Ubu a un petit vélo dans la gidouille, docteur Ludo !

Ubu a un petit vélo dans la gidouille, docteur Ludo !

Les éditions Le Pas d’oiseau ont déployé leurs ailes pour nous enrouler les braquets autour d’Alfred Jarry, en forme des jarrets, dans ses écrits vélocipédiques et le très sérieux docteur Ludovic O ‘Followell, qui s’interroge, sur la « Bicyclette et Organes génitaux » paru en 1900. Après avoir lu ces deux ouvrages, plus jamais vous ne montrerez la même conne / évidence avec la petite reine ! Le mou de veau en selle des surmâles et des femelles, merci du cadeau !

Il est vraiment des éditeurs étonnants voyageurs ! Henri Taverner chez Le Pas d’oiseau me botte les pneus. Je l’ai joint pour qu’il me fasse parvenir l’ouvrage de l’institutrice voyageuse Kristelle Savoye, auteure de « A l’école du monde. Seule à vélo sur 3 continents ». Après quelques échanges sympathiques par courriel et l’évocation de ce cher Jarry, voilà t’y pas qu’il m’emboîte le pas et m’envoie en plus du livre de Kristelle, « Ubu cycliste » et « Bicyclette et Organes génitaux ».

Une fois n’est pas coutume, pour cet homme éclairé, je déroge à ma règle qui consiste à ne chroniquer que les livres que j’ai sciemment choisis et avec lesquels je me sens des pieds partager des affinités électives. Cette grande liberté unique dans le paysage du web, le Mague rend cette formidable utopie vivante ! Quelle joie de se transgresser le bout du nez….

Comme vous le savez, à la Belle Epoque pas si formidable, notre taux de natalité jouait des castagnettes devant les buvettes de notre beau pays de France. Alors que l’Allemagne renfrognée sur sa défaite et au fait de la vengeance enfantait à tour de bras. On note au moins deux causes érigées en dommage de guerre : les hommes en selle dérouillent leur virilité et pour les femmes, gare à la fertilité abandonnée dans les ressorts et les rugosités de la route.

Encore plus grave ! La femme issue du servage de l’ouvrière, qui œuvre sur sa bécane à coudre, lorsque sa matrice embrase un biclou, cet engin du diable, elle peut ressentir et cueillir un certain plaisir. Il en va de la survie de la nation, si la femme s’émancipe les mollets et, si en plus, elle dépossède l’homme dans son rôle de père et se résigne à jouir dans ses déplacements cycliques !

Heureusement, le professeur Fol Amour, heu pardon, le docteur Ludovic O ‘Followell va rectifier certaines velléités désobligeantes et s’auréoler du blason du bon toubib, sauveur de la nation. Dans son ouvrage savant, à force de schémas et explications scientifiques, il va tenter de répondre aux questions que vous vous posez toutes et tous, lorsque vous enfourchez votre bicyclette : « Donne-t-elle ou non à l’homme la vigueur, à la femme le sang froid, à toute la santé ? » (page 29).

Sachez pour commencer, qu’il existe des différences morphologiques entre les deux sexes de la luxure et que pour prendre assise, il faut en tenir compte. « Le bassin étant plus large que chez l’homme, les tubérosités ischiatiques plus éloignées l’une de l’autre, il est nécéssaire que la partie postérieure de la selle pour femme soit plus large que pour l’homme ». (page 47).

Ubu, heu pardon, Jarry se rit de ces forfanteries des savants conformistes. La fesse / aile à ne pas confondre avec la faisselle de la catégorie des fromages blancs, lui, l’heureux possesseur d’une bicyclette « Clément luxe 96 course sur piste » s’en tape les bourses de ces préceptes. Un flingue en poche et la cuillère souillée d’absinthe, il déménage des méninges. Ce qui ne l’empêche nullement de se muscler les gambettes au guidon de son engin de mort.
Où l’on apprend dans l’excellente introduction de Nicolas Martin qu’au « tourisme des sites et monuments » Jarry (1873 / 1907) oppose « l’émotion esthétique de la vitesse dans le soleil et la lumière » ; aux cyclistes qui « se croyant poètes ralentissent sur une route, contemplant les points de vue », il préfère ceux qui se servent de cette machine à engrenages pour capturer dans un drainage rapide les formes et les couleurs, dans le moins de temps possible, le long des route et des pistes ». (page 24)

