« Il était une fois la révolution » du western selon Sergio Leone !

« Il était une fois la révolution » du western selon Sergio Leone !

Le western traditionnel s’en prend plein les ratiches avec cet opus de Sergio Leone et ses deux héros aux antipodes de leur essence existentielle, que ça en devient explosif. Il y a de la nitro dans l’air entre Rod Steiger et James Coburn La révolution mord la poussière dans les affres des mensonges et de la trahison. Une fois de plus, Sergio Leone est un conteur lucide et pessimiste de la foutue nature humaine.

Il était grand temps que renaisse de ses amputations et autres entorses à l’œuvre de Sergio Leone, Il était une fois la révolution (1971), second volet de la trilogie Histoire de l’Amérique s’ouvrant sur Il était une fois dans l’Ouest (1968) et s’achevant sur Il était une fois en Amérique (1984).

D’autant que Sergio n’était pas pressenti pour la réalisation de ce film et c’est en quelque sorte contraint qu’il s’embarque dans cette aventure la caméra au poing, clin d’œil aussi évident à mai 1968. C’est un film que j’aurais dû seulement produire. Mais le réalisateur Peter Bogdanovich, avec qui j’avais commencé à travailler, concevait le sujet dans un style Hollywood. Puis les acteurs ont refusé de travailler sous la direction de mon assistant. Et Steiger n’a accepté le rôle qu’avec moi comme réalisateur, alors que j’avais proposé à Peckinpah de faire le film.

John Mallory (James Coburn), intello désabusé qui lit Bakounine et se déplace en moto, cache, sous sa veste de l’ancien membre de l’IRA spécialiste en explosif, un militant venu continuer son combat en Amérique centrale. Où est donc passé le traditionnel canasson qui avait le vent en poupe dans les déplacements en 1913 ! Etonnant non, le visage du western terne auquel Leone s’atèle à démantibuler toutes les articulations de ses ancêtres jusqu’à John Ford qu’il adule pourtant. C’est Ford qui, dans le passé, s’est le plus rapproché de la vérité de l’Ouest. Mais lui, est un optimiste : lorsqu’un personnage ouvre une fenêtre dans ses films, c’est pour regarder l’horizon avec espoir. Et moi, un pessimiste : car la peur d’être tué qui accompagne le même geste’.

Mourir pour des idées, Juan Miranda (Rod Steiger) péon crapuleux et avide de flouze espère encore de beaux jours ensoleillés pour lui et sa famille très nombreuse. La rencontre pourtant improbable entre ces deux héros si éloignés par l’essence de l’existence va pourtant prendre corps et bien.

La révolution sait être généreuse avec ses ouailles, même quand il s’agit de piller la banque centrale de Mesa Verde. Seulement les lingots sentant le carnage se sont fait la malle et les coffres recèlent alors d’autres trésors : des prisonniers politiques !

Sergio Leone bafoue la comédie humaine des tartuffes de la révolution pour leur bonne pomme. Il est tout à fait conscient des déconvenues du troupeau. Certaines allusions aux charniers des camps de la mort et du fascisme en Italie sont explicites. Je pars d’une situation historique qui est un prétexte, et d’un genre comme le western pour en dire plus. Les cadavres dans la grotte, les fusillades dans les fossés, la fuite du gouverneur en train correspondent pour moi (et le public italien y est sensible) à des épisodes précis de la lutte contre le fascisme chez nous, notamment la découverte de 350 cadavres juifs dans une carrière près de Rome, et la fuite de Mussolini.

Des critiques indigents ont taxé le cinoche de Leone de western spaghetti, c’est un cri d’injure à celui qui se revendique de la verve d’un Chaplin. C’est la leçon de Chaplin qui, à travers ses comédies, en a plus dit et plus fait pour le socialisme qu’un leader politique. La séquence de la banque, avec Steiger se retrouvant à la tête de tous les prisonniers libérés, vient directement des Temps modernes et de Charlot avec son drapeau rouge.

Enio Morricone se surpasse. Ses envoûtantes mélodies avec à la clé son fameux refrain "Sean Sean Sean" surlignent les images et les actions fumeuses et explosives. Une fois de plus il aiguise sa palette musicale pour notre plus grand plaisir. On a parlé d’opéra à propos de mes films, sans doute à cause de la place prépondérante qu’y occupe la musique de Morricone. Je préfère me référer au grand mélodrame dont le maître reste Homère, et au roman picaresque où il n’y a ni héros, ni bons, ni méchants.

Un fameux film qui n’a pas pris une ride et qui s’est même permis une digne toilette de restauration que l’on doit à la Cinémathèque de Bologne.

Ses deux héros, malgré le cabot Rod Steiger qui en fait toujours un peu trop dans la lignée de l’Actor Studio et l’énigmatique James Coburn, sont demeurés très pros au cour du tournage dans la peau de leur personnage. Trois mois avant le début du tournage, Steiger a engagé, à ses frais, une Mexicaine pour apprendre la langue. Et durant tout le film jusqu’à la post-synchronisation, il a continué à parler mexicain en dehors même du travail. Quand à Coburn, il a passé cinq semaines en Irlande pour travailler son accent. Ils ont fait ça d’eux-mêmes, par conscience professionnelle.

Fin de la mythologie du western si terne, avec ses préjugés sur ses héros dans un schéma éculé du bien et du mal, inspiré par la phraséologie catho. Sergio commet l’imparfait du sujet et dégomme tous les codes en vigueur. Cet exercice de style lui va à ravir et c’est tout à son honneur et pour notre plus grand bonheur qu’il filme. Je voulais mettre à mort le western traditionnel et le western que j’avais inventé. Pari gagné !

Même si parfois son pessimisme déteint la peloche, il a la caboche dure à la tâche, le zigue, et vraiment quel plaisir de voir et revoir sur écran géant les déambulations de ces deux héros hétérogènes et sans gènes. Un chef d’œuvre parmi tant d’autre de ce très cher Sergio Leone !

Il était une fois la révolution de Sergio Leone, copies restaurées par la Cineteca di Bologna, avec Rod Steiger / James Coburn, Italie / USA – 1971, 150 minutes, VOST, distribué par Carlotta Films, rééditions en salles en copies neuves le 21 octobre 2009.