Jean Vautrin : "Marcher à la verve pamphlétaire" !

Jean Vautrin : "Marcher à la verve pamphlétaire" !

« La Vie Badaboum » de Jean Vautrin est une ode à l’amour de la vie sur le mode de toutes ses révoltes contre les guerre, l’argent pourri, l’éther fané, nos cœurs fracassés et autres saloperies. Il a réuni des textes, ses cris qui vrillent nos tympans, « malgré le saumure où nous sommes ». Et c’est pan pan dans te tas des bling-blings et autres assassins de l’humaine condition fraternelle.

Jean Vautrin est un sacré gaillard qui sait porter haut le verbe de la Commune de Paris et « Le Cri du peuple ». Sous sa carcasse lorraine jaillie lors de l’avènement du petit peintre viennois raté, il ratiocine sous deux blazes, le zigue ! Jean Herman pour le lecteur de littérature française à l’université de Bombay, le reporter-photographe et dessinateur humoristique pour « l’Illustrated Weekly » mais aussi l’assistant de Roberto Rossellini en Inde ! Metteur en scène en flagrant délit d’adaptation du père Queneau ainsi que pour différents longs métrages qui carburent au noir et aux scénarios en pétard.

La rencontre avec Michel Audiard qui deviendra son aminche et confrère lui confèrera un certain regard et des perles rares de dialogues à rendre sourd un monologue du crétin. « Et puis, voici Michel Audiard qui apparaît et me délie la gouaille. Dix ans de travail ensemble… Nous écrivons scénarios et dialogues pour Grangier, Lautner, Pinoteau, Zulawski, Boisset, Miller, Deray, Pirès, j’en oublie ». (Page 110)

Entre temps, en 1973 est né une autre pointure du genre : Jean Vautrin le fameux romancier pas manchot, abonné aux nouvelles, aux feuilletons avec son frangibus adoptif Dan Franck (« Les aventures de Boro, reporter photographe) mais aussi en solo («  Quatre soldats français »), à la photo, la BD avec Jacques Tardi. Jean Vautrin, cet éternel voyageur aux semelles légères et pas regardantes aux tremplins du terrain et aux plaisirs de se vivre : « J’ai été lorrain, bourguignon, francilien, banlieusard d’au moins trois façons, indien, pendant trois ans, breton du nord, parisien du 7e, titi du 12e, beauceron, lotois, landais, girondin et même vénézuélien ». (page 145)

Son dernier opus : « La vie badaboum » n’est pas un roman, c’est un ovni textuel qui fleure bon les rencontres essentielles et ses aventures avec sa soif d’encre et de voyages aux pays des écrits, pour repousser la camarde et gueuler toujours plus fort ses révoltes intactes. « En réalité, à l’approche de l’obscur défilé, chacun dans sa liquidation du passé, se complait, s’interroge et remonte jusqu’à l’abri révélé de sa source » (page 62).

Roberto Rossellini : « Un maître à penser, à regarder, à aimer. Il était Roberto Rossellini, père du néoréalisme. Le dernier des humanistes ». (page 51). Raymond Queneau, le passeur tranquille et testeur de l’appréhension qu’il suggèrerait à son jeune interlocuteur : « Les yeux de Queneau jouaient au bilboquet, adroits derrière les reflets de ses lunettes. Il avait la maîtrise du des horloges et, semble-t-il, jamais peur du vide ». (page 73). Aux rendez-vous encore et toujours de la fraternelle amitié, Yves Gibeau « écrivain de race, clamant son refus de la médiocrité »… (page 136). Ray Carver : « Carver est mon maître. Vous serez émerveillés par les ressources de son talent ». (page 114)

Jean-Paul Kauffmann l’emmuré vivant au Liban et ses lettres de soutien : « À bientôt Jean-Paul, je souhaite que très bientôt, tu cesses de penser que même le sommeil n’est plus un lieu sûr ». (page 79) Le peintre Roger Bissière, révélateur des fracas du littérateur : « Je parle du chaos ? Il raconte le recueillement. J’aborde la tempête ? Il peint la légèreté. J’enfonce mon blair dans la saumure de la réalité contemporaine ? Il peint la vérité surprenante des mousses, des brindilles, des pierres calcaires et le miracle franciscain de sa joie tranquille » (page 206). Michel Audiard, l’homme du terrain plumitif : « Michel était un écrivain. Ses vrais amis étaient des écrivains. René Fallet, Antoine Blondin, ses intimes. Toute sa sensibilité véritable le portait à être romancier. Et plus le temps passait, plus l’urgence le poussait avec envie et turpitude à se tourner vers l’embarquement solitaire. Il m’enviait parfois d’avoir osé franchir le pas ». (page 90)

Maman a cent ans, rien à voir avec la célèbre comédie italienne : « Cent ans de traversée ! Une sacrée ribouldingue ! Tu peux revendiquer : J’ai tout vu. Tout regardé. Tout pesé. Tout connu. Ca vous mesure un siècle, ça madame, de pouvoir dire : J’y étais ! » (page 250). Anne sa femme d’amour : « C’est incroyable, au printemps dernier elle m’a dit que nous étions depuis quarante-cinq ans ensemble. Je lui ai répondu : Tu te rends compte, je n’ai pas vu passer le temps. Elle n’a pas paru surprise. Elle m’a dit : Pas étonnant. Ecrivain, tu es payé pour rêver ». (page 304)