Et oui, Jarry à vélo était un rapide avide de sensations nouvelles qu’il nous livre dans son œuvre littéraire et ses articles. « Le Surmâle » fameux met en scène deux tentatives de record peu banales. Sur les dix mille miles entre Paris et Irkoutsk, une quintuplette affronte un train lancé à toute vapeur sur les rails de la pagaille. Sauve qui peut l’honneur perdu des cinq hommes machine dopés au « Perpetual-Motion-Food (L’Aliment–du-Mouvement-perpétuel », à base de strychnine et alcool, « la seule boisson hygiénique était l’alcool absolu » A côté, l’EPO c’est de la gnognote acidulée et la potion magique de chez Astérix et Obélix, un élixir coupé à l’eau de rose !

A ce sujet, Jarry en connaissait un sacré rayon. Rachilde nous conte les prouesses quotidiennes de notre Ubu estomaqué ! « Jarry commençait la journée par absorber deux litres de vin blanc, trois absinthes s’espaçaient entre dix heures et midi, puis au déjeuner il arrosait son poisson ou son bifteck, de vin rouge ou vin blanc alternant avec d’autres absinthes ». (page 20). Quelle santé pour ce début de clarté !

Que nenni, l’avis de Ludo abreuvé entre autre à la fiole de ce cher docteur Pinard. La bicyclette « constitue en outre une de nos armes les plus fortes dans la lutte qu’il faut livrer contre l’alcoolisme ». (page 153). Aux armes citoyennes et citoyens : « Le sport cycliste rapprochant l’homme et la femme, éloignant l’un de l’alcool et du jeu, permettant à l’autre un exercice agréable et facilement dosable, peut-il donc être un agent de dépopulation ? N’est-il pas, au contraire, rationnel de penser que la bicyclette ne peut avoir qu’une influence heureuse sur le nombre et la qualité des naissances ? (page 155).

Jarry, père de la pataphysique basique, grand chercheur querelleur contre le sirupeux sérieux qui tue d’ennui, inventeur en apesanteur « des courses de bicyclette dans le vide », grand partageur de son maigre espace chambré avec son célèbre destrier de course, Jarry je t’apprécie.

Il met en scène pour notre plus grand bonheur, un Jésus épineux : « C’est ce qu’on appelait la bicyclette à corps droit ou à croix. Donc Jésus, après l’accident de pneumatiques, monta la côte à pied, prenant sur son épaule son cadre ou si l’on veut sa croix ». (page 92), des piétons écraseurs, un Sisyphe incisif, l’acrobate du « looping the loop » et bien d’autres de la même verve.

Cet éditeur, voisin du Sud Ouest, est basé à Toulouse et a plusieurs ouvrages à vous proposer au rayon cycles qui vont des Pyrénées à l’Ariège et même toujours plus loin….

Un grand merci aux éditions Le Pas d’oiseau d’avoir fêté dignement le centenaire de la mort d’Alfred Jarry à bicyclette entre les pages de ce livre étonnant et déroutant, mais 0 combien charmant. Merci aussi pour cette étude médicale et autres considérations taquines des organes de l’assise personnalité sexuelle telle quelle en selle, du bon docteur Ludovic O’Followell, well well. Vraiment très bien également l’introduction claire et documentée de l’historien américain cycliste bilingue, Christopher Thompson. Désormais je suis incollable. Bartholin et sa glande vulvaire, c’est devenu un bon copain. Je vais même me présenter à Question pour un champignon.

Bicyclette et Organes génitaux du docteur Ludovic O’Followell, collection « Du petit véhicule », éditions Le Pas d’oiseau, mai 2009, 176 pages, 13 euros

Ubu cycliste d’Alfred Jarry, éditions Le Pas d’oiseau, 2007, 106 pages, 10 euros