Scène ouverte sur la plage à Royan

Scène ouverte sur la plage à Royan

Par où commencer ? Tellement le foisonnement était riche et vaste de « How do you are beach » du 29 juin au 4 juillet sur les deux rives de la Gironde, de la Pointe du Médoc à Royan, d’autant que je n’ai pas eu le plaisir de participer à toutes les réjouissances.

Saint-Vivien de Médoc aura connu son heure d’époustouflante festivité. Un public varié, bigarré a envahi la salle des fêtes qui se prête en principe au loto, aux goûters, à la fête de Noël de l’école publique et autre trucs et ficelles du terroir villageois. Quand Tatiana Saphir a submergé la scène en tenue punk et a arraché son uniforme « No Future », jusqu’à se pâmer nue dans un tissu et se métamorphoser ensuite BCBG conférencière outrancière en compagnie de sa sœur Tamara, les murs ont tremblé et la mémoire des pierres s’en souvient encore.

J’ai été une nouvelle fois stupéfaite par l’humour ravageur et le savoir faire de tous les arts du spectacle mêlés que nous contaient ces deux jeunes femmes alertes, sur un thème pourtant ardu : « Petite histoire du punk argentin ». Angela Schubot, l’émergence de l’émergence de l’émergence berlinoise selon Eric Bernard, a succédé aux deux frangines, en jean, tee-shirt bleu. Sa chevelure en mouvement et tous les pores de son corps ont essoré, sur une musique aux distorsions métalliques. Elle a électrisé les regards, qui n’ont plus lâché prise la danseuses chrorégraphe, épitaphe de cette mouvance en transe.

J’ai été marquée par les présences éphémères de Mark Jenkins tant dans le Médoc profond, qu’au centre ville de Royan, où des personnages jouaient à l’autruche dans le sable d’une plage. Je remercie Mark de m’avoir conviée à rencontrer l’Ours de Talais.

Désolée pour les « Housing project », je n’ai pas réussi à me couler dans le moule pourtant nécessaire des horaires. Tant pis pour moi. Et pourtant les magnifiques sœurs Saphir m’avaient confié avec leur accent craquant que ce serait difficile et pas sans danger cette rencontre intimiste avec une à dix personnes.

Tatiana : "Le Housing project", ça ne se passe pas seulement dans les maisons, mais c’est la rencontre avec quelqu’un hors d’un théâtre. Vous rencontrez un artiste durant quinze minutes et vous faites un atelier avec lui. C’est un projet risqué. Il y a peu de spectateurs dans une relation très proche. Moi je serai sur un bateau avec un vrai capitaine marin pêcheur de Royan et je vais jouer son épouse. Je suis une femme jalouse de la mer. Parce qu’il est plus connecté avec la mer qu’avec moi. Et je vais voir si je peux me jeter à la mer (rire), une espèce de crise de nerf.

Tamara : Moi je vais travailler dans une très très belle maison aristocratique à Royan, avec des meubles assez extraordinaires et vue sur la mer. Dans cette maison bourgeoise, je vais faire participer à une rencontre selon un parcours autour de différents questionnements touchant au droit aux vacances, du droit aux loisirs et des congés payés. Je vais être une aristocrate en train de parler de droit (rire).

Un ciel clément a accueilli la scène ouverte, sous les pavés la grève, Erna Omarsdottir (mille excuses pour les accents honnis sur le nom), très en forme et radieuse. Les larmes de sable mouvant de la plage du Chay à Royan avaient creusé un trou où Erna se sortit avec difficulté. Long somme cow-boy, premier et dernier islandais de sa lignée, qui imprima un tempo de country musique au pays. Vladimar Johannsson (encore ces foutus accents !) jouait le guitariste à la plage. Erna s’entremêlait la veste couleur or comme avec une camisole de force. Parfois, ses deux mains dessinaient un pistolet pointé vers le public.

Et, durant quinze minutes, elle détailla la saga du sable et du cow-boy, voix micro. Elle passa outre les accords tacites avec ses cordes vocales et chanta en anglais cette incroyable histoire. La scène était vaste et la mer très calme contrairement aux côtes du Médoc ! Sur chaque bord un décor en trois dimensions cernait Erna. Des falaises sans fadaises à bâbord et tribord, de dos l’eau plate, et tout en haut le ciel qui esquissait quelques nuages épars vrillés par des cerfs-volants. En bas, toute petite, riquiqui, Erna s’agitait. Et le théâtre de la vie assistait à la représentation. Une femme, en maillot de bain rouge décolleté, jouait avec son enfant.

