En vélo solo sur trois continents, Kristelle Savoye l’instit formidable !

En vélo solo sur trois continents, Kristelle Savoye l'instit formidable !

C’est dingue ! Imaginez une jeune instit de 25 ans qui jette ses guiboles à l’abordage des braquets, ayant comme seule cadre son vélo sur trois continents : l’Afrique, l’Amérique du Sud et la Chine ! Passionnant, époustouflante Kristelle Savoye à l’entrevue du monde des vivants qui se pique du virus de la petite reine, alors que la reine de la liberté c’est bien elle durant son périple d’un an.

Son objectif : aller à la rencontre des écoles du monde. Echanger avec mes collègues des contrées traversées sera LE but de mon année sabbatique. (page 18) Dans son livre de très grande qualité, tant par son style que par les photos d’illustration, elle nous confie en toute humilité son carnet de route. Attention les mirettes, les émerveillements et autres gageurs de galères en rencontres extraordinaires, c’est toute la riche personnalité de cette jeune femme hors du commun qui s’exprime avec brio et exaltation de la vie.

Pour se faire, Kristelle a bénéficié d’une année de disponibilité durant l’année scolaire 2004 / 2005 aux fruits de grands sacrifices : J’ai fait des économies durant trois ans, vivant sans chauffage ni eau chaude dans mon appartement isérois pour m’offrir ce périple. (page 226) Puisque comme de bien entendu pour elle : Les rêves sont faits pour être réalisés. (page 10) Son compagnon à deux roues de l’échappée belle s’appelle évidemment RUYAM qui signifie MON REVE en turc.

Quatre mois pour débuter le périple en Afrique : Sénégal, Mali et Burkina Faso. Et déjà le désarroi de l’enseignante occidentale enthousiaste qui cabre son cheval de bataille. En Afrique de l’Ouest, moins d’un enfant sur trois va à l’école. Je repense à ces enfants qui font la manche en ville en quête de quelques piécettes ; à ces enfants qui vendent quelques fruits ; à tous ceux que je ne vois pas, reclus dans la case familiale à s’occuper des petits frères et sœurs, à cuisiner, à chercher de l’eau. (…) Beaucoup de gens reconnaissent le rôle de l’éducation et de l’instruction… pourtant à l’échelle individuelle, chaque membre de la famille est une bouche à nourrir et chacun doit y contribuer. Chaque enfant est donc perçu comme deux mains supplémentaires pour le champ, et non pas comme une tête à construire pour demain. (page 40)

Même si toujours l’enthousiasme reprend visage humain. J’aime cette Afrique pleine d’anachronismes qui me font rire et d’expressions qui me déstabilisent. Souvent je regarde les scènes de vie et les transpose par l’imagination en France. (page 74)

Il y aussi le théâtre de la vie qui descend dans la rue au plus proche des gens. C’est ainsi que je me retrouve dans un théâtre de rue pour assister à la représentation de « On ne paye pas » adapté de la pièce « Faut pas payer » de Dario Fo. (page 80)

Kristelle rencontre aussi un dénommé Christophe qui ne la laisse pas indifférente et réciproquement. L’amour se fiche des distances, encore heureux ! J’aime cette image de pont entre les continents. (page 218)

99 jour plus tard et 5 066 kilomètres au compteur, mi-décembre retour en France. Les amis sont présents, prêts à m’écouter… seulement qui peut me comprendre ? le décalage des vies et des préoccupations de chacun m’isole dans ma solitude. (page 110)

De décembre 2004 à mai 2005, 8 000 km défilent du Chili, l’Argentine et la Bolivie, sans au départ maîtriser la langue espagnole, dans des conditions géographiques extrêmes parmi des paysages à bout de souffle. Santiago du Chili, métropole décharnée : Santiago m’apparaît comme une capitale occidentale destinée donc à la consommation. Le centre affiche des écrans publicitaires géants, des gens au téléphone portable scotchés à l’oreille avancent sans se voir, des fast-foods pour personnes pressés empiètent sur les trottoirs. (page 116)

Je n’ai pas encore trouvé mes marques sur ce continent, ni cette quiétude qui m’habitait en fin de séjour africain. (page 119)

Elle reste toujours en contact. Il y a aussi intégré au texte quelques courriels que Kristelle reçoit qui ponctuent son parcours et lui donnent de l’avant. La fonction première des mails reste de partager. Partager au quotidien ce que je ressens, ce que je vis, mes joies et mes peurs. Et réciproquement, partager les confidences de ces personnes amies ou inconnues qui trouvent dans ma distance géographique et ma disponibilité un réconfort important. (page 197).

