Coco Chanel & Igor Stravinsky

Coco Chanel & Igor Stravinsky

Avec Coco Chanel & Igor Stravinsky (2008), adapté du roman Coco & Igor de Chris Greenhalgh, Jan Kounen change d’environnement cinématographique. Après 99 Francs (2007), le réalisateur français jette son dévolu sur deux personnages mythiques du XXe siècle : le compositeur d’origine russe Igor Stravinsky, auteur du Sacre du Printemps, symbole de l’avant-garde musicale de l’époque et Coco Chanel, célèbre couturière française, à la fois femme d’affaires, amie des artistes et créatrice de mode originale…

Jan Kounen a librement calqué son univers sur le premier roman de l’auteur anglais Chris Greenhalgh. La trame du film de Kounen se dessine autour de la brève liaison du créateur de l’Oiseau de feu avec la prêtresse de la mode, réputée pour ses audacieuses réalisations vestimentaires.

La majeure partie du film se déroule dans la luxueuse maison de Coco Chanel, située à Garches. Igor Stravinsky y vécut avec sa femme et ses quatre enfants en 1920-21. Pour évoquer la relation compliquée de ces deux artistes renommés, le cinéaste n’a pas hésité à puiser librement dans le roman de Greenhalgh pour mieux rebondir :

« J’ai tout de suite lu le roman de Chris [Greenhalgh]. J’ai digéré un peu tout, puis j’ai travaillé avec l’auteur sur le scénario. Je lui ai proposé de remettre certaines scènes du roman, d’en enlever d’autres […] »

Visiblement, la collaboration écrivain/réalisateur s’est avérée fructueuse, offrant aux deux principaux personnages du film, plutôt distants et insaisissables, un surcroît de crédibilité psychologique. Kounen propose là un excellent casting avec le personnage de Stravinsky, interprété par un Mads Mikkelsen méditatif et tourmenté juste ce qu’il faut, et celui de Chanel, joué par une Anna Mouglalis instinctivement baroque, femme de tête à la fois introvertie et pimpante.

Pour son Coco Chanel & Igor Stravinsky, Kounen a fait le choix d’une image léchée, voire sophistiquée qui fait vibrer objets et décors. Le réalisateur a même tourné chez Chanel et a rassemblé les objets intimes de la couturière pour le tournage au Ritz – en outre, Karl Lagerfeld a créé une robe spécialement pour le tournage du film. Un raffinement discret et une esthétique racée – les boiseries et les pièces à motifs japonisants de la villa Bel Respiro – enjolive d’ailleurs ce film stylisé sans maniérisme. Et le fort visuel de Kounen le rapproche parfois d’un univers à la James Ivory.
Film également d’une grande rigueur historique, Coco Chanel & Igor Stravinsky met en lumière l’entourage artistique de ces Années 20 comme celui des Ballets russes de Diaghilev.

La nouvelle œuvre du réalisateur nous montre un Stravinsky à la fois calme et fiévreux, quotidiennement rivé à son piano, génial schizophrène créant inlassablement dans son nouveau cadre bucolique, confronté à la fois au regard surpris de ses enfants, sortis fraîchement de la Russie en ébullition et à l’attitude fataliste de sa femme Catherine Stravinsky – interprétée par Elena Morozova – sorte de plante verte comme égarée en la demeure de la nouvelle icône de la mode, que Kounen – avec un luxe de détails - nous montre se faufilant à bord de sa luxueuse automobile - telle une geisha - de son antre parisien de la rue Cambon à sa somptueuse villa Bel Respiro.

Film plus musical que verbal, Coco Chanel & Igor Stravinsky frappe avant tout par une forme des plus cohérentes comme si, finalement, cette dernière s’avérait le pont le plus certain pour accéder au fond. Le metteur en scène précise :

« Le style est sensoriel, c’est un film contenant peu de mots. Beaucoup passe par les visages, les costumes, les objets, la musique et l’agencement des plans. J’ai travaillé à utiliser ces langages plutôt que le verbe pour décrire les sentiments. »

Cependant, cette image sensuelle et diffuse du film – musique, vêtements, décors – n’exclut en rien une réalité concrète, suggérée habilement par Kounen tout au long du film. Là réside peut-être la plus grande réussite de Coco Chanel & Igor Stravinsky, outre son indéniable virtuosité visuelle : tenter de percer le mystère de deux êtres, de deux ambitions, de deux monstres de créativité qui veulent aller très vite en besogne…
Kounen ajoute :

« J’ai essayé de décrire le rapport entre l’artiste et son œuvre, entre personnalité, psychologie et création. La capacité qu’a un artiste à transcender dans sa création un drame de sa vie, mais aussi son obsession et le sacrifice qu’il fait de cette vie pour son œuvre. »

Le début du film commence nécessairement par la violence : celle de l’œuvre du créateur (l’émetteur) confrontée à la réaction primaire du public (le récepteur). Lors d’une scène clé ayant comme cadre la représentation historique de la première du Sacre du printemps (1913) au Théâtre des Champs-Elysées, Kounen filme une Chanel médusée par la violence verbale du public et les bagarres qui s’ensuivent. Il nous laisse deviner subtilement le désarroi en coulisses de Stravinsky, tout en suggérant le malaise fondamental que génère chez une partie du public toute œuvre d’avant-garde. Il filme en gros plan les visages incrédules des faunes du ballet de Nijïnski, semblant vouloir s’excuser auprès des spectateurs de la violence artistique infligée.

D’ailleurs, toute la suite du film paraît souligner la primauté chez Stravinsky et chez Chanel de cet instinct guerrier difficilement identifiable mais que l’on pourrait qualifier – faute de mieux – d’instinct créatif. Que nous montre Kounen dans Coco Chanel & Igor Stravinsky ? Deux individus surdoués, obsédés par leur création, relativement indifférents à leur entourage : l’un le nez quotidiennement rivé entre piano et partitions, goûtant aux promenades bucoliques pour mieux revenir aux chuchotements d’Orphée ; l’autre, dans une soif inextinguible de nouvelles formes de vêtements ou de nouveaux parfums à promouvoir (le fameux Chanel No 5).

Coco Chanel & Igor Stravinsky est un film légèrement expressionniste d’une beauté féline et sobre, légèrement fiévreuse. On peut également y déceler une réflexion sur les aboutissements de l’engagement artistique et sa concrétisation en style de vie. Après le récent et excellent Clara (2009) d’Helma Sanders-Brahms, film centré sur le célèbre couple Robert et Clara Schumann, Coco Chanel & Igor Stravinsky illustre tout aussi brillamment les rapports complexes entre créateurs.

Durée : 1 h 58
Genre : drame

Coco Chanel & Igor Stravinsky, un film de Jan Kounen
Scénario : Chris Greenhalgh
Adaptation de Carlo de Boutiny et Jan Kounen

Avec Mads Mikkelse, Anna Mouglalis, Elena Morozova, Natacha Lindinger, Grigori Manoukov, Anatole Taubman, Nicolas Vaude

www.chanelstravinsky.com