Fellini peint l’écran en couleur dans l’esprit de Giulietta !

Fellini peint l'écran en couleur dans l'esprit de Giulietta !

Fellini et son univers fantasmagorique qui n’appartient qu’à lui est un peintre des images oniriques, avec comme toile de fond, le personnage de Giulietta des esprits (1965) qui explose l’écran. Une œuvre unique de la frénésie poétique et pour la première fois, il attise le feu de ses images par les couleurs de sa palette parfaite.

Giulietta Masina, compagne à la ville mais aussi à l’écran du maestro Federico Fellini, fut cinq fois appelé en tant qu’actrice lors des années 1950. Le rythme s’amenuisa dans les années 1960 (Juliette des esprits / 1965) avec l’apothéose de sa muse exhaussée aux devants de la retraite des artistes dans Ginger et Fred en 1986.

Etonnante petite femme qui par l’ovale de son visage et son regard savait nous induire dans des mondes parallèles sous le prisme de Fellini. Tout le contraire des créatures charnelles, les obus placés haut pour aguicher les mâles, qu’il adorait dessiner dans ses carnets pour se mettre en appétit de créer un nouveau scénario. Avec Giulietta, c’est comme s’il avait gommé l’attribut féminin qu’il adorait tant montrer et suggérer dans ses images. Avec Giulietta, on déménage de la réalité et on part se perdre aux confins de ses fantasmagories en couleurs.

Ah la couleur ! Justement, elle apparaît pour la première fois dans son œuvre en technicolor. Il froisse les teintes, les mélangent à ses tableaux. Elles débordent de son imaginaire. Il est un expressionniste qui éclate les couleurs criardes à l’écran de sa démesure. Sa toile à lui c’est l’écran de l’histoire de Giulietta.

L’histoire est toute simple. Giulietta bourgeoise entre deux âges vit une existence paisible dans une maison cocon de poupée aisée avec son mari qu’elle aime et deux larbins femelles. Entre les fêtes d’un luxe artificiel, ses amies lui conseillent la luxure pour la détourner de son ennui quotidien aseptisé et banalisé. La visite au mage (personnages de vieille femme incarnée à la voix soupesée) lui tamponne la bonne parole sur fond de frasques indiennes : « L’amour est une religion, ton mari est ton dieu et tu es le sacerdoce du culte. Ton esprit doit se consumer comme cet encens fumer sur l’autel de ton corps en amour. L’amour est un art ».

Pas très convaincue par la bonne parole, elle va élancer ses recherches chez un détective et son équipe psy / technique qui va enfin la convaincre que son mari a une liaison avec un mannequin de 24 ans. C’est décidé, elle déguerpit alors de son esprit pour vivre les remontées de son enfance et l’extase de ses fantasmes qu’elle va vivre en images via l’époustouflante œuvre onirique de Fellini.

Des images toutes déménagées de la réalité imbriquent son quotidien dans les lieux qui lui sont familiers où des personnages de toutes les époques lui tendent la breloque à s’extasier devant une autre réalité. On n’échappe pas si facilement à son quotidien bancal sans frayer du point de vue onirique, voir même fantastique.

On entre dans la dimension subtile de l’œuvre de Fellini. De visu, on en prend plein les mirettes sous tous les plans du film. Un cheval dans la maison, des centurions romains, un des premiers avions de l’histoire de l’aviation qui ne parvient plus à se poser sans l’aide de la pensée de Giulietta, l’enfance heureuse dans la forêt de pins menant en bordure de mer…

La zizique de Nino Rota accompagne les voyages extravagants de Giulietta et l’exubérance qu’elle a de se créer un monde. Pas besoin de la béquille bancale de Divan le terrible passif, Giulietta veut enfin grandir, devenir adulte et chasser les démons de son enfance.

Giulietta imprime, incarne la pellicule et Fellini peint une atmosphère absolument résolument respirable pour celles et ceux qui ont la capacité de l’accompagner dans ses voyages oniriques.

Avis de tempête sous les caboches, Fellini décape la petite bébête qui ravage l’esprit de Giulietta à s’incarner en femme libre débarrassée du moisi de sa condition humaine hautaine et déplacée. Visuel, virtuel, charnel, quel esprit des années 70, cette Giulietta et son bonhomme de mari Fellini !

Juliette des esprits de Fedérico Fellini, avec Giulietta Masina, Mario Pisu, Sandra Milu, José Luis de Vilallonga / couleurs, 1965, 137 minutes, distribué par Carlotta Films, 2009, 9,99 euros