Jean Vautrin (2) : L’homme des copains d’abord

Jean Vautrin (2) : L'homme des copains d'abord

De ses rencontres amicales de travail d’autrefois avec Rossellini, Queneau, Audiard, Ramdji-Trois-Doigts le lépreux, à celles de nos jours avec Gérard Mordillat, Dan Franck, Tardi, Bernard Lubat…Jean Vautrin cultive la fibre fraternelle des partageux et des créateurs qui vivent intensément la verve populaire des révoltés de la marge et ses limites.

Le Mague : Parmi les nombreuses rencontres qui ont bouleversé votre existence, vous pouvez nous parler de Rossellini ?

Jean Vautrin : J’ai des maîtres. Rossellini m’a marqué, c’est sûr ! Il m’a appris à être gourmand des autres. Il n’écrivait jamais rien. C’était l’assistant qui prenait des notes. Par ailleurs, il n’était pas un homme entièrement moderne, puisque dans le cinéma dieu sait si la journée de tournage coûte cher, il était capable de dire : je ne tourne pas je n’ai pas l’inspiration ce matin. Par ailleurs en sa compagnie, on apprenait à être amoureux, vivre le monde, à aimer les animaux, à comprendre Saint-François d’Assise. C’était formidable.

Le Mague : Et Raymond Queneau ?

Jean Vautrin : Queneau c’était l’humour, ses gestes germanopratins d’intelligence. Derrière les verres de ses lunettes, il avait des yeux rieurs. Il avait un cerveau d’une agilité extraordinaire. C’était un grand encouragement pour l’écriture. C’est des gens qui vous enflamment.

Le Mague : Et parmi des exemples plus modestes ?

Jean Vautrin : Je parle toujours de ce lépreux que je connaissais très bien à Bombay qui s’appelait Ramdji-Trois-Doigts et était un homme jeune. Il vivait sur une plage qui s’appelait Chowpatty. Je m’étais pris d’amitié sans pouvoir vraiment communiquer avec lui puisque je baragouinais un peu de hindi. Quand il est mort, j’ai eu un chagrin terrible. Il m’avait conduit du côté d’une espèce de simplicité, de dénuement et d’une philosophie du renoncement absolument extraordinaire. J’y repense souvent.

Le Mague : Dans la vie de Jean Vautrin, vous avez à maintes reprises travaillé avec des aminches, je pense à votre équipée avec Jacques Tardi pour l’adaptation en bande dessinée du « Cri du peuple » et Dan Franck pour "Les aventures de Boro Reporter". Le travail à plusieurs, quels plaisirs cela procure ?

Jean Vautrin : Souvent du plaisir. Une conjugaison. C’est-à-dire un dépannage des idées. Quand on est seul, elles stagnent. C’est aussi pourquoi j’aimais beaucoup le travail de scénariste. On travaille en équipe et donc quand l’un est en panne l’autre peut le dépanner. C’est très agréable, c’est une manière d’avancer qui est plus fructueuse.

Le Mague : Tout de même, je suppose qu’il n’y a pas que des points agréables à travailler à deux ?

Jean Vautrin : Mais ça a aussi des inconvénients. Parfois on piaffe et on se dit qu’on ne voudrait pas être de ce côté-là. Malgré tout, faut y aller. En vertu d’une logique que l’autre a su trouver avant vous. C’est très aventureux l’histoire de la création. Il y en a toujours un qui s’impose. Celui qui parle influence toujours l’autre normalement. Celui qui écoute est en état de faiblesse. Dans un couple ou un attelage de créateurs, il faut se méfier de celui qui prend la parole dans la mesure où il est capable de capter la direction. Il y a des moments où on a envie de se cabrer où on n’est pas tout à fait d’accord.

Le Mague : Et concrètement avec Dan Franck par exemple, comment ça se passe entre vous ?

Jean Vautrin : Avec Dan, ça fait plus de vingt ans que l’on travaille ensemble. C’est vrai qu’il y a une fraternité. Ca présuppose aussi d’avoir les mêmes idées et de partager la même philosophie de l’existence, pas mal d’idées politiques et beaucoup d’idées sur les hommes. C’est évident. C’est vrai que c’est fructueux. Cela crée des raccourcis. J’aime beaucoup travailler en équipe.

Le Mague : Quels mots vous titillent l’esprit si je vous dis Bernard Lubat et Uzeste manifeste ?

Jean Vautrin : J’ai toujours aimé les tambours de Lubat. J’ai toujours aimé cet homme parce qu’il correspond aux Landais tels qu’on les décrivait autrefois. On dit que ce sont des gens criailleurs, batailleurs. Il est tout ça à la fois, sauf qu’il n’est pas prophète en son pays, le pauvre ! Je l’aime pour tout ce qu’on lui doit. Il a influencé beaucoup de gens. C’est un homme généreux, difficile, pas branché sur l’argent. Je crois qu’il est complètement habité par ce qu’il fait. Je ne suis pas du tout d’accord avec les autorités qui lui ont coupé les vivres. C’est quelqu’un de suffisamment généreux pour rebondir à chaque fois. Et puis, quand je revois son père Alban qu’on a mis en bière, qu’on a enterré comme à la Nouvelle Orléans. Quand je revois les bistrots de famille, sa mère qui était formidable.

Le Mague : Mais comment la population locale ressent ses créations ?

Jean Vautrin : Et ces putains d’Uzestois qui ne comprennent rien à ce qu’il fait, ahhhhh les vaches ! Alors que les parisiens viennent le voir et que des tas de gens l’admirent. Lubat, Nougaro lui doit. Minvielle lui doit tout. C’est un ami des mots, des poètes. Son alliance avec Manciet est quand même très étonnante. C’est un type à la fois fin et barbare. Quelle merveille ! Complètement avec la nature avant la lettre. Emmenant le jazz au fond des bois. C’est une vraie fontaine d’intelligence et de générosité.

A suivre le Chapitre 3 : Jean Vautrin, homme lumière de la photo argentique à la verve des mots à dessein où il nous exposera son amour pour la photo argentique, ses collages, ses œuvres plastiques, ses dessins, son géni des dialogues et la verve qu’il aime lover dans la bouche de ses personnages qu’il chérie avec le plaisir jouissif qu’il en tire et, enfin le Jean Vautrin des jours d’aujourd’hui et de ses projets d’écritures variées.