Toujours plus haut dans l’horreur !

Toujours plus haut dans l'horreur !

C’est l’histoire de Bert Waldeck, âgé de 40 ans et déjà onze années de survie dans les camps nazis derrière lui, en tant que détenu de sécurité enfermé sans jamais avoir été jugé. Auparavant, avant la guerre il était flic et parlait parfaitement l’anglais et le français. C’est pour toutes ses qualités qu’il est recruté par un officier américain pour mettre le grappin sur un certain Hans Steiner, criminel de guerre. C’est un roman captivant aux multiples facettes de Joseph Bialot pas du tout falot.

Bert est repêché de la noyade lors du naufrage des bateaux cages dont les calles étaient emplies de déportés. Il garde dans le cœur une animosité carrée bien profond dans ses tripes contre les angliches, ces putains de sabordeurs et d’assassins de déportés sur mer !

Revenu à Berlin dont il ne reste presque rien tout comme le Brest conté par l’ami Prévert, il se rend compte qu’il ne peut pas refuser un certain confort au service des ricains. « Quel allemand n’a pas envie d’être un rat aujourd’hui ? Nourriture assurée, paix des cimetières, innocence garantie. Etre un rongeur ou le rêve gemütlich, cette douceur propre à la Germanie, de chaque survivant dans la tourmente ». (page 29)

Seulement, onze ans de camp ça vous bousille votre homme ! « Les ascètes n’ont pas de sexe. J’en ai retrouvé un lorsque mon alimentation est redevenue normale. Tout homme en état de marche s’aperçoit, un jour, qu’il n’est pas qu’un estomac ». (page 45)

Joseph Bialot connaît son domaine d’étude. Depuis l’âge de 55 balais il écrit et a à son actif déjà publié une trentaine d’ouvrages historiques, romans noirs et récits sur la déportation, le zigue !

Il connaît très bien l’histoire de l’Allemagne contemporaine et la vie de ses habitants entre 1918 et 1945 parsemée de toutes les pires saloperies possibles. Doug (le rician) tente de cerner le personnage de Bert pour remonter à un de ses amis d’enfance, un capitaine SS. A la question de son entrance en militance Bert répond : « - Pas immédiatement. Lorsque les conséquences de l’imbécile traité de Versailles ont commencé à se faire sentir, j’étais plongé dans mes études. Il fallait que je m’en sorte, pas question de vivre aux crochets de ma mère. Quand l’inflation a ruiné tout le monde, lorsque la misère a pris le pouvoir et qu’il a fallu un trillion de marks pour acheter un pain, j’ai commencé à m’intéresser à la politique. (…) Pour ne pas me clochardiser je suis entré dans la police, en 1928. Ca rassure d’être fonctionnaire. Je vais avoir quarante ans. Pour l’état civil seulement. En fait, grâce au Lager, merci monsieur Himmler, je possède l’expérience acquise durant des millénaires par toute notre espèce depuis qu’un singe s’est mis à marcher debout ». (pages 81 / 82)

Bert sait se tenir debout et tenir le coup. Il perce petit à petit les véritables intentions de Doug qui se sert de lui à des fins qui n’ont rien à voir avec les intentions avouables de chasser des anciens nazis et les châtier.

Où l’on découvre la nature humaine en œuvre dans les camps qui s’adonne à l’instinct de survie selon la casquette que revêtaient les détenus. Les verts, tout pour sa pomme, cogner, trafiquer, se baffer / les rouges collectifs et solidaires… et sans cette solidarité avec un camarade, Bert n’aurait sans doute jamais survécu…

Après guerre, la guerre froide, chacun choisit son camp. Bert en fera les frais. A force de percer Doug, l’amitié fiche le camp. Steiner ne revêt qu’un prétexte à charge, à la chasse est ouverte aux ennemis de la grande Amérique.

Sur le refrain de chef, chef vous êtes toute ma famille, Steiner s’est expliqué un jour à Bert : « Tu comprends, Bert, en pensant pour nous, le Führer nous évite de changer d’opinion. C’est bon d’avoir un maître, ça rend viril. Crois-moi, c’est un rude sacrifice que d’élever à Hitler un temple de larmes ». (page 134)

Joseph Bialot dresse des portraits et des figures de personnages tous englués dans leurs certitudes qui leur permettrent de commettre ce qu’on appellerait des impers en temps de paix. Le mythe de Sisyphe reprend du grade et je ne vous donnerai pas l’explication du titre du roman qui a toute son importance.

186 marches vers les nuages est un roman, hommage à Berlin capitale des mémoires oubliées, à la fois historique et d’espionnage. Un roman qui ne vous lâche pas d’une page tant les faits avérés s’inscrivent dans la réalité. Une ville à reconstruire et à reconsidérer de tous les points de vue. Heureusement que l’amour redonne à Bert un peu le sentiment de vie dans les bras de Maria où s’achève ce roman passionnant.

186 marches vers les nuages de Joseph Bialot, éditions Métailié, Hors collection – Noir, 176 pages, 15 euros, 2009