Jean Vautrin (3) : de la lumière de la photo argentique à la verve des mots à dessein

Jean Vautrin (3) : de la lumière de la photo argentique à la verve des mots à dessein

Pour le troisième chapitre de son interview, Jean Vautrin tel Boro reporter, le Leica en bandoulière, nous confie sa tendresse pour la photo argentique, son art graphique, ses frangibus de la gouaille littéraire : les Audiard, Fallet, Blondin, ses projets et son amour fraternel pour le genre humain et ses personnages.

Le Mague : Que pensez-vous de la photographie numérique en plein essor. Va-t-elle tuer la photographie argentique ?

Jean Vautrin : Oui, je suis vachement attaché à l’argentique et je continue avec mes Leica. J’aime le noir et blanc et j’aime l’argentique et les Leica. Finalement je ne me suis pas payé de bel appareil numérique. Ca me semble une solution de facilité. Fabriquer une photo c’est aussi avoir la notion du diaphragme, de la lumière. Le numérique ça n’a pas le grain, la pêche, Si on pense ça, on doit être un vieux con, parce que je pense que ça va évoluer. Je n’ai pas su m’adapter là.

Le Mague : Mais d’où vous vient cette fascination pour la photo argentique ?

Jean Vautrin : Parce que c’était un rêve. Quand j’ai débuté dans la vie, je suis parti en Inde, j’avais vingt-deux piges. Je rêvais d’être un chevalier blanc, d’être un explorateur. Le photojournalisme c’était cela. Magnum c’était !!!!! J’ai rencontré un type qui était chez Magnum en Inde, il me paraissait être un chevalier blanc. Après j’ai eu le bonheur d’être assez copain avec Doisneau. J’ai fait un bouquin avec lui. Sabine Weiss, Ronis, ils étaient nobles ces gens là. Ils étaient formidables. Ils allaient à la pêche aux hommes. Ils étaient envahis par une vérité profonde. C’était des inventeurs. Il fallait qu’ils calculent à la fois leur diaphragme, la composition, l’exeptionel. Je ne retrouve plus du tout cet esprit chez les gens qui font de la photo numérique, de la couleur à tout va. On appuie, on appuie et on prend tellement de photos qu’il y en a bien une bonne.

Le Mague : Votre collage de couverture de la Vie Badaboum, encore un de vos talents cachés, un de plus. Décidément, vous êtes un homme d’une extrême richesse créative, monsieur Jean Vautrin !

Jean Vautrin : Je colle, je dessine et je peins. J’ai toujours dessiné beaucoup. En Inde je publiais des dessins dans une revue qui s’appelait Illustrated Weekly. Et là, j’ai repris pas mal le dessin quand j’étais malade. J’ai publié chez Flammarion un bouquin qui s’appelait « En attendant l’eau chaude » où il y a des dessins. Et là je vais publier un ou deux albums que j’ai sous le coude.

Le Mague : Lorsqu’on lit vos romans, nouvelles ou feuilletons, on est immédiatement embarqué dans la verve de vos personnages qui nous dérident les pages. Est-ce que le Jean Herman cohabite avec le Jean Vautrin lorsque vous écrivez vos perles dialoguées et est-ce que vous visualisez les scènes dans votre tête, entendez les dialogues et croquez vos personnages avant de les mettre en scène dans vos livres ?

Jean Vautrin : Quand je m’embarque sur un bouquin en général, je ne sais pas qui va être le personnage principal. J’aime tout le monde. Quelquefois il y a des personnages secondaires qui se hissent à la première place et quelquefois des personnages qui étaient destinés à être des vedettes qui deviennent la troisième roue du carrosse. J’aime bien être l’ami de mes personnages. Pour qu’il y ait une familiarité, je m’embarque avec un certain nombre de phrases qui le détermine, qui le mette en scène de façon exemplaire, pour chacun dans ma giberne. Tout ça se démerde par ce qu’il y a une histoire qui arrive, qui commande à des situations.

Le Mague : Et votre magnifique verve ?

Jean Vautrin : Je pense que la gouaille je la dois en grande partie à mes rapports avec Michel Audiard et à des lectures aussi. J’ai appris beaucoup avec Fallet, avec Blondin, On se voyait tous, on habitait Dourdan et on faisait du vélo là-bas. Il y a une veine populaire qui était là et qui m’a marquée très fort. Et puis j’aime les hommes. J’adore la proximité de parole des gens. J’aime bien leur mettre des dialogues dans la bouche. Je trouve que les mots c’est important. C’est jouissif. C’est charnel. Les vocabulaires particuliers, tout ça c’est passionnant. Ca fait partie des recherches jouissives qu’on peut faire quand on écrit un bouquin.

Le Mague : Habiter en Gironde, après avoir saucissonné la planète terre, ça fait un monde ! Il se voit comment le Jean Vautrin girondin ?

Jean Vautrin : Je le vois comme un petit retraité à la con. Je n’ai pu les forces, je ne peux pas emmener mon chariot ailleurs. C’est le début du voyage immobile, quoi ! Je vais essayer de voyager le plus loin possible immobile. On doit pouvoir faire quelque chose immobile. Ecrire d’abord. Revoir les gens. Ma porte est ouverte. Et puis certainement, aller du côté de la spiritualité, c’est sûr. Essayer de comprendre le monde bien que je n’y comprenne plus rien. Essayer de ne pas dételer quand même. Je plains beaucoup ceux qui vont venir après nous. Au bout de mon jardin, j’ai quelques mètres d’autonomie. Je vais essayer d’en profiter. Mais j’aurai préféré être un militant actif, c’est sur, mais je ne peux plus arquer ! Je vais essayer de retrouver de nouvelles exigences. Je les ai en tête d’ailleurs. Heureusement qu’il y a des gens comme vous qui font attention à moi. Je ne suis pas un artiste officiel.

Le Mague : Avez-vous des projets d’écritures dans votre besace ?

Jean Vautrin : Certainement un polar, bientôt. Un roman noir un peu dur. Je dois terminer mon quatrième tome sur 1917. J’ai le neuvième tome à écrire avec Dan Franck. On va finir au dixième. On va tuer Boro. On va le tuer en Hongrie d’une balle dans la tête comme on avait dit. Tout en ménageant le feuilleton, s’il fallait le ressusciter, on a déjà une combine (rire). Il faut avoir la perversité du feuilleton quand même ! Il a un fils, donc tout est prévu.

Le Mague : Quelle est la question que l’on ne vous pose jamais et sur laquelle vous rêvez enfin de répondre ? Allez-y, ne vous gênez surtout pas.

Jean Vautrin : Je ne suis pas une diva moi ! Etes-vous satisfait d’avoir vécu ? La réponse est oui, (sourire), ça m’a beaucoup intéressé. De mon côté, il n’y a pas beaucoup de déconvenues. Je crois que ce qui me ferait plaisir c’est si on parlait de mes livres plus tard, mais ?!! Laisser des traces, c’est bien présomptueux ! Vouloir être un artiste c’est déjà bien présomptueux. Restons modeste comme dirait l’autre. On croit qu’on invente. On met toujours ses pieds dans ceux d’un autre. En même temps, je trouve cela terrible. Avoir droit à une vie entière sans laisser de trace, je trouve ça très triste. C’est pour ça qu’il faut se dépêcher au moins de planter un arbre.

Illustration de l’article : collage de Jean Vautrin pour la couverture de La vie Badaboum, éditions Fayard