Outrage à agent pour une parole déplacée !

Outrage à agent pour une parole déplacée !

Plan-de-Cuques, tout le monde connaît à présent, à cause de la mobilisation des commerçants qui s’y trouvent pour travailler le dimanche. L’ambiance y reste électrique, au point qu’il convient de se montrer humble et obséquieux avec les agents de police.

C’est La Provence, et non un samizdat révolutionnaire, qui rapporte cette affaire avec une ironie qui le dispute à l’agacement : une jeune femme attend sa mère malade garée en double file. Une fonctionnaire de police l’avise et lui donne l’ordre de circuler. "Vous n’avez que ça à faire ?", lui rétorque l’automobiliste. Bilan : garde-à-vue en compagnie de sa mère pendant plusieurs heures, avec une inculpation pour outrage à dépositaire de la force publique au bout du compte.

Cette histoire s’ajoute aux milliers d’autres, puisque le délit d’outrage est devenu très à la mode, jusqu’à représenter un acte de résistance à la politique sécuritaire du pouvoir en place. Tout le monde se souvient de la très médiatique affaire du "Sarkozy je te vois", qui a conduit un autre usager provençal devant les tribunaux cette année, mais qui a fait partie des 0,50% de relaxés pour un tel délit. La Provence relève que 508 délits d’outrages ont été constatés en 2008, rien qu’à Marseille !

L’outrage est en effet devenu un délit très en vogue : 10.215 à 21.257 entre 1995 et 2008, soit une explosion de 108%, selon une statistique de la Direction Centrale de la Sécurité Publique (DCSP) rapportée en février dernier par Le Figaro. L’interprétation de la notion d’outrage est très vaste : un regard de travers ou dédaigneux, un geste méprisant peuvent suffire. Le délit d’outrage, quand il est adressé aux agents de police, a ceci de particulier qu’il est constaté par celui à qui il est adressé.

"Il s’agit du fait, par paroles, gestes ou menaces, écrits ou images de toute nature non rendus publics", explique Maître Eolas dans son blog. "En cas de publication, qui ne se confond pas avec la profération en public, ce sont en principe les délits d’injure et de diffamation qui s’appliquent, paradoxalement bien plus protecteurs du prévenu… Par envois d’objets quelconques, de nature à porter atteinte à la dignité ou au respect dû à ses fonctions, d’outrager une personne appartenant à certaines catégories ainsi protégées par la loi".

La liste est longue de ces personnes visées par le délit d’outrage : "les magistrats (juges et procureurs), jurés, et toute personne siégeant dans une formation juridictionnelle (article 434-24 du code pénal), toute personne chargée d’un service public dans l’exercice de leurs fonctions (ce qui inclut beaucoup de monde : le président de la république, même si ce délit est rarement invoqué, les ministres, les prefets, les policiers, mais aussi les huissiers, les notaires, les ingénieurs des Ponts et Chaussées, les ingénieurs du génie rural, les pompiers, les inspecteurs de navigation, les enseignants, le vétérinaire assermenté d’un abattoir, et même, depuis le 18 mars 2003, le drapeau tricolore, mais pas les avocats".

Le problème est qu’il est devenu, avec son corollaire, le délit de rébellion, une manière pratique d’appréhender, puis de pénaliser un individu gênant qui intervient lors d’une constatation effectuée par des policiers. Ainsi professeur de philosophie, poursuivi pour avoir crié "Sarkozy, je te vois !" à des policiers effectuant un contrôle en gare Saint-Charles de Marseille le 27 février 2008. Si l’outrage est devenu très couru, avec 108% de croissance entre 1995 et 2008, il convient de noter qu’il l’est de façon exponentielle. Les condamnations pour outrages à personnes dépositaires de l’autorité publique ont progressé de 42%, et celles de rébellion de 27% entre 1995 et 2001 selon un article du journal Le Monde du 21 février 2003.

Le délit d’outrage sert d’abord à couvrir les violences policières. Lorsque les policiers font usage de la force, à l’occasion d’une arrestation ou au commissariat, ils poursuivent presque systématiquement le ou les interpellés pour outrage, alors souvent associé à la rébellion et aux violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique. "C’est une manière pour eux de justifier les marques de coups visibles", explique un blog militant. "Puisque cette personne était violente, il a bien fallu la maîtriser, et donc faire usage de la force. Ils se dédouanent ainsi, à l’avance, de toute mise en cause de leur violence devant un tribunal".

Cerise sur le gâteau, les Infractions à Personnes Dépositaires de l’Autorité Publique (IPDAP) visent plus particulièrement les étrangers. "Si 17% seulement de l’ensemble des peines prononcées pour IPDAP sont des peines d’emprisonnement ferme, ces peines frappent 27% des prévenus du groupe "Maghrébins et 11% du groupe "Autres ", relève Fabien Jobard, chercheur au CNRS dans un document non daté, avant de s’interroger : "Cette différence atteste-t-elle d’une discrimination, au sens cette fois politique du terme" ? Quoi qu’il en soit, mieux vaut aujourd’hui adopter profil bas devant chaque uniforme.