René Laloux : « Le vrai cinéma, c’est l’animation » !

René Laloux : « Le vrai cinéma, c'est l'animation » !

Tu l’as dit mon très cher René, d’autant que tu destinais tes films d’animation à un public d’adultes pas débiles comme le Disney très niais. La Planète Sauvage (1973) que tu réalisas avec ton compère Roland Topor est un conte de sciences fictions pas du tout bidon et en plus très poétique voir aussi politique ! Un pur chef d’œuvre que nous offre à voir ou revoir Arte Editions en format Blu-Ray pour notre plus grande joie et l’éveil de nos consciences, en ces temps où la résistance à un système très autoritaire nous convie petits Oms de notre planète à se révolter pour devenir enfin digne !

René Laloux ( 1929 / 2004) a un parcours tout à fait personnel. D’abord autodidacte, peintre / dessinateur et sculpteur, il réalisa en 1960 Les Dents du singe son premier court-métrage d’animation en tant que moniteur à la clinique anti-psychiatrique de La Borde sur la base d’un scénario et dessins créés par des malades. C’est dans ce contexte particulier que le remarque l’artiste multiforme Roland Topor à l’humour d’homme libre. C’est donc tout naturellement que les deux compères s’attelleront à la tâche de réaliser Les Temps morts (1964) et Les Escargots (1965).

Ils décidèrent alors d’adapter librement le roman de Stefan Wu Oms en série (éditions Fleuve Noir (1957).Topor « paranoïaque talentueux et généreux dans le travail » selon la marque d’estime de Laloux, s’avérait aussi volage vers tous les horizons de la création ! Laloux devra achever le film sans lui dans un studio praguois. Quatre ans de boulot autour d’une équipe de 25 personnes, avec un résultat qui dépasse les espérances du créateur. Il doit faire face avec un trait de sa personnalité : un réalisateur de films d’animation qui ne dessine pas lui-même son sujet mais qui se définit plutôt tel un accoucheur de talent.

Talent récompensé par le prix spécial du jury du Festival de Cannes en 1973. D’autres fameux dessinateurs de bande dessinée cette fois viendront conjuguer leur art avec Laloux et confirmer son génie. Les maîtres du temps avec Moebius (1981) et Gandahar avec Caza (1987).

On pense aussi au tandem Prévert / Grimault sur un autre registre poétique du film d’animation, par la verve et l’esprit qui pulsaient ces créateurs qui savaient conjuguer en équipe le complément direct de la richesse de leurs expressions.

La Planète sauvage fonctionne aussi sur un mode de référence plastique. A la première séquence du film où apparaît la main bleue, on pense notamment à l’univers surréaliste d’un Chirico qui aurait mangé la pomme avec les doigts d’un Dali ! Balèze, les Draags humanoïdes géants bleus de 12 mètres de haut aux yeux rouges hantent la planète Vgam, se complaisent dans la méditation et les connaissances. De petites bestioles familières, les Oms, leurs esclaves, sont comme leurs gentils toutous domestiques et joujoux qu’ils pensent dénués de pensée. Seulement un jour pas comme tous les autres, tout bascule. L’harmonie paisible de la société de loisirs des Draags tombe à l’eau, lorsque Tiwa la fille du Grand Edile décide d’adopter un bébé Om quelle baptise Terr ! Il grandit et profitant de son accession à la connaissance et à l’éducation de son esprit, il devient rebelle et essaie de parvenir à convaincre les Oms, dignes des animaux sauvages, de se révolter contre leur condition de bête humaine. Les Oms décollent et atterrissent sur la terre et entrevoient la danse de l’accouplement jouée par les Draggs avec d’autres espèces provenant d’autres galaxies.

Cette fable humaniste et pacifiste pour libérer les individus par la révolte finit bien malgré tout, puisque, les caractères propres des protagonistes seront respectés et qu’il n’y aura plus de domination d’une espèce sur une autre. La technique d’animation du papier découpé utilisée plaide aussi en faveur de la très grande qualité du film. Il en découle une animation d’une grande souplesse qui donne la part belle aux dessins de Topor qui peut exprimer en toute liberté son univers de fantasmes et allégories.

Les images s’articulent aussi aux sons des ziziques de l’illustre compositeur Goraguer qui fut en son temps avec Walter les aminches musicaux de l’ami Boris Vian. Jean Guérin fusionne au synthétiseur des années 70 les chœurs très funky, les accords de basse, les bruits bizarres et la pédale wawa.

Tous ces arts réunis autour du chef d’orchestre René Laloux concourent à un grand film d’animation qui garde tout son intérêt et lance ses sondes qui ne vieillissent pas d’une onde.

Petit clin d’œil à mon article consacré au Mur du son Krautrock de cette époque et à la guerre froide qui se gelait une tyrannie pour diriger le monde. Ce film se bat pour la paix et est bien plus fort dans son combat pour l’entente pacifique entre les peuples, que tous les rapports de force qui entravaient la libre circulation des personnes et des idées ainsi que les propagandes yankees pour un soi-disant monde libre !

La Planète sauvage est un chef d’œuvre du film d’animation de la part d’un réalisateur engagé et qui a su s’entourer d’une équipe de bon aloi. La magie opère même aujourd’hui, c’est pour vous dire si depuis 1973, les faits sociaux ont peu évolué, voir même empiré !

Merci encore à Roland Topor et René Laloux pour leur évocation poétique et pas du tout crétine de la vison d’un autre monde en devenir vers un autre futur, que j’espère plus fraternel et révolté comme chez d’autres hommes : les Oms !

La Planète Sauvage de René Laloux d’après des dessins de Roland Topor, Blu-Ray, Arte Editons, durée du film 72 minutes, durée du Blu-Ray 143 minutes, 2009

Compléments de programme :
Laloux sauvage (documentaire sur René Laloux / 26 minutes)

Trois courts métrages de René Laloux :
Les Dents du singe (13 minutes / 1960)
Les Temps morts (10 minutes / 1964)
LesEscargots (10 minutes / 1965)

Une galerie des dessins originaux de Roland Topor
Une galerie de peintures de René Laloux
Un livret de 12 pages : René Laloux l’extra-terrestre