Pina Bausch : Danse et révolution !

Pina Bausch : Danse et révolution !

Elle a rendu les codes de la danse obsolètes et elle est devenue une égérie au niveau international, offrant à la société allemande actuelle des lettres de noblesses dont elle avait bien besoin après la guerre. Pleine de chaleur et d’humour, la chorégraphe Pina Bausch restait obsédée par la scène, ses personnages qui courent après un monde hostile.

Nul spectateur n’a pu oublier ses représentations de danse. Car c’est en effet la scène qui l’a rendue inoubliable dans le souvenir du monde entier. Cette femme organisait par exemple les yeux fermés les déplacements des danseurs à travers tables et chaises, en dépit de toutes les difficultés. Mais ce sont en réalité les créatures de Pina Bausch qui ont disparu mardi : ces garçons élancés qui courent et ne tiennent pas en place. Elle demeure la créatrice éternelle en réitérant chaque soir de représentation l’imperturbable espoir de la libération. En cela, Pina Bausch est la représentante de la modernité.

Les personnages qui peuplent les ballets de Pina Bausch, cette grande chorégraphe, sont rompus aux souffrances de cette discipline, mais ce sont aussi des combattants ! Ils nous font sentir, d’une façon générale et même littérale, un monde hostile et même ennemi pour l’humain. Pourtant, la créatrice possède un humour décapant, une ironie parfois mordante, mais qui laisse transparaître la tendresse et la chaleur humaine issues de la compréhension profonde de l’insuffisance et de la fragilité humaines.

Pina Bausch décède à l’âge de 68 ans, après nous avoir donné un grand œuvre. Elle a certainement révolutionné le théâtre et la danse — mise en scène indépassable — qui attendra sans doute assez longtemps un héritier. Son esthétique et son exigence à présenter des pièces pertinentes du point de vue social ne se sont pas installées dans une époque, où le narcissisme et l’individualisme sont camouflés par une bonne conscience. Fille d’un restaurateur établi à Solingen, où l’on fabrique les couteaux de cuisine pour l’Allemagne entière, Pina Bausch a dirigé à partir de 1973 le théâtre de danse de Wuppertal, ne voulait pas montrer que des pas de danse.

Avec ses célèbres pièces "Café Müller", "Nelken" (les œillets), ou "Kontakthof" (la cour des contacts), Pina Bausch raconte des histoires qui mettent en scène des hommes et des femmes, en qui l’espoir fragile, hors normes, parle d’une impossible nostalgie à satisfaire la liberté et la responsabilité. Elle a développé en cela un langage tout à fait singulier. Ses danseurs ont également été acteurs et chanteurs, ont communiqué avec le public, chanté des chansons… Personne ne l’a demandé avant Pina Bausch ! Car le public ne l’a pas ménagée non plus : elle a reçu de nombreuses lettres de menaces et enduré les plus vives critiques.

Mais l’histoire du succès de Pina Bausch est celle de la persévérance. L’histoire aussi de la fidélité. Ainsi Wuppertal, cette ville provinciale de la Rhénanie du Nord, ou Westphalie, est dorénavant liée au nom de Pina Bausch, dont elle est finalement devenue citoyenne d’honneur. Pendant les dernières années s’est manifesté un style particulier dans son travail. Sa troupe l’a accompagnée dans un pays étranger, a élaboré des nouveautés avec des artistes indigènes, lesquelles ont ensuite été montrées à Wuppertal. Une coopération avec l’Inde a probablement été la plus riche de succès.

La contradiction entre la fidélité de Pina Bausch à la ville de Wuppertal et ses recherches à l’étranger a une fois été résumée de la sorte : "Je n’aime pas les voyages, surtout en avion. Mais je suis très volontiers ailleurs" ! C’est pourquoi sa plus grande récompense fut d’avoir été l’un des articles d’exportation les plus réussis et les plus réguliers de la société commerciale allemande, et si peu appréciée en sa propre patrie. D’ailleurs, la mise en scène en ce qui concerne la danse consiste sans exagération à un avant et un après Pina Bausch.

C’est réellement l’initiatrice d’une révolution mondiale. Ainsi Pina Bausch a fondamentalement rénové l’art de la danse, en laquelle elle a chassé les derniers reliquats de son origine aristocrate et représentative. Pas seulement pour les beaux mouvements, pas pour de simples performances artistiques, pas pour la vanité de la tentative, ou la gravité. Avec Pina Bausch, la danse est surtout du théâtre.

L’art de Pina Bausch est né d’une aspiration à la vérité artistique. Et ses danseurs et danseuses ont participé à son élaboration. Ce qui reste chez elle, ce sont des souvenirs tendres, courroucés ou tristes, qu’elle a chaque fois recherchés. Pina Bausch a voulu irriter, déstabiliser, provoquer. Et la danse en a reçu l’héritage qu’elle n’aurait jamais espéré à Wuppertal…