La vie est un songe…

La vie est un songe…

Qui régit les lois humaines ? Les astres, la raison ou l’amour ? Calderon, cousin de Shakespeare et parent de Hugo, excelle dans la démesure lyrique où folies meurtrières et psychanalyse cohabitent allègrement. Une pièce sur la quête de soi…

La vie est un songe (v.1633) [La vida es sueno], comédie du poète dramatique espagnol Pedro Calderon (1600-1681), est généralement considérée – de même que Don Quichotte de la Manche - comme le chef-d’œuvre du siècle d’or. William Mesguich s’attaque à ce mythe, mettant en scène une pièce délicieusement invraisemblable.

Avec ses oracles monstrueux et ses phantasmes de succession et de meurtre, l’aspect délirant de La vie est un songe ne peut guère échapper au spectateur lambda par son climat baroque et une trame légèrement tordue : un roi, Basyle (Zbigniew Horoks), après avoir enfermé son fils Sigismond (William Mesguich) dans une tour, le libère en vue de trouver un successeur au trône.

Après avoir constaté sa violence, il le drogue et l’enferme de nouveau dans sa prison, lui faisant croire à son réveil que tout ce qu’il a vécu était un rêve… Univers mental des deux principaux personnages, ouvert à toutes les interprétations, qui ferait les délices d’un psychanalyste !

Et la sauce prend : William Mesguich, en pleine forme, nous plonge dans un luxe de trouvailles scéniques et dans un climat onirique des plus surprenants. Au programme : vidéos style You Tube - visionnées par un Basyle incrédule - accentuant le divorce entre temps et réalité ; corps de pantin tordus par la douleur d’un songe éternel - celui de Sigismond encagé dans une cabine téléphonique digne de Louis XI ! - ; un jeu puissant de lumières et de judicieuses musiques ; des tours de magie ; d’ambitieux décors - peut-être, juste un bémol à cette superbe mise en scène : le personnage du valet bouffon Clairon trop kitch, trop glam, trop explicitement Bozo le Clown, qui en fait des tonnes et agace plus qu’il ne fait rire...

L’œuvre maîtresse de Calderon se dessine comme un acte de bravoure de poésie métaphysique. Elle reflète la propre vision du monde de l’auteur du Grand Théâtre du monde : la vie est un conflit qui ne trouve sa raison et sa solution que dans l’au-delà ; le monde – nature et société – n’est qu’apparences dont joue la Providence pour la plus grande gloire de Dieu.

La mise en scène flamboyante de William Mesguich se met donc au service de ce théâtre de l’illusion aux effets comiques dans lequel Calderon plonge dans la violence des sentiments et dans les arcanes du clair et de l’obscur, tout en offrant une réflexion libre sur l’absurdité qui en découle. La langue est plutôt raffinée ; la poésie se dessine, légèrement morbide.

JPEG - 817.3 ko

La vie est un songe défile comme une sorte de voyage onirique et cauchemaresque sans fin : un théâtre shakespearien, violent, baroque à mort, parcouru de visions fulgurantes, qui semble suggérer que tout serait déjà écrit dans le grand rouleau…
Ce théâtre d’ailleurs s’enracine quelque part dans une mouvance esthétique. Evoquant l’art de Calderon [interview Le Mague du 20/10/2007 ] - à propos de la pièce Le Médecin de son honneur –, le metteur en scène de théâtre Hervé Petit précisait :

« Calderon est à sa façon un peintre. Il a écrit d’ailleurs sur la peinture. Ses métaphores sont très plastiques […] Les lumières/ombres de son théâtre pourraient renvoyer à Rembrandt. »

Dans cette séance onirique et baroque – jouée excellemment par la compagnie du Théâtre de l’Etreinte - William Mesguich s’empare donc de cette Vie fugitive, magnifiant à la fois sa force symbolique et ses tensions dramatiques.

Il conclut dans sa note de mise en scène :

« La vie est un songe, un jeu de boîtes, de dupes, où les personnages décident de fabriquer et de transformer eux-mêmes leurs destins en lumière en mettant leur vie en scène. Ils sont du siècle d’or espagnol, mais aussi de notre temps car ce qui se trame dans cette fable d’hier renvoie à nos drames existentiels d’aujourd’hui. »

durée du spectacle : 2 h sans entracte

La vie est un songe
Comédie de Pedro Calderon – Mise en scène William Mesguich
Du 5 janvier au 14 février 2010
Représentations le mardi, mercredi, vendredi à 20 h 30, le jeudi et samedi à 19 h 30, le dimanche à 15 h 30
Théâtre 13 – 103A boulevard Auguste Blanqui – 75013 Paris (métro Glacière)

Rencontre avec William Mesguich et toute l’équipe artistique
dimanche 31 janvier 2010 à 17 h 45 (à l’issue de la représentation de 15h30) – entrée libre.
Avec la participation de Christophe Couderc (professeur et directeur du département d’études hispaniques et hispanoaméricaines à l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense). Rencontre animée par le Magazine l’Histoire.


A signaler : La Lutine, de Calderon, dans une mise en scène de Hervé Petit - Théâtre de l’Opprimé, 78 rue du Charolais - 75012 Paris -, du 3 février au 7 mars 2010

Photos : PHILIPPE CHARDON

http://www.philippechardon-images.com