« Querelle » de Fassbinder : un marin nommé désir de mort !

« Querelle » de Fassbinder : un marin nommé désir de mort !

C’est l’histoire d’un matelot qui débarque au port de Brest pour se confronter à son frère dans un bordel. La camarde dans son bastringue déglingue un Brad Davis, acteur querelleur et surineur épatant, sous le charme fou de sa plastique virile. Avec « Querelle » (1982), Rainer Werner Fassbinder signe son dernier film le plus personnel et le plus emprunt de la sensualité des maux des hommes.

Sans les littératures, il n’y aurait pas ou presque de cinéma. L’adaptation de Querelle de Brest de Jean Genet ((1947) par Rainer Werner Fassbinder (1982) en est encore un exemple de la transcendance textuelle par l’image. La prose infatuée d’un Genet (Que m’importe Jean Genet que tu bandes, Léo Ferré) vrille de ses mots nos mirettes sur l’écran géant entre les muscles du magnifique Brad Davis (Midnight Espress), interprète inquiétant du matelot Querelle (mataf pour les gens de la marine), à la tronche d’ange dévastateur et sexué. Rainer Werner nous conte avec son lyrisme habituel un échantillon d’histoires de mecs et de petites morts en dilatation des corps caverneux.

Pas de Prévert et de port dévasté sous le fardeau de Quelle connerie la guerre chez Fassbinder, mais des épidermes qui germent à la Féria, un bordel avec des hommes et une seule femme (Jeanne Moreau) pour tenancer et tancer son homme, un mastoc qui joue au dé le cul des clients. Mais aussi, un héros à la recherche du temps perdu de son frère, qu’il se rêve un double de lui-même qui aurait des attaches à quai. Tourné en studio, lumière crûe rouge bordeaux des projos, le sang y coule et la mort y roucoule des bites d’amarrage.

Georges Querelle, le héros de Genet est hanté depuis l’enfance par l’eau salée et la buée : Toute sa jeunesse il avait fréquenté les dockers et les marins de la marine marchande. Il était à son aise dans leur jeu. De l’ennui sur l’eau aux meurtres à la démarche chaloupée, (Même à terre un marin c’est dans l’eau Léo Ferré), Querelle accoste depuis le bateau « Le Vengeur » son lyrisme et sa beauté virile. Aucun homme ne peut lui résister, pas même Jeanne Moreau, mais c’est du pipeau. Et toujours cette litanie dans la bouche de Jeanne : Each man kills the thing he loves comme un couplet coupe choux, (Chaque homme tue ce qu’il aime, paroles d’Oscar Wilde).

Ce regard sévère parfois presque soupçonneux, de justicier même, que le pédéraste attarde sur un beau jeune homme qu’il rencontre, c’est une brève et intense médiation sur sa propre solitude.

Œuvre testamentaire du feu (snif) Fassbinder décédé à 37 ans ! qui dans sa généalogie des années 20 à 50 mettait en scène des femmes émancipées brutes de caractère, les Hanna Schygulla du Mariage de Maria Braun (1979) et Lili Marleen (1981) et Barbara Sukowa du Lola, une femmes allemande (1981). Il se résout enfin à camper les hommes sexués tels qu’ils les vampaient. Seulement, il ne survivra pas au montage de son film. Querelle fut en compétition au festival de Venise en 1982 sous la présidence de Marcel Carné qui a défendu le film de tout son réalisme poétique, en vain ! Il faut dire qu’à cette époque, le cinoche mouillait sa pelloche et ne nous conviait pas aux navetons nombrilistes d’aujourd’hui. Rainer Werner se targuait de côtoyer Et vogue le navire d’un Federico Fellini ou Blade Runner de Ridley Scott, des films qui eux aussi ne pouvaient pas nous laisser indifférents.

Rainer Werner bourreau insatiable de travail s’apprêtait à tourner d’autres adaptations littéraires difficiles, telles Bleu de Ciel de Georges Bataille et Cocaïne de Pitigrilli. La veille de son décès, il scribouillait des notes sur un projet de film consacré à Rosa Luxembourg.

Ce film est de la même verve théâtrale que la mise en scène des sensations divergentes, sous une focale morbide beaucoup moins controversée qu’un Salo, ou les 120 journées de Sodome dont j’ai déjà parlé. Querelle de Fassbinder signe son film le plus personnel sur la plastique des hommes qui aiment les hommes. Il subjugue et transcende Genet dans une fable des pulsions des corps. Du sang, du sperme et des larmes.

Un film bouleversant sous tous ses versants, où Brad Davis interprète un nouveau Théorème à la Pasolini, autre poète de l’image incarnée de l’empire des sens à la vie à la mort.

Querelle de Rainer Werner Fassbinder avec Brad Davis / Jeanne Moreau / Laurent Malet... RFA / France – 1982, 108 minutes, VOSTF, distribué par Carlotta Films et réédité en salles en copie neuves le 14 octobre 2009