Karachi : Attentat contre Chirac ou Sarkozy ?

Karachi : Attentat contre Chirac ou Sarkozy ?

Les révélations autour d’un système de financement politique occulte au cœur de l’attentat commis à Karachi au Pakistan le 8 mai 2002 embarrasse visiblement Nicolas Sarkozy. Mais Jacques Chirac a-t-il pour autant des raisons de voir prospérer une telle affaire dans les médias ?

Les juges d’instruction Yves Jannier et Marc Trévidic pensent que c’est l’arrêt en 1996 puis en 2000 de paiements de commissions au Pakistan, en partie par une société financière de la DCN située au Luxembourg, qui aurait amené des militaires pakistanais à commanditer l’attentat où 14 personnes, dont 11 ingénieurs et techniciens français de la DCN travaillant sur place à la construction de sous-marins Agosta, ont trouvé la mort. Un courrier de 2007 du parquet de Paris, cité par l’agence de presse Reuters, mentionne la société Heine, créée au Luxembourg en 1994 par la Direction des constructions navales (DCN).

Cette société aurait été constituée pour organiser le versement de commissions officiellement légales à l’époque et faciliter la conclusion des marchés d’armement. Le document saisi à la DCN mentionne "l’aval du directeur de cabinet du Premier ministre et celui du ministre du Budget et laisse supposer des relations ambiguës avec les autorités politiques en faisant référence au financement de la campagne électorale de M. Balladur pour la présidentielle de 1995", explique-t-il. À l’époque, Nicolas Sarkozy avait pris officiellement parti pour Édouard Balladur et occupait les fonctions de ministre du Budget et de porte-parole du gouvernement.

Cette volte-face par rapport aux tractations que Jacques Chirac et Édouard Balladur ont menées en 1993, à la faveur d’une éclatante victoire électorale aux législatives, a été qualifiée de trahison. Elles devaient préparer le premier à se présenter aux élections présidentielles dans une situation favorable, et le président de la République élu sur le thème de la fracture sociale en 1995 en a toujours tenu rigueur à Nicolas Sarkozy pour cette félonie. Édouard Balladur ne bénéficiait pas en 1995 des financements de son parti, réservés alors par le RPR à Jacques Chirac.

Charles Millon, ministre de la Défense entre 1995 et 1997, a confirmé mercredi à Paris-Match l’arrêt du paiement de commissions au Pakistan et à d’autres pays, après la victoire de Jacques Chirac sur Édouard Balladur en 1995. Tous les regards se tournent alors vers Nicolas Sarkozy, qui ne pouvait en sa qualité de ministre du budget, en tant qu’artisan de la campagne du Premier ministre, ignorer la façon dont l’argent a été récolté pour préparer la bataille pour les urnes. Nicolas Sarkozy a qualifié le 19 juin de fable l’ensemble du scénario faisant état de commissions donnant lieu à des rétrocommissions en France.

Toute cette histoire ressemble à s’y méprendre à une autre affaire, qui a empoisonné entre 2003 et 2006 les relations entre les balladuriens, affublés désormais de l’étiquette sarkozyste, et les chiraquiens. La rocambolesque histoire d’espionnage où la chambre de compensation luxembourgeoise a une fois de plus été montrée du doigt, doit être examinée en octobre devant un tribunal correctionnel, et parmi les prévenus figure l’ancien et précédent Premier ministre Dominique de Villepin. Un homme qui se dépense beaucoup à l’heure actuelle pour éviter une comparution où son sort semble compromis…

Dans l’affaire Clearstream comme dans celle de l’attentat de Karachi, on trouve un système de financement occulte, un établissement situé au Luxembourg, des rétrocommissions dont les ressorts sont sous clé au ministère du Budget, et tous les personnages éminents qui ont conduit les affaires du pays. Dans un cas comme dans l’autre, rien ne serait plus simple pour faire la lumière dans les dossiers que de lever le secret de l’instruction. "On espère aujourd’hui que l’affaire ne sera pas étouffée", a déclaré Magali Drouet, porte-parole du collectif des victimes. "D’autres dossiers de ce genre l’ont été mais là, il y a des familles avec des morts derrière, les politiques sont pas tout seuls".

Mais qui, parmi les protagonistes, peut avoir intérêt à voir des demi-révélations se répandre dans la presse et prospérer la rumeur, en l’absence de l’ensemble des pièces nécessaires à l’accomplissement de la procédure ? Édouard Balladur, rangé des voitures, aspire apparemment à une paisible retraite. Nicolas Sarkozy, s’il avait participé à un système de financement politique occulte, n’aurait en ce qui concerne le processus de commissions accordées rien à se reprocher, celui-ci étant légal à cette époque. Et il a d’autres chats à fouetter en ce moment !

Jacques Chirac paraît à l’heure actuelle très loin de ces basses considérations, mais doit encore répondre aux questions des juges d’instruction dans les affaires qui l’ont occupées lorsqu’il était maire de Paris. Quant à Dominique de Villepin, aurait-il quelque intérêt à remuer la boue, pour peu qu’il soit au fait de cette affaire ?