Les élections afghanes perturbées par la guerre

Les élections afghanes perturbées par la guerre

Les talibans ne désarment pas à la veille des élections générales en Afghanistan, malgré le soutien affiché d’un des chefs de milice les plus connus en faveur du président Hamid Karzai en quête d’une coalition hétéroclite dans les derniers jours de la campagne électorale.

La menace terroriste fait peser de grandes incertitudes sur le scrutin de jeudi, les talibans faisant monter la pression d’un cran supplémentaire au moment où 182 centres de santé sont réquisitionnés pour faire office de bureau de vote dans les 1.750 que compte le pays. Mais le principal rival du candidat à sa réélection à la présidence, Abdullah Abdullah, a organisé un grand rassemblement populaire dans la capitale, Kaboul.

Dans le nord du pays, des milliers de personnes ont accueilli le général Abdul Rashid Dostum, ancien chef de la milice ouzbèque de retour dimanche d’exil en Turquie. "Nous devons entrer dans le futur avec Hamid Karzai", a-t-il annoncé à ses partisans venus l’encourager à Shiberghan, la capitale de son fief. Les sondages donnent 45% des voix au président en exercice, une confortable avance qui ne lui permet cependant pas de dégager une majorité claire contre Abdullah Abdullah.

Ce dernier peut se prévaloir de l’important soutien de communautés ethniques, comme les Tadjiks dans le Nord. Celui du général Abdul Rashid Dostum apporte assez de suffrages à Hamid Karzai pour remporter les élections au premier tour, mais il faudra sans doute compter sur son retour au gouvernement en dépit de l’opposition affirmée des États-Unis et les Nations Unies.

"Nous ne devons pas le contraindre à un deuxième tour", a clamé Abdul Rashid Dostum en lançant dans la foule des exemplaires de son programme politique, facilement identifiables à leur couverture de velours rouge. "Un jour viendra, si Dieu le veut, où je pourrai aider de nouveau tous les citoyens d’Afghanistan" ! Mais des troubles ont eu lieu avant son arrivée pour la prise de parole. Une chorale dirigée par un garçon de 15 ans a chanté : "Notre roi arrive"…

Abdullah Abdullah aussi a présidé un meeting monstre dans le stade national olympique de Kaboul, utilisé auparavant par les talibans comme lieu d’exécution publique, et ses gardes du corps ont dû repousser les partisans enthousiastes avec leurs fusils. Quelques-uns d’entre eux se sont précipités vers leur leader en faisant voler les portes en verre en éclats, tandis que d’autres se sont pendus à un échafaudage. Celui-ci s’est effondré sous leur poids, précipitant les journalistes de télévision qui l’utilisaient par terre et blessant légèrement plusieurs personnes.

Mais la menace terroriste est susceptible de contrecarrer les chances du président Hamid Karzai de vaincre dès le premier tour. Les talibans ont mis leur menace de perturber le scrutin à exécution, faisant peser de grandes incertitudes sur la participation électorale, particulièrement dans le Sud pachtoune sur lequel le président en exercice s’est appuyé par le passé. S’il ne remporte pas la mise dès jeudi, Hamid Karzai ferait face au candidat le mieux placé, probablement Abdullah Abdullah, dans un délai qui peut aller jusqu’au mois d’octobre.

Les responsables des élections font lundi un tableau très optimiste après des enquêtes montrant que 10% des 7.000 bureaux de vote ne pourraient pas ouvrir en raison des problèmes d’insécurité dans le pays. Zekria Barakzai, sous-chef de la commission électorale indépendante désignée par le gouvernement, a signalé que 442 d’entre eux devraient rester fermés jeudi. Si Hamid Karzai s’est concentré sur l’édification d’une coalition, la campagne de son concurrent principal se fonde sur un bel élan populaire dans l’ensemble de l’Afghanistan, drainant de nombreuses assistances dans les meetings.

Hamid Karzai s’est employé à rallier les chefs de clans et les anciens commandants de milices, ce qui a eu pour effet d’alarmer les pourvoyeurs de fonds occidentaux, qui craignent un retour en force des seigneurs de la guerre, dont les querelles fratricides ont fait sombrer l’Afghanistan dans la violence au cours des années quatre-vingt-dix. Peu d’anciens chefs de guerre sont regardés avec autant de méfiance que le général Abdul Rashid Dostum, ancien allié communiste et grand amateur de whisky, dont les forces armées ont changé de camp à plusieurs reprises au cours de la guerre civile.

Il a obtenu 10% des voix à la dernière élection de 2004, et son soutien immédiat pourrait contribuer à la victoire de Hamid Karzai au premier tour. "Nous l’aimons comme un père", explique un jeune commerçant de Shiberghan juste avant la réunion électorale. "Il est notre ancien et j’accepterai de faire tout ce qu’il dit" ! Aleem Siddique, un porte-parole des Nations Unies, souligne que l’Afghanistan "a plus besoin de politiciens compétents, et moins de seigneurs de la guerre". Un diplomate américain a fait part des soucis des Etats-Unis au sujet de Abdul Rashid Dostum.

Son ralliement "a soulevé des questions sur sa culpabilité en ce qui concerne des violations massives de droits de l’homme". Hamid Karzai a aussi obtenu le soutien de puissantes personnalités claniques dans l’Ouest de l’Afghanistan, et ses deux candidats à la vice-présidence sont d’anciens chefs de guerre des minorités tadjik et hazara. Il a également l’appui des chefs de guerre pachtounes de son propre camp.