Quand l’amour fait mal au Havre

Quand l'amour fait mal au Havre

Noir c’est noir… Avec Sextet, Giuglietta nous livre quatorze histoires d’amour qui finissent mal, en général... À lire la nuit en écoutant une bande son bien électrique.

« Bluettes navrantes », « rêves à dormir de debout », c’est pas moi qui le dis, mais la quatrième de couverture de Sextet, le premier recueil de nouvelles de Giuglietta. Giuglietta ? En fait, au Havre, tout le monde connaît cette blonde élégante un peu excentrique sous le pseudo de Juliette. Peu de gens connaissent son vrai nom, mais on connaît bien son rire inimitable qui retentit sans crier gare dans tous les endroits où il se passe quelque chose.

La signature « Euthanasie Juliette » dans certains fanzines rock underground, c’était elle. Originaire du Sud, elle s’est installée au Havre dans les années 90. On l’a vue manageuse des Sheriff et des Backsliders, égérie de feue la webradio Radio Apple Pie, militante de la cause palestinienne. Entre diverses activités, elle officie à présent sur Radio Cab, au Cabaret Électric, et passe pas mal d’heures sur son clavier pour nous donner des textes hauts en couleurs.

Rescapé d’un gros bug informatique, le tapuscrit de Sextet est arrivé par miracle chez l’imprimeur (merci Loïck). On découvre alors que la rockeuse a du cœur et quelques bleus autour. Ses nouvelles ranimeront parfois les souvenirs des nostalgiques des années 70. Les histoires se passent au Havre, à Honfleur, à Bordeaux, à Barcelone… ou sur la Méditerranée à bord du Rafaëlo. Des séquences font des clins d’œil au cinoche (de Truffaut à Téchiné en passant par Sautet ou les films noirs américains). Des musiques accompagnent les personnages dans leurs dérives. Du rock, bien sûr, avec Patti Smith, T Rex… De la chanson française, avec Jeanne Moreau, Georges Brassens, Serge Reggiani… De la chanson de lutte aussi avec Bandera Rossa. Le fond de l’air est rouge et un peu noir aussi, avec un zeste de féminisme.

Hétéros, gays ou lesbiennes, sale temps pour les romances. Attendre le Prince Charmant, c’est comme croire au Père Noël ou en Dieu. Une vaste connerie. Pour supporter la comédie humaine, les personnages de Giuglietta trinquent entre alcools et pétards dans des lieux nocturnes pas toujours très nets, dans des cafés où de pauvres types boivent tristement leur RMI. Dans cet univers enfumé, on tombe en sympathie avec ce gars qui sort acheter des croissants et qui ne retrouve jamais son chemin pour déguster un petit-déjeuner prometteur avec sa copine d’une nuit. On suit aussi ce beau gosse, portrait croisé de Gérard Lanvin, de Sami Frey et de Jean-Pierre Bacri qui surine les chieuses éplorées anéanties par la vaine attente de l’être cher. Tout ça par solidarité envers les mecs piégés par les simagrées de ces démolisseuses d’Hommes. Sous la plume d’une nana qui a un certain vécu, ça ne manque pas de panache !

Le Mague : Giuglietta… Pourquoi Giuglietta ? Où est passée Juliette ?

Giuglietta : Juliette n’est pas mon vrai prénom, mais ça aussi c’est une longue histoire... et puis j’aime bien le Sud, tous les Suds... Gilda Piersanti, auteuse de romans noirs (Vengeances romaines, par exemple), m’a appris dimanche qu’il eût fallu l’écrire Giulietta.

Le Mague : On a l’impression de connaître certains des personnages qui peuplent Sextet. Sans trahir les secrets de fabrication, tu t’es inspirée de situations réelles ?

Giuglietta : Comme il est dit au début de Sextet : "Tout est faux, si ce n’est l’instrument de la mort..." Ceux et celles qui, comme toi, je crois, et moi en tout cas, fréquentent un peu les milieux rock, alternatifs, militants, les rades, la nuit peuvent se retrouver dans ces univers... En tout cas, je l’espère... Après, c’est aux lecteurs de s’amuser à deviner si certaines choses sont totalement imaginaires ou tout à fait autobiographiques ...

