Belle rentrée littéraire pour Éric Holder

Belle rentrée littéraire pour Éric Holder

L’année 2009 est un excellent cru pour Éric Holder, entre la sortie de « Bella Ciao » et l’adaptation au cinéma d’un de ses autres romans. En attendant, le narrateur et l’auteur se confondent et confondent leurs lectrices et lecteurs à dépasser la réalité des pognes blessés d’ouvrier agricole et la picole qui dit stop à sa relation avec Myléna, la femme de sa vie.

Au début de la lecture, j’ai eu très peur. Je craignais un autre acte manqué, de "Sous le sable" d’un François Ozon, cinéaste à la masse encore plus pénible qu’à son ordinaire banal et médiocre. En effet, le héros d’Éric Holder dont le blaze est personne à part le sobriquet de mon pauvre rat que lui inflige Myléna son amour, après trente-trois ans de vie commune. Trente-trois, dites trente-trois docteur, et toussez cet estomac qui bat la breloque, comme le nombre qui dénombre le territoire de la Gironde où se situe ce roman.

Alors je préfère m’abstenir d’oser Ozon et son personnage Jean, la cinquantaine bourgeoise dégrossie qui disparaît à nu dans les rouleaux des Landes et ne réapparaît plus. En définitive, il manquait de tact et de lisibilité, tant le point de départ du scénario tombait à l’eau. En revanche, chez Éric Holder, la chair palpite. Myléna est éditrice et amoureuse des livres. Elle est celle, en l’absence de laquelle il est un pirate en banqueroute : "Sans toi, je marche sur une jambe, je n’y vois que d’un œil, je ne vis qu’à demi". Elle est cette autre qui s’affiche "socialiste tendance Proudhon". Aucune ressemblance possible avec la Marie jouée par Charlotte Rampling.

Rien à voir, rien à signaler avec Éric Hodler, si ce n’est ce renvoie de bile lorsque le héros de Bella Ciao appareille son corps sans frasque depuis la plage naturiste et se laisse entraîner dans la baille agitée. "Je rejoignais rapidement le large avec l’aide du courant de baïne. (…) Je buvais consciencieusement des bouillons. Lors de l’un d’entre eux, plus profond, une masse verte irisée où dansaient des bulle, j’ai senti une main me saisir, m’entraîner au fond par un pied. Les gens qui ont frôlé la camarde vous diront chose semblable".

Rien de tel pour dessouler illico presto et vous replonger dans la réalité de votre vie désunie. Quand en plus, l’inspiration liée à votre existence tance un courant insondable, vous concocte un cocktail explosif avec le métier pour le moins difficile d’écrivain et la remise en question constante de votre aptitude face à la page blanche.

Lorsque le fric vient à manquer, le narrateur s’engage comme ouvrier agricole chez un patron. Un certain Franck, homme des bois bourru et méchant à la langue fourchue : "Retiens la leçon ! crie-t-il. On ne travaille bien qu’avec la rage". Il souffrira les saisons, le turbin ardu et la présence de l’homme machine, contremaître assidu et persécuteur, jusqu’à ce qu’il lui assène ses quatre vérités à son professeur tortionnaire, en signe presque de regret : "J’aurais aimé apprendre la vigne, continuai-je. À la tailler, à conduire des tracteurs, à élaborer le vin. Oui, je crois que ça m’aurait plu de changer de métier".

On ne sait plus très bien si c’est l’auteur Éric Holder qui prononce les paroles où son héros presque anonyme, puisque cependant quelques points de similitudes s’imposent entre ces deux personnes. Myléna lui annonce au fil des pages qu’elle a constitué un dossier de bourse pour lui et l’éditeur précise que L’auteur a bénéficié pour la rédaction de cet ouvrage du soutien du Centre National du Livre ! À quel sein se vouer ? Les noms des patelins se lisent sur une carte routière pour qui connaît le Médoc. Les pistes cyclables sont légions, cadeau d’adieu des envahisseurs teutons ! Notre héros se déplace à bicyclette pour se rendre à son travail.

L’autre héros, c’est son problème avec l’alcool qui l’oblige à la décolle du foyer douillet : "J’en ai assez, dit-elle le matin du quatorze juillet, prévoyant déjà que le soleil se coucherait sur trois litres, précédant deux autres que la nuit de fête favoriserait encore". Il y aussi leurs deux grands enfants. Il se découvre dans une lettre sublime adressée à sa fille Lise qui vit à Buenos Aires. "On dit que les enfants d’alcooliques sont d’excellents détecteurs de mensonges. Si je regrette de t’avoir légué ce don, te vaut-il de savoir lire maintenant entre les lignes" ? Cette lettre restera gravé en lettres d’amour dans les annales pas bancales de la littérature.

Tout le livre est de cette teneur, de cette fabuleuse acuité visuelle qu’à Éric Holder de nous extraire du terroir des personnages haut en couleur et très justes dans le ton, les propos et les actions. Il a du métier mais aussi de l’empathie pour tous les domaines naturels et personnels qui l’entourent.

Ce roman qui commençait à la François Ozon et se serait fracassé d’ennui entre les pages des rouleaux de l’océan, exclame, exulte cette furieuse envie de vivre en harmonie, encore plus fort que son amour pour Myléna l’amour fou digne de Breton pour "Nadja". Une fois encore, je suis tombée sous le charme du bonhomme du conteur d’histoire à travers le champ de l’humaine conception littéraire complexe mais si lisible et irrésistible.

Merci pour ce cadeau et portez-vous bien, monsieur Éric Holder le Médocœur comme j’aime à lui chanter mes louages sur son travail d’écrivain et sur le bonhomme très attachant. Ciao amigo et à bientôt !

Bella Ciao d’Éric Holder, Éditions du Seuil, fin août 2009, 147 pages, prix 16 €.