Ce cher Jean Vautrin avec sa farouche indépendance d’esprit libertaire déplore la quasi disparition des pamphlets et prône l’irrévérence et la contestation du Prince à sa cour des artisans du pouvoir. Il est un homme de conviction. « J’ai toujours pensé que l’écrivain de roman noir est légitimement fait pour combattre les faux nez de la respectabilité ». (page 121)

Le style si particulier de Jean se carambole dans l’excellence de ses dialogues où il déclame son amour de la vie à la marge de la sacrée sainte putain normalité qu’exaltent ses personnages O combien détonants. « J’aime la drôle de vie chahutée de ceux qui poussent des cris de colère, prononcent des paroles de doute, s’ouvrent le chemin en exprimant leur révolte. J’aime l’humour qui n’a plus rien à perdre ». (page 122) L’écriture à nulle autre pareille de Jean Vautrin : « C’est la chanson de l’âme, cette inimitable façon de faire briller les mots, de les assembler de façon à ce que le galbe de la phrase, sa sonorité, mais aussi sa cadence, son arrogance, sa tonicité la rendent reconnaissable entre mille. À ce que la manière de s’exprimer soit unique ». (page 162). Alors, Jean Vautrin de part sa prose, est-il engagé ? À peine ! « À l’automne de ma vie, j’ai voulu rendre compte. J’ai voulu donner les sources de mon pacifisme libertaire. Rebelle, oui. Engagé, certainement. Embrigadé pour le casse-pipe des nantis, sûrement pas ». (page 128).

Il exhorte la jeunesse à s’énerver : « Arque à la proteste ! Dans tous les pays, une poignée de riches vieillards protège son épicerie. Eternue ! Bronche ! Cabre ! Exalte ! C’est toi qu’on assassine ! ». (page 99).

Je n’ai pas parlé de ses diatribes de scribe bien inspiré contre toutes les guerres, de la planète qui se crève de soif ou boit l’eau viciée. De ses sources d’influences, ses maîtres, ses rencontres, ses avis à propos de Manchette et d’ADG, la technique horlogère de la nouvelle, « la Culture c’est la forêt de l’esprit » (page 179) … Vous n’avez qu’à lire son livre et vous régaler de ses pages qui me redonnent le moral au pif et à l’estomac.

J’achève mon papier enthousiaste qui palpite d’amour inconsidéré envers toute l’œuvre de Jean Vautrin, histoire de vous causer de tout ce qui lui turlupine la grande gerbe en la littérature du commerce insatiable des frustré(e)s des maux du zob. « Avec trois cents mots dans la giberne, il vous turluttent une histoire de derrière trés serré. Oh, on ne se compromet guère ! L’aventure des jeunes plumanciers (plumancières), qui tortillent leurs petits nerfs citadins pour donner un texte émergeant, trop souvent se cantonne à dépeindre comment, en une rencontre de cafard ordinaire, ils (elles) ont fait fleur de rose et minette à l’envers avec plusieurs personnes de la bonne société ou terminé une nuit de vagabondage existentiel avec un partenaire du même sexe qu’eux-mêmes, sans que cette galipette de hasard ou de désespérance compromît en rien l’idéaliste et tinanesque recherche de l’amour absolu ». (page 256).

C’est sans doute la plus longue phrase de son livre, contraste évident avec la sécheresse des auteur(e)s qu’il brocarde et que vous aurez loisir de nommer voire vous aussi dégommer en fonction de votre faculté d’esprit critique aiguisé ou non ! « Quel manque de regard sur le vaste monde ! Quelle pissette dans le vide ! Quel manque de générosité. Quel amour de soi ! Chaque gramme de branlette compte ! Pas de quoi pulvériser l’avenir romanesque ! » (page 257)

Boum boum quand notre cœur fait boum, parez et envoyez l’embellie de votre palpitant et soignez votre gauche, monsieur Jean Vautrin. Vous êtes l’un des derniers résistants de la vie est un roman badaboum. La lutte pour la vie que vous adorez continue auprès de vos proches et de vos personnages si hétérogènes, que ça ne gène nullement vos lectrices et vos lecteurs de lire votre amour pour la littérature populaire accrochée au réel et à un certain imaginaire fécond.

Je vous chérie, je vous adore Jean Vautrin, j’attends bientôt de vos prochaines nouvelles à la croisée des chemins fraternels où tous vos maux baiseront les mots et nous ouvriront une acuité nouvelle à nous bouger les puces à agir en société, d’un festif concert rebelle à la Lubat et son Uzeste manifeste gascon.

Si les lectrices et les lecteurs du Mague se fichent de ce que j’écris, sachez comme le disait Michel Audiard : « Il n’y a que les imbéciles qui ne lisent pas Jean Vautrin. ». (page 204)

La vie badaboum de Jean Vautrin, éditions Fayard, 306 pages, avril 2009, 19,50 €

À suivre en septembre : La dame de Jérusalem de Dan Franck et Jean Vautrin, le huitième épisode des aventures de Boro, reporter photographe, éditions Fayard, avril 2009.