Kriss et chuchotements… a tu sa voix !

Kriss et chuchotements… a tu sa voix !

Avant de partir, tu nous avais confié dans un livre, tous les secrets de ton métier, de la mise en onde de ta voix envoûtante, au montage de tes émissions, avec le grand talent qui caractérisait ta plume. Plus de trente ans de métier et plus de vingt émissions du côté de FIP ou France Inter, tantôt « écoutante publique », tantôt « anim / auteur », toujours présente sur le pont par tous les vents. Le sacre de nos tympans, c’était de t’entendre et partager tes rencontres à vive voix dans le poste avec nous et tes invité(e)s. Bonnes ondes à toi chère Kriss et encore merci !

La Krissounette comme j’aimais la surnommer et l’ouïr dans la moiteur de son micro au souffle chaud de ses sourires et de ses tonalités enfantines tellement mutines. C’était « Comme à la radio » d’une Brigitte Fontaine régie par le service public de France Inter, l’œil de l’animatrice rivé sur la pendule dans une communion des ondes avec des inconnu(e)s et l’élaboration d’un autre monde. La radio, ça s’écrit, ça s’entend, ça se vit funambule permanant dans son combat contre la « culture du malheur ».
Une émission est un « salon » fragile, entre ciel et terre
Un temps suspendu, en translation.
Identique et toujours différent.
Une cohérence aux densités multiples.
Une onde et son retour
. (page 98)

La Kriss, surnommée déjà petite La Radio pour son bagou, se tirait des bourres sur son tricycle, à deux pas du chantier de la Maison de la Radio, son futur terrain de je. Puis, Pour tout bagage on a vingt ans (Léo Ferré). En 1971 à Paname, les Pierre Codou et Jean Garetto pierres d’achoppement polirent la donzelle délurée et lui firent tâtonner et donner de la voix de Fipette. Vous savez, messieurs, cette drôlesse, C’était une voix intime et rieuse. Un mélange de charme, d’ironie et d’autodérision. Elle s’adressait clairement à des hommes, mais des femmes pouvaient s’identifier à elle.(…) C’était une voix en mini-jupe. (…) Ne me demandez pas de quoi vous avec l’air, rue des trois baudets, je serais capable de vous le dire. (pages 84 / 85).

Kriss avait trouvé le ton juste de sa voix dont elle ne concéderait pas l’acidulé, l’acide humoristique jamais caustique. La voie était ouverte ! « L’oreille en coin » ne serait pas indifférente à sa personnalité déjà affriolée et inventive.

A l’école des ondes, le moindre sourire s’entend, et ce n’est pas seulement un son qui passe, c’est de la chair. (page 90) Se poser aussi en permanence la question lancinante Jusqu’où peut-on aller ? Mais aussi, c’est L’anim’auteur (qui) pose ses premières règles de savoir vivre de sa bulle. Et le tempo de la dure réalité : Tenir le rythme, tenir le rythme, tenir le rythme.

Kriss, ce fut aussi Kriss Graffiti, la Kriss ou Kriss Crumble et pléthore d’émissions dont A cœur et à Kriss (1980 / 1981), Songes d’une nuit d’été (août 1989), Roue libre (1996 – 1999), Portraits sensibles (2000 – 2004), Kriss Crumble (de 2005 à 2009). Et toujours sur le fil du rasoir, se couper de la routine, quitte à bazarder une émission qui marche du tonnerre quitte aussi à s’entourer de la pesanteur d’une équipe qu’elle ne sait pas encore dire /gérer du sourire et de bon appétit. ! Je ne fais plus de reportage, mais du DIRECT ! Je ne suis plus seule au micro mais ENTOUREE ! (page 77)

Mon métier c’est inventer et m’inventer sans cesse, au risque de me tromper. Après tant d’années de radio, j’ai la chance de pouvoir tout remette en question. Tout changer pour que le désir vive. (page 81)

Kriss ne s’est jamais ennuyée un brin dans la diversité. En trente ans de métier, j’ai conçu et animé une bonne vingtaine d’émissions : talk-shows, reportages, fictions, rencontres intimes, sketches, jour, nuit… Je n’ai pas toujours souhaité ces changements, ni réussi toutes mes mues, pourtant chacun d’eux m’a projetée dans un déséquilibre parfois douloureux mais toujours stimulant. (page 69)

Le tic tac de l’horloge qui déroge la liberté de flâner au micro, la radio quel métier de métronome ! La radio est une immense horloge, gueule ouverte et nous courons dans tous les sens pour la nourrir. Peu de métier sont à ce point au garde à vous devant l’aiguille des secondes. (page 40)

Impudique, tu dévoiles les arcanes de ton métier et ses difficultés. Ces têtes à têtes avec tes invité(e)s, ces moment d’intimité et de bravoure que tu nous offres à partager les pavillons en cœur, c’est toute l’alchimie de l’interview, la mise en ondes d’un portrait et la magie des voix et des visages que l’on imagine dans le creux de ton oreille.

Pendant les neuf premières minutes, il faut qu’il me raconte les trente premières années de sa vie. Au début, ça me semblait impossible : trente ans en neuf minutes ! A la veille de chaque émission, ça me semble toujours impossible. Mais à l’heure qui précède tout s’organise, comme en dehors de moi… Les vertus de l’urgence. Je fais le tri. Ne lui laisser que les moments où il sera bon, garder pour moi les résumés. L’interrompre quand il s’attarde sur l’anecdote… Penser aux alternances des voix. Faire en sorte qu’il oublie de regarder les notes qu’il a prises. Un invité qui lit ses notes, c’est presque aussi qu’un animateur qui lit ses questions ! Tenir son regard. (page 14)

En tout cas, nous, nous tenions beaucoup à toi et à ta voix et tu nous manques déjà terriblement. Les auditrices et auditeurs sont en deuil de ton charisme fou, de tes rires en sourdine, de tes sourires à l’antenne et de ta perpétuelle joie de vivre si communicative

Salut l’artiste Kriss et bon voyage interstellaire et galactique, bonjour aux planètes des ondes que tu inondes.

Un jour, j’ai dit à un ami physicien que les gens de radio étaient comme des éphémères qui ne volent qu’un jour et disparaissent.
« C’est faux, m’a-t-il répondu. Tout ce qui existe est détruit par le temps. Les monuments les plus beaux, les livres, la planète elle-même disparaîtra. Mais vous, les voix de radio, vous êtes éternelles. Vos paroles emportées par les ondes hertziennes voyageront dans l’univers aussi longtemps qu’il existera
. » (page 43)

Kriss La Sagesse d’une Femme de radio, éditions L’œil neuf, collection sagesse d’un métier, février 2005, 110 pages, 12,50 euros