Et puis des images plein la tête et des photos gravés sur CD. Du repas chez Abdou à Ouagadougou à celui dans l’estancia jaune de Gerardo en Patagonie. Des rochers du pays Dogon à ceux du parc Torres del Paine. Ces flashs suivent l’unique logique de mon cœur, alors je les autorise pour la première fois à resurgir. Peut-être est-ce plus facile à faire dans un appartement français que dans le désert chilien ? (page 196)

Il y a aussi son épopée et son adrénaline qui déclinent les prouesses de Kristelle tant physiques que mentales à se surpasser non pas en terme de performance mais comme une excitation inédite. La peur, je l’ai… mais pour la route qui m’attend, cette dénommée Route de la mort qui fait des centaines de victimes chaque année. L’altitude du col, le dénivelé, le pourcentage des pentes, les statistiques morbides… m’impressionnent plus tous les risques encourus. Jamais je n’ai grimpé une dénivelée de 1500 mètres à vélo d’un trait, jamais je ne suis montée à 5000 mètres à la force de mes mollets. Cet inédit m’existe. (page 199)

La Chine avec sa copine Cécile, les idéogrammes indéchiffrables, les nombreux interdits dans ce pays, les modes de communication qui diffèrent radicalement ne confèrent pas à Kristelle beaucoup d’enthousiasme. Ainsi les regards et les sourires ne se vivent pas de la même façon, contrairement à ce que j’ai décodé en Afrique, en Amérique du Sud ou même en Inde. (page 233)

Mais en même temps, (déformation professionnelle oblige !) cette aventure lui permet de se transférer dans la peau d’une l’illettré. Je découvre de l’intérieur le monde de l’illettrisme. Je comprends moi l’enseignante, dans quelles difficultés vivent quotidiennement des millions de personnes. Le monde n’est pas ouvert à ceux qui ne lisent pas. Ces signes dans lesquels je ne perçois que des entrelacements de traits incarnent un code indéchiffrable pour moi. Je suis exclue juste par les traits ! J’apprécie d’évoluer à deux dans cette incompréhension. (page 233)

Enfin de parcours, et par un concours de circonstance hors de ses normes de simplicité, il s’avère que Kristelle et Cécile sont hébergées gratuitement au Hilton de Shanghai ! Finalement, après avoir goûté au cinq étoiles, je peux affirmer que je préfère avoir toutes celles de la voie lactée au-dessus de ma tête, de ma tente. (page 258)

Deux ans après son retour, c’est le temps qu’il fut nécessaire à Kristelle pour écrire son livre fabuleux de leçon de modestie et de savoir vivre avec tous les autres et recenser les milliers de pages écrites dans des cahiers au fil des pistes. Retour à la vie d’enseignante et à la dure réalité de la banalité au quotidien : Réconciliée maintenant avec ma vie de bohème et ma vie de fonctionnaire, je savoure le monde à chaque instant, dans chaque rencontre ici et ailleurs, essayant de voir mon présent avec la même attention que cette chenille sur ma piste en Patagonie. (page 261)

Kristelle n’a pas la grosse tête pour autant, elle communique facilement. Il faut souligner son autre rencontre fantastique avec les éditions le Pas d’oiseau dont j’ai déjà dit tout le bien dans un précédent article. J’ai très envie de l’interviewer pour qu’elle nous raconte la confrontation entre ses deux existences, la nomade et celle actuelle d’enseignante. A suivre donc.

Un grand merci à toi Kristelle pour ton livre d’aventures improbables pour nous autres terriens du terre à terre quotidien. Tu es une digne représentante de la filiation des fameux littérateurs qui nous convolent aux noces des voyages au bout du monde où l’on ne revient jamais indemne.

Kristelle Savoye A l’école du monde. Seule à vélo sur 3 continents, éditions le Pas d’oiseau, 268 pages et nombreuses illustrations, février 2009, 20 euros