Faudra-t-il payer pour qu’on vienne vous sauver ?

Faudra-t-il payer pour qu'on vienne vous sauver ?

Les journalistes oublient trop souvent de lire le compte-rendu du conseil des ministres. Ainsi leur a échappé le projet de loi présenté par Bernard Kouchner le 22 juillet prévoyant entre autres de faire participer les ressortissants français à l’étranger aux frais engagés pour leur secours éventuel.

En cause, les opérations spectaculaires et très coûteuses, autant que toujours aléatoires, réalisées par les commandos marine ou le GIGN pour libérer des otages français capturés dans des zones à risques. Le site Internet du journal Le Monde publie une dépêche le lendemain, mais c’est vraiment Rue89 qui met le feu aux poudres lundi : "Kouchner veut que les ex-otages remboursent leur sauvetage" ! La jeune journaliste rappelle les épisodes des otages du Ponant en avril 2008, des époux aventuriers Delanne en septembre de la même année et des deux couples et leur enfant sur la Tanit en avril 2009.

"L’État a un devoir d’assistance à l’égard de nos concitoyens", relève Didier Migaud après lecture du rapport parlementaire à l’origine de cette initiative, "et bien des imprudences sont commises sans que leurs auteurs reçoivent une facture". Le président de la Commission des Finances à l’Assemblée nationale est soucieux du bon usage des deniers publics en ces temps de déficit budgétaire chronique, mais il rappelle les grands principes du droit en matière de secours aux personnes et d’assistance aux ressortissants français.

Pour autant, mais sans que les rapporteurs aient eu l’autorisation de les évaluer, l’État met des moyens exceptionnels en œuvre et dépense quelquefois beaucoup d’argent pour venir au secours de touristes en mauvaise posture, ou de travailleurs humanitaires abusés par leur bon cœur. Les dernières affaires de prise d’otages au large de la Somalie ont été évoquées par les députés Françoise Olivier-Coupeau et Louis Giscard d’Estaing dans le cadre d’un rapport "sur le coût des opérations militaires extérieures, notamment sous mandat international" remis le 1er juillet dernier.

Il apparaît à la lumière de ces travaux parlementaires qu’il est bien difficile de faire le tri entre le devoir d’un pays envers ses ressortissants et le déni des mesures de prudence élémentaire. "Nous devons donc nous doter des moyens juridiques qui permettront de récupérer les sommes dépensées auprès de ceux qui ont les moyens de les rembourser", fait valoir le député de la majorité Georges Tron. "Peut-être, en effet, la sanction financière ne doit-elle pas être automatique, mais quand notre marine est contrainte de mener des opérations de police, alors que ce n’est pas son rôle, parce que des sociétés commerciales ignorent sciemment les mises en garde qui leur ont été faites, il faut pouvoir sanctionner ces comportements irresponsables".

C’est pourquoi Bernard Kouchner a présenté un texte au précédent conseil des ministres afin de "demander le remboursement de tout ou partie des frais induits par les opérations de secours" aux "ressortissants français qui se rendent sans motif légitime dans des zones dangereuses alors qu’ils ont reçu des mises en garde sur les risques encourus". Il s’agit tout autant de "responsabiliser" les gens avides de sensations fortes et désireux de partir à l’aventure, que les opérateurs de transport, les compagnies d’assurance et les voyagistes "qui auront failli à leurs obligations".

"Nous avons été très étonnés d’apprendre que les actions menées contre la piraterie maritime, comme dans l’affaire du Carré d’As, ne donnent lieu à aucune demande de remboursement auprès de l’armateur ni de l’assureur", explique Françoise Olivier-Coupeau. "La Société nationale de sauvetage en mer pratique pourtant de telles demandes de remboursement — je ne parle bien sûr que du sauvetage des biens, et non des personnes". En effet, les choses ont bien changé depuis le temps où la puissance publique se considérait comme omnipotente et bienveillante ! Chacune de ses manifestations suppose un coût, et le panier est déjà percé.

De même, l’article 97 de la loi Montagne de 1985 permet aux communes de demander un remboursement aux victimes des frais de secours engagés lors d’un accident lié à la pratique du ski alpin ou de fond, à la double condition qu’une délibération du conseil municipal ait déterminé les conditions de remboursement, et que ces conditions de remboursement aient été publiées à la fois en mairie et "dans tous lieux communaux où sont apposées les consignes relatives à la sécurité et, d’une manière générale, à la pratique du ski alpin et du ski de fond".

l’article 54 de la loi "relative à la démocratie de proximité" du 27 février 2002 a étendu cette exception à toute activité sportive ou de loisirs en montagne : "les communes peuvent exiger des intéressés ou de leurs ayants droit une participation aux frais qu’elles ont engagés à l’occasion d’opérations de secours consécutives à la pratique de toute activité sportive ou de loisir. Elles déterminent les conditions dans lesquelles s’effectue cette participation, qui peut porter sur tout ou partie des dépenses".

Ces dispositions, que présente avec gourmandise le service de presse du ministère des Affaires étrangères, représentent une évolution du droit en matière d’assistance aux personnes, que Bernard Kouchner entend bien faire dorénavant prévaloir. Pour les voyagistes et les assurances, l’affaire est loin d’être entendue ! "Cette loi a un sens pour des individus qui partent n’importe où, comme un couple avec des enfants au Pakistan, mais elle met au même niveau des agences de voyages", réplique Hubert Debbasch, PD-G de Terre entière, qui organise depuis un an des voyages dans le Kurdistan irakien et y a développé une filiale, Babel Tours.