Jaked : la combinaison qui tue la natation

Jaked : la combinaison qui tue la natation

Pour ceux qui trouvent encore à la natation les vertus d’un sport grandeur nature, où le corps humain est nu face à l’effort à fournir, les Jeux Méditerranéens qui se sont déroulés à Pescara, en Italie, donnent à penser que l’habit fait bien le moine, et les records dans les bassins de la piscine.

Tout le monde se souvient de la polémique engendrée par la décision de la FINA, la fédération internationale de natation, d’homologuer certains costumes de bain — où plutôt combinaisons — et pas d’autres… Alain Bernard, le champion olympique de Pékin, dont le record du monde sur 100 mètres nage libre établi le 23 avril dernier aux Championnats de France a été invalidé, a immédiatement réagi à cette décision, la jugeant "grave de conséquences pour la natation mondiale en général et pour nous, les nageurs, en particulier".

Pour la combinaison élaborée par Jaked, en revanche, les records tombent et deux d’entre eux ont encore été dépassés par les porteurs de cette combinaison miracle samedi : Federica Pellegrini sur 400 mètres nage libre à Pescara et Britta Steffen sur 100 mètres nage libre à Berlin. Mais la première a soigneusement camouflé le logo de la combinaison Jaked qu’elle avait revêtue pour l’occasion, pour la bonne raison qu’elle est équipée par Minuzo, son concurrent. "Federica Pellegrini a nagé avec une combinaison Jaked alors que nous lui avions défendu, il faut le rappeler, d’en porter", s’écrie l’équipementier.

Dimanche, la championne a déclaré au quotidien La Repubblica qu’enlever le logo de sa combinaison lui "paraissait le minimum" à faire "par respect pour son sponsor" personnel Mizuno. Mais comme elle avait également envie de gagner sur la longueur, elle a tout de même utilisé le matériel d’une concurrente… Jaked relativise et prétend que Federica Pellegrini "peut mettre ce qu’elle veut, tellement forte que dans tous les cas elle donnera le meilleur d’elle-même".

"Mais il est opportun de lui rappeler que si elle nage avec Jaked, elle ne peut pas annuler ce fait de façon unilatérale, d’autant que Jaked est sponsor de la Fédération italienne de natation", explique l’équipementier dans son communiqué. Jaked, la combinaison gagnante, est aussi la combinaison la combinaison de la fédération de natation italienne ! Où est l’astuce ? Des mauvaises langues affirment qu’il faut faire plaisir à l’organisateur des Championnats du Monde, qui se déroulent à Rome du 26 juillet au 2 août 2009.

Toujours que le choix de la fédération internationale est pour le moins sujet à controverse : "L’organe exécutif relève qu’il est difficile de mesurer l’effet de l’air-trapping et que la mise en place de procédures de contrôle fiables prendrait un temps considérable". Quand certains s’époumonent à réclamer l’application du principe de précaution pour des sujets bien plus graves, il est vrai, le moins que l’on puisse observer est que la FINA ne s’est pas laissée brider par la hâte à prendre une décision qui permet à quelques nageurs de briller à coup sûr.

En 2010 en revanche, et donc après les Championnats du Monde, les règles du jeu pourront de nouveau être modifiées. Après avoir menacé de revenir au simple maillot de bain, tout en exigeant la modification de 136 combinaisons, les responsables de la nage mondiale ont tranché avec un bandeau sur les yeux en publiant une liste de combinaisons homologuées jusqu’au 1er janvier 2010, et donc pour les mondiaux de Rome. Des esprits chagrins trouvent que l’Italie est favorisée pour un an, le temps de faire valoir la natation au peuple italien pendant les mois de juillet et d’août, en agitant devant son nez une belle poignée de médailles.

L’affaire paraît d’autant plus viciée que la décision a été prise en dépit de tout esprit de clarté. Au moment des championnats de France, la combinaison d’Alain Bernard avait été soumise aux autorités pour obtenir une homologation… Homologation qui, après coup, ne lui a donc pas été accordée. La fédération de natation française avait alors prévenu les nageurs que chacun devait "être en capacité de mesurer le risque pris de nager avec une combinaison qui se révèlerait a posteriori non conforme et non homologuée".

Denis Auguin, l’entraîneur du champion olympique de Pékin, n’a pas non plus caché sa colère : "On a vraiment l’impression qu’on nous mène en bateau depuis plusieurs mois, tout ça pour se retrouver à cinq semaines des championnats du monde avec un matériel re-homologué et non modifié alors que d’autres matériaux équivalents sont non homologués. C’est vraiment se foutre de la gueule du monde et surtout des athlètes". Mais Federica Pellegrini — la grande rivale de Laure Manaudou — vient de prouver que le foutage de gueule n’est pas encore arrivé à son comble, en utilisant pour gagner un matériel qu’elle n’était pas autorisée à porter.