Dans le public, une gamine dessinait sur le sable. Un autre tapait le rythme avec sa pelle sur son ballon. Deux baigneurs sortaient de l’eau et s’attardaient les esgourdes. Mark Levine filmait. Trois jeunes femmes au badge des grandes Traversées canalisaient très gentiment le lieu scénique, étant donné que cet évènement majeur n’avait pas le moins du monde l’air de troubler les vacanciers ensoleillés. On en comptait parmi les scrutateurs. Facilement une bonne centaine et d’autres venus de loin exprès pour assister Erna, telle cette toute petite Singette qui vous parle. A la fin, Erna jeta le micro par terre. D’un signe de la main, elle marcha, couru, dit au revoir, se jeta dans l’eau et nagea. Erna, quel art que le tien. Il me tient tant à cœur !

Enfin, « Private Dancer » avec Jared Gradinger, Margret Sara Gudjonsdottir (je me mets à l’amende avec les accents !), Anne Mousselet et David Kiers à la zizique au gymnase Landry de Royan. Jared, j’ai eu l’occasion de le croiser. Il est étonnant ce bonhomme, il a comme qui dirait un sourire dévastateur et un regard ensorceleur. Revoir « Private Dancer » dans une petite salle dans de très bonnes conditions m’a ouvert le regard. J’y ai retrouvé le cauchemar éveillé de trois êtres qui ne parviennent toujours pas à communiquer entre eux. Sauf que cette fois là, j’ai ressenti plus fort et intense, les rares relations entre les protagonistes.

L’Islandaise blonde de braise pendue au téléphone, qui ne reçoit que des nouvelles de fin du monde, devient poupée pas très gonflée mais plutôt comme un pantin désarticulé entre les mains de Jared. J’ai l’impression qu’il ne se souvient de rien et ne sait pas comment se départir de ce cadavre exquis. La brune française énigmatique, la tempe en sang et la perruque de travers, c’est la morte vivante qui vient roder sur le lieu du crime ! Il n’y a que Jared qui parait un temps soit peu bien vivant et déménage dans ses rêves d’Eros, héros malgré lui ! David Kiers, le sonorisateur de cet état de peur, sait être le marqueur de notre attention, selon ses ponctuations doublées par les corps en orbite sur ses partitions.

Non, mais franchement, il y aurait tant à dire que j’ai très envie d’en discuter avec celles et ceux qui l’on vu. J’ai aussi très envie d’entendre l’interprétation de Jared pour que tous ses mélanges des genres entre les sensations bouillonnent dans la marmite des corps sur scène. Vite, bien vite, qu’il nous convie à la suite des évènements. Même que, j’en suis certaine, le Bartos y a vu quelques relents de son univers littéraire, avec ses vampires femmes sensuelles préférées en direct de Berlin…

Comme je vous le disais en début de mon papier, je n’ai pas pu être présente partout. Seulement, lors de la réalisation de la grandiose utopie généreuse initiée par Eric Bernard, sur un travail de grande haleine, il y a eu un grain de sable qui a grippé ce projet fédérateur, côté médocain. Le bac entre Royan et le Verdon du pays Médoc arrêtait son trafic en début de soirée. D’où l’immense frustration de bien des médocains qu’on a laissé moisir sur leur rive. Le Bartos a bien tenté l’aventure, avec plus de deux cents bornes à contourner l’estuaire de la Gironde la nuit très tôt après le feu d’artifice sur la plage de Pontaillac… Alors qu’une traversée en bateau ne dure pas plus de trente minutes ! Bonjour aussi les déclamations de CO2 mon amour !

Lors des lancements en Médoc à Talais le 2 juillet, le maire de cette commune avait abordé la question en proposant que soient affrétées des vedettes pour le retour des médocains piétons et cyclistes après les derniers spectacles. Véronique Willmann (conseillère déléguée à la Culture et au Patrimoine à la mairie de Royan) avait quant à elle insisté sur le rapprochement des deux rives lors du combat contre le terminal méthanier. Pourquoi alors l’an prochain, ne pas conjuguer au présent de la satisfaction, l’adoption par les deux conseils généraux, de vedettes entre Royan et le Verdon aux couleurs fraternelles des grandes Traversées ?

À part ce satané désagrément, je garde un excellent souvenir intarissable de cette nouvelle fusion 2009 des grandes Traversées. Des sons, des accents, les images, des corps en ébullition me remuent encore les tripes autour de la communauté d’artistes insufflée par Jared Gradinger.

À suivre, le final (snif) de la carte blanche à Jared Gradinger les 11 et 12 décembre 2009

À suivre sur Le Mague : un article consacré à l’atelier danse de Tatiana et Tamara Saphir à la sauce Singette et leur interview.