Un point de détail

Un point de détail

Qu’est-ce qu’un livre sinon le dernier refuge de l’expérimentation ? Fabien de Cugnac, artiste belge, poursuit depuis des années une œuvre originale et peu commune basée sur l’observation attentive et scrupuleuse de l’intime au plus profond du grain de la peau.

La juxtaposition ultra esthétique des parties du corps en gros plan exposées dans le gigantisme.

« Nous nous adorons notre maman » est un livre objet dans le sens premier du derme. A la fois catalogue médical des anatomies de couleur ou métissées et catalogue d’exposition d’art contemporain, voilà un livre qui ne recueille pas tous les suffrages, qui alimente les polémiques.
Comme si la laideur du monde était là. Comme si le lecteur moyen ne pouvait pas voir ce qui se cache derrière le gros plan et qui nous ressemble tant.

Comment ne pas comprendre tout le discours libertaire, l’hymne à la différence et l’engagement idéologique contre la sélection raciale, l’eugenisme, l’esclavagisme et autres actions du même acabit ?

Alors on se réjouit qu’une telle œuvre choque le bourgeois, terrifie les libraires, soit interdite d’étalage. Quelle infamie honteuse que de montrer la nature comme elle est, millimètre par millimètre de poils et d’épidermes mêlés !

L’artiste n’est pas là pour rencontrer le consensus mou, pour rallier tous les suffrages, ce travail honni à l’époque de la télé réalité sera sans nulle doute classé historique avec le recul, « on ne rencontre jamais son temps à la bonne heure ».
Pourtant De Cugnac met de la distance avec l’objet. Un anus, ou un sexe en insert perd son potentiel érotique et devient autre chose, une matière que l’artiste peut regarder et sculpter à sa guise.

Ce dictionnaire anthropomorphique est une vraie réjouissance bien moins sensorielle qu’on pourrait le croire de prime abord. On est là dans le concept artistique, dans la vue de l’esprit, le corps devient à la fois unique et pluriel, perd sa substantifique moelle pour devenir un ailleurs que l’on peut traiter et maltraiter pour en tirer du sens et de la beauté.

« Nous nous adorons notre maman » est un retour à la matrice, à la mère nourricière, à ce trou béant par qui tout est arrivé, par qui toutes les diversités sont possibles. Œuvre sur le big bang cellulaire et la magie de la génétique,

Fabien De Cugnac devient metteur en scène sublime du fragment dans un cahier qui suinte, coule et secrète.
Le mauvais goût n’est pas toujours là où on le pense.
Tant mieux si d’aucuns auront les glandes en le compulsant, ce n’est qu’un détail.

Nous nous adorons notre maman, de Fabien de Cugnac (Editions Que)

Nous nous adorons notre maman, de Fabien de Cugnac (Editions Que)