Le Mur du son Krautrock

Le Mur du son Krautrock

Les commémorations sont toujours l’occasion réussie ou ratée de fêter un évènement marquant. La chute du Mur de Berlin dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989 culbuta en 2009 sa diarrhée médiatique pour annoncer le son de la propagande d’un soi-disant monde libre capitaliste, brûlant au passage son agonie sur fond de crise sociale internationale sans précédent et ne proposant aucune autre alternative. Un double album « Berlin 61 / 89 Wall of sound » est sorti à point nommé et vous offre un panorama réaliste de la scène rock allemande de cette période musicale féconde. J’y ai adjoint aussi quelques points de vue exposés par Eric Deshayes, auteur de « Au-delà du rock La vague planante électronique et expérimentale des années soixante-dix ». Histoire aussi de compléter un certain panorama concernant une musique allemande innovante et captivante, d’autant plus quand on entend actuellement la soupe planétaire sur le mode monotone du produit marketing, qu’on nous déverse dans nos esgourdes sourdes !

Depuis les années 60, trop choux le Krautrock germain de l’ouest ! Les musiciens se sont affranchis des influences anglo-ricaines. Ils ont fichu une bonne claque au rock binaire sur fond de libération azimutée de toutes les expérimentations tant musicales que sociales. Kraftwerk / Tangerine Dream / Can / Faust / Ash Ra Tempel / Amon Düül / Klaus Schulze… vous connaissez ?

La chute du Mur de Berlin surnommé outre Rhin : die Wende (le tournant) marque aussi la fin de la guerre froide et donc forcément la mort du communisme et donc la victoire de la démocratie libérale de marché. Cette analyse pour le moins tranchée et simpliste des faits qui impliqua l’érection de cette verrue physique dans le paysage allemand, selon son côté de l’Atlantique, ne revêt pas tout à fait la même réalité. Petit rappel, des 1948, dans un célèbre discours de politique étrangère, l’américain Georges Kennan pose déjà les jalons des premières pierres de l’édifice. « Nous possédons environ 50% de la richesse du monde, mais nous ne sommes que 6,3 % de sa population. (…) La tâche qui nous incombe dans l’immédiat est de mettre en place des réseaux de relations qui nous permettront de maintenir cette disparité. (…) Pour cela, il nous faudra ne pas succomber à la sentimentalité ou aux vœux pieux et rester concentrés sur l’atteinte de nos objectifs nationaux. Nous devons cesser d’invoquer des objectifs vagues et irréalistes comme les droits de l’homme, l’augmentation du niveau de vie ou la démocratisation. Le jour approche où il nous faudra confronter de stricts rapports de force : et moins nous serons à ce moment-là empêtrés dans des slogans idéalistes, mieux nous nous porterons ». Discours de vipère pour le moins très clair et pour une fois sans langue de bois !

C’est dans ce contexte très décontracté et très ouvert que les mouflets des nazis ouvrirent leur clapet et les amplis. Enfants de la guerre froide et de la grande guerre, porter la tignasse à l’Est était considéré comme un délit, camarade ! A l’Ouest, le régime autoritaire oppressait les mouvements contestataires dans les universités et les expériences communautaires. En marge, Baader et compères issus en majorité de cette mouvance engagée passaient à l’action directe.
De cette effervescence des « années de plomb » et la remise en question des modes de vie de leurs parents passés sous le moule du national socialisme à visage barbare (pléonasme du bruit des bottes), les mœurs vont se libérer du carcan d’antan en emporte le vent. Bienvenue au mélange des genres musicaux étranges et à l’éclatement de toutes les normes en vigueur.

