Kon Ichikawa ou le cinéma d’adaptation littéraire d’après guerre

Kon Ichikawa ou le cinéma d'adaptation littéraire d'après guerre

Kon Ichikawa est un cinéaste foncièrement humaniste et pacifiste. Ses trois films tournés entre 1955 et 1963, réunis dans ce coffret, peuvent être qualifiés de film léger pour « Seul sur l’océan Pacifique » et films effervescents pour : « Kokoro » et « La harpe de Birmanie ». Il y a aussi chez ses héros, cette complexité intérieure dans leur rapport au Japon. Un qui fuit à la voile son pays, alors qu’un autre préfère rester en Birmanie et le troisième se suicide.

Sa femme signe les trois scénarios adaptés de romans connus. Le cinéma de Kon Ichikawa, à travers ces trois films très différents, est un cinéma d’adaptation littéraire, dans la conciliation d’une culture populaire et l’expression artistique d’une souffrance existentielle Comme toujours chez Carlotta Films, j’apprécie les préfaces. Celles de Diane Arnaud, pour chacun des films, représentent un précieux outil de compréhension de la culture japonaise mise en scène dans ces longs métrages d’un autre âge.

.« La harpe de Birmanie », fable pacifiste et humaniste est l’adaptation du best seller de Michio Takeyama publié en 1948, paru tout d’abord sous forme de feuilleton et destiné à la jeunesse. Ichikawa tourne le film en 1956, soit dix ans après la fin du conflit et le retrait des forces d’occupation américaine. A Venise, il remporte un prix et l’estime du public international qui plébiscite son humanisme même si le cinéaste est confus : « L’humanisme, je l’ai cherché un peu partout, mais je ne l’ai jamais trouvé ».

Entre 1956 et 1961, Ichikawa réalise « La harpe de Birmanie » et « Feux dans la plaine », la guerre étant considérée comme une tragédie collective. Alors que Makasi Kobayashi tourne « La condition de l’homme » qui est un regard critique absolu contre l’aliénation de la guerre. Ces deux fameux cinéastes sont appelés « les humanistes de l’après guerre ».

Une compagnie japonaise est en déroute dans la jungle birmane plusieurs jours après la fin de la deuxième guerre mondiale. Mizushima, jeune joueur de flûte est la coqueluche du régiment. Il accompagne la chorale dirigée par le capitaine, musicien dans le civil. Sans doute que la musique et le jeu des voix représentent les personnage principaux dans cette histoire, tant elle tend à prendre de plus en plus d’importance au fil du récit. Akira Ifukube est le compositeur qui nous accompagne tout au long des images. Notre harpiste en plus de ses facultés musicales est aussi un caméléon qui sait se fondre dans le paysage en se faisant passé pour un birman. A mesure que le film avance, il va bientôt osciller selon ses différentes personnalités : être civil ou militaire et / ou être japonais ou birman.

Il y a cette scène grandiose du cinéma nippon où les soldats japonais sont encerclés par les Alliés dans un petit village et sur le point d’être chargé, lorsque comme un seul homme, la troupe entonne « Hanyû no yado » qui correspond dans sa traduction anglaise au célèbre « Home sweet home ». Ce chœur enfiévré repris par leurs ennemis engendre la dépose des armes sans aucune effusion de sang, comme si la musique exprimait la cohésion fraternelle de tous ces êtres étrangers à quelle connerie la guerre qui les oppose.

Mizushima se porte volontaire pour une mission afin qu’une des dernières poches de résistance se rende. Dans cette scène il est porté disparu. Recueilli par un bonze, il survit à ses blessures et vole les habits du moine. Sous ses nouveaux oripeaux, il va vivre une effroyable contradiction sur le plan moral et spirituelle due à cette rapide conversion au bouddhisme, qui lui permet de profiter d’offrandes que lui confère son nouveau statut. Il va traverser la Birmanie du Nord au Sud pour tenter de rejoindre sa troupe.

Durant ce long trajet, il est confronté aux horreurs de la guerre Il déclame sa détresse : « - Non, je ne peux retourner au Japon. Dans les montagnes, dans les forêts et les vallées, pourquoi a-t-on abandonné les cadavres de nos hommes un peu partout en Birmanie ? » Cette prise de conscience lui ouvrira un autre avenir. Ce film bouleversant forgé dans la sensible réalité, que notre culture occidentale ignore bien souvent, nous submerge par ce chorus des voix de la paix.

