Boro, reporter photographe, court « La dame de Jérusalem »

Boro, reporter photographe, court « La dame de Jérusalem »

Jean Vautrin et Dan Franck ont encore sué du burnous pour offrir à leurs lectrices et lecteurs exigeant(e)s : « La dame de Jérusalem ». Le huitième épisode d’une nouvelle aventure captivante et fraternelle des aventures de Boro, reporter photographe et sa bande, lors de la répression à Prague en 1948 et à l’aube d’une nouvelle tragédie humaine : la naissance de l’état d’Israël, portée pourtant au départ par une généreuse utopie.

J’ai déjà dit toute mon admiration sans aucune restriction concernant l’œuvre de Jean Vautrin. Son compère et frangibus de plume Dan Franck est aussi un auteur singulier à bien des égards. Je ne suis pas du tout accroc aux vicissitudes de sa vie de couple (« La Séparation) et son attachement à Zinédine Zidane, que je considère comme un simple coup de pied indigne à ses origines kabyles des montagnards poètes et rebelles (« Zidane : le roman d’une victoire »).

En revanche, le zigue m’a tiré des larmes de jouissance à la lecture de « Bohèmes. Les aventuriers de l’art moderne (1900 / 1930) » et sa déclinaison littéraire de son « Nu couché ». J’ai suivi son combat pour faire admettre dans les sphères des amphithéâtres, qu’un littérateur de talent est aussi compétent sinon plus de donner à partager par ses écrits, ses connaissances dans le domaine de l’histoire humaine des arts en mouvement permanent, qu’un vulgaire universitaire de salon vermoulu par trop englué dans ses certitudes et sa caste des intouchables.

La littérature porte la liberté de penser et écrire sa lecture du monde pour le plus grand nombre.

Le tandem Vautrin / Franck pédale depuis plus de 22 ans déjà à dépeindre les histoires, les amours de vive la sociale partout où ça bouge et ça pulse l’humaine condition sur la planète terre, à travers l’objectif subjectif de Boro reporter. Il en dit déjà long sur la complicité de ces foutres bons bougres. C’est d’autant plus fort lorsqu’on connaît les styles si chers à ces deux auteurs, qu’il nous est si difficile d’y reconnaître lequel des deux a écrit tel ou tel chapitre. Chapeau les artistes !

Jean Vautrin et Dan Franck mes feuilletonistes préférés dans la verve du feuilleton populaire à la Paul Féval (« Les habits Noirs ») ou d’un Eugène Sue (« Les mystères de Paris »). D’ailleurs au chapitre de tes influences, de tes maîtres et de tes rencontres, mon cher Jean, tu nous indiques que sans le père Dumas (comme aimait le convoquer à sa table de travail le feu Daniel Zimmermann), Charles Dickens, Victor Hugo, pas de Boro. Tu n’aurais pas exercé ta faculté de ressusciter la tradition du roman feuilleton. « Sans Gaston Leroux, sans Conan Doyle, sans Maurice Leblanc, Agatha Christie, pas de détectives, pas de journalistes, de suspens, de rebondissements ! » (page 107 de « La Vie Badaboum de Jean Vautrin)

Jean et Dan, vous faites œuvre à votre tour de festoyeurs enthousiastes du feuilleton avec tous les ingrédients inhérents à cet art littéraire si exemplaire, qui consiste à ce que votre lectrice ou votre lecteur ne pose jamais son livre avant d’avoir lu le mot fin, tellement sa lecture est haletante et existante.

Vous vous en donnez à cœur joie, quitte à nous chambouler nos préjugés bien orchestrés. Comme si certains faits historiques se reproduisaient selon Boro. « La situation de Prague lui rappelait celle de Barcelone en 37. Avec cependant, une différence essentielle : en Espagne les staliniens avaient réduit leur opposition de gauche par la force et organisé la prise du pouvoir par les armes. Ici, ils se couvraient derrière un vernis démocratique ». (page 292)

Autre contradiction entre le rêve et la réalité concerne les espoirs de Ben Gourion : « Militant socialiste, il avait eu un mot d’une terrible lucidité à propos d’Hitler : il avait affirmé que, sans lui, l’Etat juif n’existerait pas, mais que, à cause de lui, cet Etat ne serait pas fondé sur les valeurs socialistes et humanitaires défendues par les pionniers et les sabras. La plupart des Juifs d’Europe concevaient un pays de syndicats communautaires et de fermes collectives. Ils n’étaient plus là pour défendre cet idéal. Ben Gourion doutait que les Juifs séfarades montrassent les mêmes exigences sociales et politiques ». (page 256)

