La crise du crédit expliquée à la reine d’Angleterre

La crise du crédit expliquée à la reine d'Angleterre

D’éminents économistes ont écrit à la reine d’Angleterre à sa demande pour lui expliquer pourquoi personne n’a prévu l’émergence, l’ampleur et la sévérité de la récession.

Cette lettre de trois pages, qui fustige "un défaut d’imagination collective de beaucoup de personnes intelligentes", a été envoyée en réponse à un souhait que la reine a exprimé au cours d’une à l’école des sciences économiques de Londres, se demandant pourquoi personne n’a pu prévoir l’effondrement du crédit ("credit crunch").

Signée par le professeur Tim Besley, membre du comité pour la politique monétaire de la Banque d’Angleterre, et spécialiste éminent de l’histoire économique de la Grande-Bretagne, la lettre, dont le quotidien britannique The Observer a obtenu copie, manifeste "la psychologie du déni" qui s’est emparée des milieux politique et financier lors de l’apparition de la crise.

Son argumentaire a fait l’objet au mois de juin d’une conférence à la British Academy, à laquelle ont assisté les sommités de la sphère économique : le secrétaire permanent au Trésor Nick MacPherson, l’économiste en chef de Goldman Sachs Jim O’Neill, et l’éditorialiste économique William Keegan de The Observer.

La lettre explique comment des taux d’intérêt bas ont contribué à des emprunts bon marché, dont la facilité a masqué la situation réelle de l’économie mondiale, qui apparaissait bonne en apparence. Mais certains pays comme les États-Unis, ont vécu sur un grand pied en contractant des dettes énormes chez d’autres, comme la Chine et les émirats de la péninsule arabique riches en pétrole, qui ont empilé des stocks d’argent.

En dépit de ces déséquilibres, prétendent-ils, "des financiers magiciens" se sont employés à se convaincre eux-mêmes, et les dirigeants politiques mondiaux qu’ils ont trouvé des moyens astucieux pour écarter le risque de faillite dans tous les marchés financiers. "Il est difficile de trouver un meilleur exemple de rêve associé à une prétention démesurée", ont-ils écrit.

"Chacun a paru effectuer correctement son propre travail avec son propre talent. Et selon les évaluations standard de réussite, ils l’ont souvent bien fait", expliquent les meilleurs économistes anglais. "Le problème a été de voir comment collectivement s’est ajouté à une série de déséquilibres interconnectés sur lesquels aucune autorité n’avait de pouvoir". La conséquence en a été la grande instabilité d’un système, la crise apparaissant à l’été 2007, et aboutissant à l’effondrement soudain du système financier mondial après la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008. "En résumé, Votre Majesté, l’incapacité à prévoir la synchronisation, l’ampleur et la sévérité de la crise, et de l’écarter, alors qu’elle a de nombreuses causes, a été principalement un défaut d’imagination collective de beaucoup de personnes intelligentes, dans ce pays et internationalement, de comprendre les risques du système dans son ensemble".

Tim Besley a émis l’hypothèse selon laquelle les experts n’ont pas été "en mesure de se bouger" en convenant que les causes de l’effondrement du crédit étaient extrêmement complexes. "Il y avait un concours de circonstances très compliqué et lié ensemble, plutôt qu’une seule personne en particulier ou un établissement en particulier", écrit le conseiller à la Banque d’Angleterre. D’autres experts ont assisté à cette conférence du mois de juin, comme Paul Tucker, sous-gouverneur de la Banque d’Angleterre, Vernon Bogdanor, de l’Université d’Oxford, et Stephen King, économiste en chef chez HSBC.

Un porte-parole à Buckingham Palace a déclaré que la reine a montré un intérêt particulier pour les causes de la récession, et convoqué le gouverneur de la Banque d’Angleterre Mervyn King pour une audience privée au plus tôt cette année afin qu’il lui explique ce qu’il entreprend pour régler le problème. Les experts économiques ont indiqué vendredi que l’économie de la Grande-Bretagne est contractée depuis 15 mois, et la récession leur semble la plus grave depuis les années trente, excepté la période de la deuxième guerre mondiale.

La British Academy prévoit de tenir une deuxième conférence plus tard dans l’année pour étudier les moyens d’éviter que la même chose ne se reproduise à l’avenir. Tim Besley, qui nie l’exercice de la profession d’économiste, a été critiqué dans sa façon de juger l’ampleur de la crise, mais ses confrères ont admis que les idées singulières, notamment en ce qui concerne les comportements moutonniers et les attitudes irrationnelles qui s’emparent quelquefois des marchés financiers.

Tim Besley espère voir émerger un forum à l’académie pour imaginer des solutions à la crise : "Ce dont nous avons besoin est un forum où les gens peuvent discuter ensemble sur une base très large, proposer des objectifs et avoir une discussion".