Didier Daeninckx franchit le périph…

Didier Daeninckx franchit le périph…

Depuis Aubervilliers où crèche Daeninckx, il n’y a qu’une artère qui enserre Paname à franchir : une barrière symbolique. Pas de crime de sang dans ce nouveau roman, mais une quête, une enquête autour de huit témoins et une bicoque qui a beaucoup de choses à raconter, à charge d’une histoire d’un autre temps révolu !

Franchement, j’ai éprouvé quelques difficultés à rentrer dans les pages de ce roman. Même si le style détaillé des caractères des personnages qui se confondent dans le décor, dont j’ai déjà connu quelques courbes géographiques, m’invitait à partager une tronche de vie. J’étais trop formaté aux meurtres dans ma mémoire, si je m’abuse.

Que nenni cette fois, c’est une bicoque qu’on veut abattre. Comme chez Boris Vian, elle dégage une écume des jours suivant le caractère de ses différents occupants qui se sont succédés. Point de départ et ce n’est pas encore très banal, comment contourner, franchir à guet un périph hostile et vroumvromant, toussant son oxyde de carbone à plein poumon ?

A bicyclette, pardi ! Chanté à la Montand, en couple d’abord, puis une femme libérée de son compagnon entreprend un périple via les berges du canal Saint-Denis. Presque par hasard se dessine le précipice d’un havre de paix, à une altitude minimum entre les échangeurs et des voies ferrées.

A quelques encablures seulement, les promoteurs cultivent la torpeur et s’activent à creuser le sillon des fondations d’un bastion sécurisé pour bobos à gogo. Adios, vaches, cochons, laboures et terres maraîchères, forges et ouvriers au labeur désincarné dans cette banlieue, excroissance de la capitale féroce et cruelle.

Cette maison pas n’importe laquelle, cette hacienda verrue architecturale s’ouvre sur un horizon bouché. Le dernier occupant, artiste sur cuir, vocifère son départ prochain. – La vie en banlieue est devenue trop compliquée pour un type de mon âge… Ils creusent le métro au bout de la rue, ils font venir des camions de sable pour transformer le quartier en Canal-Plage, ils vont construire un centre commercial, une piscine olympique sur la berge d’en face. (page 21)

Je suis certain que les lectrices et lecteurs provinciaux, même s’ils ne connaissent pas l’âme du proche Paname, y retrouveront des souvenirs eux aussi, au dénombrement des décombres de leur jeunesse où on entasse et fracasse leurs souvenirs depuis leur quartier.

Et comme toujours chez Daeninckx, il ne peut taire la réalité des faits et des saloperies commises sans se soucier du vivier vivant des riverains et qu’importe l’irradiation promise. La région était parsemée de forts, de bastions, de souterrains, d’anciens terrains militaires où, après le règne de la dynamite, on avait disséminé les laboratoires secrets de la bombe atomique française. Les compteurs Geiger s’affolaient, disait-on, quand on les promenait au fort d’Aubervilliers, cadre de recherches de l’équipe Curie, à Romainville ou vers Coubron (page 56)

Il en est passé du monde et du beau monde autour et dans cette hacienda ! La grande majorité des gens qui avaient échoué là, c’était des familles espagnoles, des réfugiés de la déroute républicaine… Pas mal d’ouvriers kabyles qui brûlaient leur jeunesse dans les usines de la Plaine-Saint-Denis. Les potes à Brau, c’est ça qui leur a tout de suite botté, le mélange qui se faisait, dans les cafés des bidonvilles, entre la musique espagnole et celle de l’Afrique du Nord… Ma maison leur a beaucoup plu. Celui qui se faisait appelé Berna avait une théorie pour expliquer qu’une architecture avant-gardiste avait pu voir le jour, là, sans que personne ne s’en aperçoive et sans que son concepteur ne laisse des traces. (page 66)

Des gens de tous les bords ont vécu là, les Debord et consort : Jean-Louis Brau, Gil J. Wolman, Serge Berna, les sacrés conspirateurs de l’Internationale Lettriste en situation ! D’autres moins connus mais tous aussi importants ont sillonné le parterre de cette hacienda. Les Madeleine Vionnet, le peintre Ouzani, le portraitiste Jürg Kreienbühl et d’autres artistes, découvreurs, des durs à cuir.

Daeninckx achève son livre dans le style du Je me souviens d’un Perec ! Etonnant non ?

Si vous voulez en savoir plus sur sa verve populaire à transcrire ses intrigues dans l’encre noire de la dure réalité sociale et politique. Si vous aussi vous souhaitez tracer des pas jusqu’à l’hacienda avant l’opération de destruction de l’histoire de ce bastion, lisez donc L’affranchie du périphérique qui vous révèlera ses secrets de banlieue, histoire vous aussi de ne pas perdre votre mémoire !

L’affranchie du périphérique de Didier Daeninckx, éditions de l’Atelier, 104 pages, 15,50 euros, octobre 2009