Vous vous demandez, mais c’était quoi cette foutue musique à la con réservée à des percés des tympans et des fumeurs de kif ? Que nenni, zarbi les ami(e)s. C’est carrément irracontable. Vous savez que les allemands sont d’infatigables voyageurs et avant tout le monde, avant que ce soit la mode des musiques du monde, il y en avait déjà quelques-uns qui mixaient et s’appropriaient des rythmes entendus aux quatre coins de la planète pour les sertir dans leur zizique. L’ethno jazz dans l’album « Embryo’s Reise » (1979) est surprenant et avant gardiste. Ce sont aussi des musiciens de laboratoire qui deviennent sorciers des sons, des bruits, des notes choyées, broyées, démultipliées, bouffées et recachées par des machines à la marge de la portée sur des riffs de free jazz puisant aux sources du rock psychédélique qui aurait puisé en chemin dans la musique contemporaine… pour faire vite !

Vous me direz, bon d’accord, ça a existé entre les années 60 jusqu’au début des années 80. Bon et point barre, rien à cirer, je ne suis pas concerné(e). Basta mon gag. Sauf que abat les œillères. Si je vous dis que « 

Johnny Rotten, des Sex Pistols affirmait avoir été fortement influencé par Neu

 », (un de ces fameux groupe allemand) ! * (page 431). David Bowie, Brian Eno et Depeche Mode, reconnaissent avoir été eux aussi influencés par le rock allemand très choux et pas rave. Plus comique encore, Michael Jackson blanchi à la chaux « a contacté Krafwerk pour qu’ils viennent travailler sur une suite de Thriller » ! (* page 436).

La musique, les communautés de musiciens fonctionnaient aussi sur un mode très proches des mouvements autogestionnaires tant dans leur tête et leurs instrumentalisations de leur univers. On se plaçait à des années lumières du Mur musical dans la tête sur le modèle anglo américain si j’en crois Eric Deshayes : «  Can, Faust, Ash Ra Tempel ou encore Tangerine Dream, avaient pour point communs, au départ, de rejeter les modèles établis du rock, d’adopter l’improvisation et de manipuler l’électronique autant en direct qu’en studio. La musique se faisant essentiellement instrumentale, il n’y avait plus de chanteur pouvant être identifié comme le meneur, la tête pensante du groupe. Cela facilite d’autant l’éloignement du modèle rock et la pop-starisation ». (* page 440).

Berlin, durant ces années de prison dorée, accueillait tous les jeunes hommes qui voulaient échapper au service militaire. Le mode de vie alternative ne revêtait pas une utopie mais se vivait en direct parmi tous les mouvements tant féministes, écologistes et sociaux. Le courant musical Krautrock ou kosmische Musik était très impliqué sur le terrain des luttes.

Alors, si vous n’y entendez encore rien ou si vous en avez entendu parler, le double album « Wall o sound » donne un excellent éventail de la scène rock de cette période. Même si à mon humble avis ni Nina Hagen, ni la superbe Nico (autrichienne de naissance), n’appartenaient directement à ce mouvement ! Il n’empêche, je vous conseille l’écoute de tous les morceaux sur les deux CD mixés par la talentueuse artiste journaliste et fine oreille : Caroline Cartier qui nous comble chaque matin du lundi au vendredi sur France Inter d’une tronche de vie à propos sur l’actualité et des humeurs de la libre dame émancipée. Un grand merci en passant à son talent de réalisme poétique mis en relief sur une chaîne du service public !

Parmi les artistes et groupes plébiscités, vous retrouverez : The Young Gods / Nina Hagen / Agitation Free / Malaria / Amon Düül / Irmin Schmidt et Bruno Spoerri / Can / Neu / Electric Sandwich / Cluster / Nico / Brainticket / Jane / Edgar Froese / Harmonia / Faust / Kraan / MDK / Die Tödliche Doris / Palais Schlaumburg / The Front / Liaisons Dangereuses / Einstürzende Neubauten

L’ouvrage éclectique et très bien documenté de Eric Deshayes complète parfaitement le panorama musical proposé.

* Eric Deshayes : Au-delà du rock La vague planante électronique et expérimentale allemande des années soixante-dix / éditions Le Mot et le Reste / collection formes / 443 pages / prix 23 euros / 2007

Berlin 61 / 89 Wall of sound / distribué par Le Son du Maquis, Harmonia Mundi, 2009