Il y a chez Blémia Borowicz un je ne sais quoi d’Henri-Cartier Bresson, un Leica en bandoulière, co-fondateur de l’agence Magnum aux Côtés de Robert Capa, le choucas alias André Ernö Friedmann. Ces deux hongrois se suivent et se ressemblent à s’y m’éprendre. Ils se rencontrent enfin comme par un heureux hasard ! « - Salud ! fit Capa. Son visage était de marbre. – Salud ! répondit Boro. Ils élevèrent le poing à hauteur d’oreille comme faisaient les volontaires des Brigades internationales, puis Capa se détourna et Boro revint vers sa cousine ». (page 345)

Dans « La dame de Jérusalem », on retrouve un épisode revisité de « Kedma » (film d’Amos Gitaï), ce vieux cargo rouillé où s’amoncellent des centaines de survivants de l’holocauste venus de toute l’Europe pour poser pied enfin sur la terre promise. Ils sont accueillis par les soldats britanniques comme Boro ! Les Arabes étant à leur tour déracinés… Il y a aussi Janusz, le juif désorienté par la teneur et la férocité des combats, qui hurle son nouveau désespoir : « Nous en sommes toujours là dans ce cauchemar ».

Plus proche de nous, Avi Mograbi réalisateur israélien du brûlot « Z 32 », analyse les traumatismes sur les deux bords de l’échiquier. Enfin, je rends un vitrant hommage à Sara Alexander décédée jeudi 28 mai 2009 à Nice, qui naquit à Jérusalem et fut en tant que chanteuse / auteure et compositrice depuis les années 70, l’ambassadrice de la paix et le rapprochement entre Palestiniens et Israéliens.

On repense dans l’action avec « La dame de Jérusalem », à toutes les contradictions, toutes les tendances, tous les espoirs, toutes les soifs d’un avenir serein et sans guerre. Les débats animés concernant les vertus d’un socialisme utopique entre les personnages formulent certaines réalités. On sait à présent l’échec patent de paix entre les deux camps belligérants, que fut le partage de la Palestine. En tout cas, on suit tous les tourments et les retournements de situation. On assiste aux forceps à la naissance de l’Etat d’Israël, mieux que dans un film, puisque les plumes de ces fameux auteurs trempées dans le rythme soutenu des chapitres gorgés de cœurs de tripes et de sperme, nous plongent à la manière d’un appareil photo dans les focales des héros de cette réalité brute de brute.

Boro est embarqué dans cette aventure suite à une convocation à Jérusalem de la part d’une charmante jeune fille en chaussettes. Les femmes autour de lui ont toujours une personnalité et une sensualité affirmées. Sasha saura remettre le macho qui est en lui à sa place : « Dans un pays libre et indépendant, les femmes sont libres et indépendantes ». ((page 377) Dimitri lui aussi rue dans les brancards : « je n’ai pas fait tout cela pour en arriver là, dit-il d’une voix très calme. Je n’ai pas combattu les nazis pendant quinze ans, les franquistes pendant deux ans, pour prendre la place d’un peuple sur une terre convoitée ». (page 282) Et pourtant…

Un grand merci une fois encore, à vous Jean Vautrin et Dan Franck d’avoir commis ce nouveau feuilleton concernant une époque troublée et si difficile à traiter sans partis pris. Vos personnages expriment les tendances en présence et donnent du relief à votre récit. Merci à vous de revisiter l’histoire de la Palestine. Merci à vos personnages de chair et de sang et à leurs convictions bien trempées. Longue vie à Boro et à ses auteurs. Portez-vous bien dans la joie et la bonne humeur de vivre « La vie badaboum ». A suivre les prochaines aventures de Boro et tous ses ami(e)s …

La dame de Jérusalem de Dan Franck et Jean Vautrin, éditions Fayard, 379 pages, avril 2009, 22 euros

Les précédents épisodes :
La dame de Berlin /
Le temps des cerises /
Les Noces de Guernica /
Mademoiselle Chat /
Boro s’en va en guerre /
Cher Boro /
La fête à Boro