La harpe de Birmanie de Kon Ichikawa / DVD 9 : nouveau master restauré / version originale sous titrés en français / format 1,33 respecté – 4/3 / noir et blanc, 111 minutes, 1956, prix du DVD seul : 19,99 euros, août 2009
Préface de Diane Arnaud (12 minutes) + L’histoire d’un soldat (23 minutes) par Claire Akiko Brisset / bande annonce

« Seul sur l’océan Pacifique » s’est inspiré de l’exploit en 1962 de la traversée à la voile depuis Osaka jusqu’à San Francisco par Kenichi Hori, un jeune japonais, sur une coque de noix de 6 mètres ! Ce film d’aventure tourné en décor réel sur l’océan et dans la baie de San Francisco relate aussi les cinq années de construction du bateau et l’obstination du héros pour parvenir à ses fins contre l’avis de ses parents.

- Pas la peine de t’opposer à mon départ ! J’ai pris ma décision. N’essaie pas de me retenir. / Sa mère : - Tu te donnes autant de mal pour qu’on te mette en prison / L’important c’est que je traverse le Pacifique. Etre arrêté ne me dérange pas. / - Tu es mon frère, tu t’en sortiras lui dit sa sœur cadette.

Oui, en effet, c’est de l’engeance des voyous, ce d’jeune là ! Il part hors la loi et sans papier, alors que son pays lui interdit de sortir de son territoire. Il est plus porté d’atteindre l’Amérique que fuir un système autoritaire d’oppression, de hiérarchie et de contrôle social, dans ce Japon du miracle économique des années 60.

Il s’agit d’une aventure épique en référence directe avec le mythe de la lutte entre l’homme et la nature. Le cinéaste Ichikawa toujours perfectionniste l’exprime parfaitement par l’emploi de la couleur dans des plans très larges et l’utilisation du scope. On passe en montages parallèles de la préparation minutieuse du périple sous forme de flash-backs à la traversée proprement dite et aux monologues du héros. Après 6 000 miles et 94 jours de traversée, après avoir essuyé des tempêtes, des typhons et des calmes plats, notre héros dans ses tongs titube sur le ponton de San Francisco.

Les amoureux de la voile vont se régaler. Les allures de navigation sont superbes. On respire l’iode par tous les temps sur cette frêle embarcation, qui file à fière allure avec son marin aguerri au caractère bien trempé et déterminé à réussir son aventure fantastique au risque de sa vie. Tout en sachant, que le principal exploit réside aussi dans l’étonnant savoir faire de toute l’équipe au complet autour de Kon Ichikawa qui s’est acquitté une fois encore de son art, dans des conditions extrêmes pour notre plus grand ravissement.

Seul sur l’océan Pacifique de Kon Ichikawa / DVD 9 - : nouveau master restauré / version originale sous titrés en français / format 1,33 respecté – 4/3 / couleur / 97 minutes / 1963
Préface de Diane Arnaud (12 minutes) / bande annonce

« Kokoro », d’après un roman de Natsume Soseki relate la souffrance existentielle traitée sans sentimentalisme. C’est un drame psychologique assez claustrophobique resserré autour de quatre personnages liés aux triangulations affectives. Nobuchi est un professeur universitaire à la retraite qui traîne dans sa tête un secret lourd de conséquences, qui à force détruit peu à peu sa vie de couple, depuis treize ans, avec Shizu sa vénérable et très jolie épouse.

Durant sa jeunesse étudiante, il avait un ami Kaji, décédé très jeune. De son attachement excessif pour Kaji, la question ouverte sur l’homosexualité refoulée entre les deux hommes surgit du bois et entretient un amour passionnel inaccessible.

Sa femme larguée par les démons intérieurs de son mari l’interroge : - Est-ce qu’un homme change autant quand il a perdu son meilleur ami ? – Je veux savoir ce que tu as dans ton cœur ? En vain !

Ce huit clos qui donne accès au contexte historique (Fin de l’ère Meji), concerne le quotidien de la classe moyenne des habitants de Tokyo.

Il se rend sur la tombe de son ami et à cette occasion rencontre Yoki, un jeune étudiant qui apparaît à la place de Kaji. A son contact et malgré la jalousie qu’exprime sa femme, et son spleen (« je ne suis pas humain) », il dresse un pont en point d’explication sur le drame qui s’est joué entre lui et son ami.

Durant ce drame morbide, on ne se fend pas vraiment le bide, même si les plans dans la nature en noir et blanc sont confondants d’esthétisme. Des trois films, c’est certainement le plus intimiste, puisque l’action se déroule autour du dévoilement progressif du héros par de nombreux flashs backs

Koroko de Kon Ichikawa / DVD 9 - : nouveau master restauré / version originale sous titrés en français / format 2.35 respecté / noir et blanc / 122 minutes / 1955
Préface d’Anne Arnaud (13 minutes)

Coffret : 3 grands classiques du cinéma japonais d’après guerre par Kon Ichikawa, sortie le 19 août 2009, distribué par Carlotta Films, prix 39,99 euros.