Boris Vian ou la vie à cents arts l’œuvre

Boris Vian ou la vie à cents arts l'œuvre

"La Vie Jazz" de Philippe Kohly a la légèreté de l’être Boris Vian au firmament de son existence virevoltante jazzée, rimée et artée. Une tronche de vie dans la gueule de la pataphysique musicale et imagée qui colle parfaitement à la réalité de cet homme pour le moins singulier, qui courait après son Ourson.

Le documentaire de Philippe Kohly auquel on devait déjà les portraits de la Calas et Jacques Henry Lartigue, nous offre cette fois la mise au point serrée sur le phrasé jazz de Boris Vian qui bat la chamade, tel un explorateur de tous les arts. Celui, qui déjà à l’âge du Christ touchant du bois, se demandait si à 33 ans, ce ne serait pas le plus bel âge pour crever si seulement il croyait à la littérature.

La littérature quelle sinécure et en aparté quel deuil pour celui qui avait misé toutes ses forces dans les mots de ses histoires ! Lui l’auteur publié chez Gaston Gallimard : « Vercoquin et plancton » puis refus du prix Gallimard pour "L’Écume des Jours". Amertume du porte-plume…

Boris était aussi le chroniqueur qui écrivait plus vite que son ombre ses piges jazzistiques les plus libres possibles et autres as du pastiche à l’hémistiche. Et pourtant : "J’écris tant de choses, sans rien dedans pour vivre, que ça me dégoûte de l’acte lui-même. Malgré l’envie que j’ai souvent des idées que je voudrais bien coincer au passage, mais perdues irrémédiablement comme des battements de cœur" (in son journal).

À propos de palpitant justement, c’est de l’échec de "L’Arrache Cœur" qu’il prit sa décision de ne plus jamais écrire de littérature ! "J’ai essayé de raconter aux gens des histoires qu’ils n’avaient jamais lues. Connerie pure, double connerie. Ils n’aiment que ce qu’ils connaissent déjà. Et moi, je n’y prends pas plaisir à ce que je connais en littérature" (in son journal). Grand cœur malade, Boris !

Nicole Bertolt, collaboratrice d’Ursula Kübler (la dernière compagne et l’Ourson de Boris), nous livre en 12 minutes, top chrono dans un complément de programme, un regard optimiste concernant l’après Vian, crevé à 39 ans dans un cinoche sordide qui projetait l’adaptation morbide et immonde de "J’irai cracher sur vos Tombes". La voir et l’écouter est un délice. Le grand succès planétaire dans les années 60, de sa littérature populaire, dans le sens d’une littérature à la portée de tous en format poche, son théâtre trop inconnu en franchouille couardise était joué et très apprécié dans les pays de l’Est, révèle l’état d’esprit du militant pro civil…

L’auteur du "Traité de Civisme" inachevé se posait déjà beaucoup de questions sur la société des loisirs si proche des thèses de Guy Debord. "Dans "L’Écume des Jours", il ne comprend pas ce qu’est cette chose que l’être humain a mis en place qui s’appelle le travail et qui pour lui tient de l’esclavage", nous révèle d’un œil attendri Nicole Bertolt. Un très grand merci à elle et ses éclairages sur Boris Vian visionnaire qui se serait beaucoup amusé avec l’informe à tique si son cœur avait eu la chique idée de ne pas jouer à la breloque, tant sa liberté extrêmement construite reposait d’abord et avant tout sur une culture générale phénoménale mais aussi sur un énorme travail.

Vian avait de qui tenir. Paul son père aristocrate, rentier à 20 ans jusqu’en 1929 ! C’était un acharné du temps libre et de la fête où la vie devait être toujours légère, quel travail ! Il était un copain pour Boris. Il cultivait les valeurs anarchistes du mépris de l’argent, l’armée et l’église que reprendra à son compte il était une fois l’un de ses fils, Boris.

Vian, le bluesman mélancolique, l’évocateur provocateur, nous entrons dans son intimité par ce documentaire. La zizique et plus particulièrement le jazz. Le rythme et la raison qui battaient dans ses veines et le tenaient hors d’haleine dans ses périodes de spleen, modulent le récit en images de son portrait. En effet, lors de courts interludes où l’on y reconnaît entre autre le swing et le verbe de Miles Davis et Duke Ellington, interprétés par un quintet, nous relatent la bienveillance et l’importance salutaire du jazz dans la vie du musicien et critique érudit Boris.

En plus, Philippe Kohly le mélomane a eu l’excellente intention de nous faire entrer dans les coulisses de l’enregistrement de la musique du film où l’on comprend parfaitement toute la difficulté qu’il a rencontré pour accorder les mélodies en sous-sol avec les images de son excellent documentaire.

Il nous convie aussi à des images d’archives rares et très émouvantes de Boris. Philippe Kohly et son incontournable Boris Vian a collé au personnage difficile d’accès, tant sa sensibilité et ses excès d’échecs l’avaient rendu fragile. Bel hommage aussi à la superbe et admirable Ursula Kübler, qui s’exprime aux côtés de Boris avec son corps de danse, sa légèreté et sa tonicité.

Clin d’œil aussi à l’esprit du collège de pataphysique où rayonnait la bande à Boris. "Un des principes fondamentaux de la pataphysique est celui de l’équivalence. C’est peut-être ce qui vous explique le refus que nous manifestons de ce qui est sérieux et de ce qui ne l’est pas. Puisque pour nous c’est exactement la même chose, c’est pataphysique".

À voir à revoir, à entendre, à s’immerger dans l’univers Viantexte et musical de l’ami Boris Vian, avec ce documentaire rythmé aux accents du jazz foisonnant. Boris ou la vraie vie de l’homme pressé au phrasé qui créait pour ne pas crever.

Complément de programme :
Ils chantent Boris Vian. "Il m’arrive un truc terrible le soir dans mon lit", par Jacques Higelin (1966) / "La java des bombes atomiques", par Serge Reggiani (1969) / "Le déserteur", par Maxime Leforestier (1977),
Interview de Nicole Bertolt (12 minutes),
Les coulisses de Boris Vian, La vie Jazz (12 minutes).

"Boris Vian, la Vie Jazz", de Philippe Kohly, DVD, 74 minutes, 2009, Arte Éditions.