certes, les sœurs se méfient du fat Freddy s’il est encore cuit et puisqu’il craint encore sa maman et qu’il n’a pas trouvé chaussure à son pied. Les baise-mains et les sourires convenus effilochent les pulsions vite éteintes. On se repaît de Dieu tout puissant avant de passer à table. L’une se plaint du pape qui n’accorde pas au chœur de Noël la présence des femmes et les remplace par des morveux. On n’entre pas non plus en conflit avec un papi du culte réformé. Les femmes en robes longues se marchent sur les plis et les hommes engoncés dans leur costard

Heureusement qu’il y a Molly qui a une réunion au Liberty Hall pour entendre James Connoly. Une réunion républicaine lui demande-t-on, la peur panique aux lèvres ? Vous y serez la seule femme ! et Molly fière comme l’une des toutes premières militantes de l’IRA répondant : « ce ne sera pas la première fois ».

A part ce semblant de vie au cours du repas, en tant que spectatrice, je m’ennuie ferme. Une bonne partie du film tourne autour des personnages de Gretta Conroy (Angelica Huston, la fille de son père cinéaste, son frère Tony résolvant les difficultés d’écriture du film) et son mari Gabriel (Donald McCann). Ce dernier qui n’a pas beaucoup de conversation nous gratifie d’un discours bidon et ampoulé sur l’hospitalité débordante et chaleureuse à l’irlandaise en ces contrées dans un monde septique troublé par la pensée. Il ne manque plus que le joueur de chasse d’eau qui se mêle les cordeaux avec les cordes de la harpe celtique pour que je me levasse de cette lavasse et quitte séance tenante cette charmante réunion joyeuse et pleine d’esprit à crever.

Mais oui c’est bien sûr, le titre angliche, pardon irish est the Dead, la mort, évidemment. Je suppose que ce bon vieux John Huston n’avait plus la force pour filmer un James Bond qui aurait trop lu la Bible et dansé Au-dessous du volcan avec un Lowry qui aurait navigué un brin en compagnie de Moby Dick ! Vous aurez reconnu parmi ces titres et ces auteurs des œuvres littéraires qui furent adaptées au cinéma par John.

Point d’intrigue, point d’action, narration à l’état de pesanteur rimant avec torpeur. Les quinze dernières minutes sont éloquentes quant au style du réalisateur qui a voulu je suppose rendre un hommage à ses origines irlandaises. Il prendrait la peau de l’écrivain en exil qui revient à ses ancêtres, le joint tout trouvé entre les vivants et les morts. A propos de camarde les doigts en écharde, il y a la dernière scène interminable qui se situe dans la chambre d’hôtel où Gretta confie à son ange Gabriel de mari son lourd secret qu’elle garde depuis son adolescence lui ravager sa cuisine interne.

Sortez vos mouchoirs ! Lors de la soirée, Gabriel a remarqué que Gretta a pleuré en écoutant une veille fille chanter « La fille d’Aughrim ». Cette évocation lui rappelait le temps où elle était en vacances chez sa grand-mère à Galway (une région magnifique avec des gens fantastiques, en passant…. c’est moi qui le rajoute), juste avant son départ pour Dublin et son entrée programmée au couvant (on ne rit pas). La gent demoiselle qui devait être très séduisante adorait entendre chanter un jeune damoiseau de 17 ans, prolétaire à l’usine à gaz. Cette chanson et cette voix charmeuse, elle en éprouvait un léger pincement d’émotion. « Je crois qu’il est mort pour moi » confit-elle à son mari au bord de l’apoplexie, la jalousie lui montant an nez comme un stout éventé.

Il était malade et refusait de sortir de sa chambre. On écrivit à sa famille qu’il dépérissait. Avant son départ, on avait empêché Gretta de le revoir. Elle lui écrivit qu’elle partait à Dublin et entrerait sous les ordres des rapaces curetones, quand on sait les massacres qu’elle perpétrèrent en tortures et exploitations diverses envers des jeunes filles…. Un autre cinoche en a rendu compte ! Il pleuvait très fort et le jeune homme tapa aux carreaux avec des gravillons lancés depuis la rue. Elle descendit. Il ne voulait pas vivre et il est mort une semaine plus tard. Ensuite épuisée par sa tirade elle s’endormit. On a droit alors aux jérémiades intérieures de son mari qui se plaint du rôle qu’il a joué dans sa vie comme s’ils n’avaient jamais vécu maritalement avec cette femme qu’il aime pourtant.

Je m’attendais à ce qu’il se flagelle pour endurer la souffrance de son existence complètement rance ou que James Bond engage des pleureuses à son service… je délire complètement ! James est un sujet de sa majesté la reine d’Angleterre, l’ennemie jurée des Irlandais qui subirent la famine et la condamnation à mourir de faim dans leurs excréments de militants de l’IRA par la Dame de fer. Un tout autre cinoche en a aussi rendu compte très récemment !

Je n’aime pas du tout massacrer un film. Que nenni, franchement ! Les costumes sont bien ficelés, les plans en intérieur suivent à pas lents les protagonistes. John Huston sait filmer toutes sortes de récits, c’est indéniable. Angélica Huston lorsqu’elle libère ses cheveux dans la chambre de l’hôtel et lorsque son père la cadre en gros plan est une femme pas du tout désagréable pour son âge. Donald McCann joue les constipés à merveille. Tout concourt dans les rôles à ce que chacune et chacun tienne sa place. Celles et ceux qui se complaisent dans le complexe de la lenteur et dans une atmosphère éteinte prendront un pied d’acier, quant aux autres passez votre chemin. Je leur conseille de lire ou relire Ulysse de Joyce qui est un roman d’aventure et de voyages très moderne, l’anti-thèse exactement des Gens de Dublin filmé par John Huston.

Surtout ne pas résumer Joyce à cette nouvelle et toujours se méfier des adaptations. Le meilleur exemple s’il en est concerne le monument de la littérature allemande : Berlin Alexander Platz d’Alfred Döblin, médecin des parias et comparé souvent à ce cher Céline, revu et corrigé de façon magistrale par monsieur Fassbinder et distribué par Carlotta Films. Vous me direz 13 épisodes plus un épilogue d’une heure chacun, il y a du contenu et du récit et les personnages autour de Franz Biberkopf ont des tripes et du coffre.

Désolée, en ce qui me concerne, Gens du Dublin, passez votre chemin !

Gens de Dublin de John Huston, avec Angelica Huston, Donald McCann, Helena Carroll, Cathleen Delany / 1987, Etats-Unis – Royaume-Uni, 84 minutes, couleurs, distribué par Carlotta Films, 2009