Le Mague : On te connaît généralement de bonne humeur, toujours prête à te marrer. Tes textes sont en revanche très noirs. C’est sur ton ordinateur que tu laisses libre cours à ta force obscure ?

Giuglietta : C’est ma première véritable interview et c’est une sensation très étrange de parler à la première personne, je veux dire... J’ai plus l’habitude de "défendre" des groupes, des musiques, des causes..., mais jouons le jeu (le JE ? ah ah). Oui, en effet, j’adore rire, mais ces deux dernières années ont parfois été très difficiles, c’est un euphémisme, et c’est d’ailleurs là qu’est venu – enfin - le déclic de l’écriture... D’où, je suppose, une certaine noirceur. Du fait aussi, je pense, de vivre au Havre depuis quinze ans, une ville très attachante, mais très dure. Par ailleurs, je lis beaucoup de romans noirs (avec, grâce au festival Polar à la plage, la possibilité formidable de rencontrer de nombreux auteurs importants).

Le Mague : Ton recueil est sorti aux éditions Jusqu’à l’os. C’est quoi cette association au nom si poétique ?

Giuglietta : Jusqu’à l’os est née l’an passé, sur les cendres encore fumantes de Radio Apple Pie. C’est-à-dire que Pierre, Ludo et moi avions participé à cette belle web-aventure qui a duré six ans. Jérôme Sirou, dessinateur bien connu, y collaborait également, Claire s’est jointe à nous et nous avons sorti en octobre L’Acteur (BD de Sirou), projeté un feuilleton radio qui a du mal a démarrer, décidé de créer un site où l’on trouvera des chroniques ciné, bouquins, cuisine, des collages sonores, de la musique et des clips... si tout va bien. Et de sortir Sextet, mon premier recueil donc.

Le Mague : Quels sont tes projets ? Radio ? Écriture ? Militantisme ?

Giuglietta : Comme tu l’as dit je participe à Radio Cab. Pour la 9ème , nous recevrons Riff Rebs (qui vient de publier le très beau À bord de l’étoile Matutine, d’après Mac Orlan) et les Harlem Shuffle. L’émission sera enregistrée en live le 10 juillet. Je continue à écrire, pas tous les jours, sur le papier ou le clavier, mais en tout cas dans ma tête. J’ai attendu très longtemps pour m’y mettre, donc j’ai des tas d’idées, des nouvelles déjà terminées, et un petit roman bien avancé qui s’appellera Blague à part. Annie Bossut (ex-King Size) va également publier un recueil collectif, Histoires d’os, dans lequel figurera une de mes petites nouvelles, Tonio, qui plonge dans le rock des années 80 à Paris. Les textes illustrent des photos d’anonymes ou d’amis à elle, prises de... dos ! Je culpabilise de ne pas militer assez face à tout ce qui nous tombe dessus en France et en Europe ces derniers temps avec des Sarkozy, Berlusconi, la montée des extrêmes droites, et l’écrasement des travailleurs pauvres (précaires, sans papiers etc...), mais je me sens un peu impuissante et découragée (comme beaucoup de gens hélas). La cause palestinienne me tient beaucoup à cœur depuis des années. Je suis allée trois fois là-bas et j’ai envie d’y retourner sans perdre de vue que le travail que font, au jour le jour, ici, les militants de France Palestine Solidarité est essentiel !

Le Mague : Tu as le mot de la fin. Carte blanche, ou noire, ou rouge. À toi de choisir.

Giuglietta : La parole à Raoul Vaneigem, avec l’espoir de se coucher un jour dans "le lit somptueux de la révolution".

Giuglietta, Sextet, éditions Jusqu’à l’os, 76 pages. 7€.

Rencontre avec Giuglietta aux Yeux d’Elsa (114 rue d’Étretat au Havre), le vendredi 19 juin, à 18h30.

Vous trouverez une interview dessinée de Giuglietta sur Le Carnet de Jérôme Sirou.

Pour tout contact : association Jusqu’à l’os 7 allée Robert 76600 Le Havre ou en écrivant à Juliette sur headliners[at]free.fr