Le petit livre bleu du naturisme

Le petit livre bleu du naturisme

Contrairement à un autre petit livre couleur rouge sang, ce livre-ci se bat contre les préjugés à l’égard des naturistes et s’applique à démonter méthodiquement les idées reçues. À part au moins un point critique, je le recommande farouchement aux naturistes, culs nus et autres textiles que la question du nu interpelle.

L’universitaire Marc Bordigoni, actuellement ingénieur de recherche à l’Institut d’Ethnologie Méditerranéenne, Européenne et Comparative (IDEMEC) a publié Les Naturistes. Cet ouvrage est plaisant, réjouissant et lisible par tous. Il est truffé à bon escient de citations survolant les domaines des sciences sociales et de la culture qui illustrent ses propos. Fort bien troussé, il repousse aux oubliettes toutes les conneries distillées à tord et à travers, concernant justement cette thématique du nu caché relégué derrière ses barrières policées, pour celles et ceux qui se défrisent les poils dans le calcif des poncifs. Du style prononcé : "Les naturistes ont été soutenus par les nazis et les communistes" / "Les naturistes n’ont pas de pudeur" / "Les naturistes sont exhibitionnistes et échangistes" / "Les naturistes ont été les premiers écologistes" / "Les naturistes sont sportifs, végétariens et bio" / "Quand on n’est pas beau, on n’est pas naturiste" et j’en passe des meilleurs, mon cœur !

C’est tout naturellement qu’il prend ses aises dans la collection Idées reçues éditée par les éditions Le Cavalier Bleu, dont le blaze s’inscrit je suppose dans la lignée du mouvement expressionniste allemand du sud de l’Allemagne. Pour en citer quelques-uns : Karl Marx / Le Développement durable / L’Altermondialisme / La Schizophrénie, et tant d’autres qui s’adressent à un plus large public possible.

Je suis très heureuse qu’il rende compte tout comme l’historien Arnaud Baubérot que "Le premier naturisme (1870 / 1914) est le choix d’individus convaincus des bienfaits de la Nature. Il est hygiéniste et pense la pratique de la nudité comme salutaire pour chacun et pour la société. Associé à la question de l’alimentation, à l’abstinence de consommation d’alcool et de tabac, il est porté d’abord en France par des individus qui se situent dans la mouvance anarchiste" (page 31). Seulement, comment expliquer, qu’un auteur si cultivé se soit donné le mot, avec sa consœur naturiste et géographe Francine Barthe-Deloizy, de faire l’impasse sur Élysée Reclus.

Ce géographe anarchiste s’était pourtant intéressé à La question des vêtements et de la nudité » entre autre dans son magistral ouvrage "L’Homme et la Terre" (1905, 6 volumes, 17.873 pages et 4.290 cartes). "La beauté nue ennoblit et purifie ; le vêtement, insidieux et mensonger, dégrade et pervertit" (Élysée Reclus). À croire que dans le sillage d’un Vidal de La Blache, grand maître de l’école de géographe française et rétrograde créateur du concept de la région, cet oubli volontaire tient de l’orientation spécifique de la géographie franchouillarde enseignée par certains universitaires intravertis. Contrairement à un Elysée Reclus, géographe de terrain, qui de part son optique libertaire était parvenu à effacer les frontières et créer une géographie critique des stratégies politiques et économiques des milieux dirigeants à travers l’analyse fine des problèmes urbains et industriels.

J’ai eu l’occasion de rencontrer Marc Bordigoni, lors du premier Renc’Art Naturiste, à sa conférence au château de Barjac devant une vingtaine de crinières grises. Je lui ai posé la question : comment se fait-il qu’il y a toute une génération de jeunes universitaires textiles qui s’intéresse au thème du naturisme et si peu chez les premiers intéressés ? J’ai eu droit d’entendre le nom de Marc- Alain Descamps, ex-sorbonnard et homme fêtard qui dans sa jeunesse avait analysé le naturisme dans au moins un ouvrage de référence pour les anciens et qui dans ses vieux jours se réclame des Enfants indigo, dans le pur jus de la phraséologie de l’Église de scientologie ! Sans renier l’apport, bien au contraire, des chercheurs qui cherchent et qui trouvent des réponses plausibles aux questions de société, je déplore seulement que chez les jeunes naturistes, les questions de survie d’un mouvement en déclin ne les interrogent pas plus que cela.

Du rôle prépondérant des pionniers naturistes pour changer radicalement les modes de fonctionnement d’une société en décrépitude, on en est arrivé à l’érection de camps et domaines naturistes ouverts aux chalands qui viennent consommer leur dose de Phébus. Ils remplissent les poches des marchands de sommeil sous le soleil exactement. Ils caressent les atours du bio développement durable, puisqu’à présent c’est bien connu, tout le monde il est beau et écolo, même notre cher président ! Marc Bordigoni s’applique à expliquer ce glissement progressif du collectif autogestionnaire des clubs vers la pente glissante du naturiste consumériste individualiste des grands centres.

"Si, au début de nombre de lieux, l’engagement individuel et collectif permet de pallier aux défaillances de comportement de l’un ou l’autre, la logique consumériste a développé la prestation de service : ce que les uns ou les autres faisaient pour l’ensemble est attendu des responsables de l’espace naturiste ; petit à petit, on est passé du club et camping naturiste au centre de vacances et de loisirs fortement équipé (bungalows, mobile-home, commerces…). Pour les militants la tension devient palpable et le destin du lieu difficile : quand les repreneurs de l’espace naturiste sont des gestionnaires, la logique commerciale oblige à employer du personnel pour la maintenance des espaces collectifs primordialement autogérés" (pages 89 / 90). Qui est-ce qui avait prédit déjà que "la propriété c’est le vol" ? Je vous demande un peu !

Ce petit livre est d’autant bien ficelé, qu’à son tout début, vous aurez droit aux définitions et critères de différence entre naturiste et nudiste. En fin dans les annexes vous trouverez quelques références d’ouvrages (mais pas le roman d’humour et de dérision du naturisme selon le Bartos, étonnant non ?), et autres pistes sur la toile.

A part ma critique concernant l’oubli d’Élysée Reclus, le géographe le plus prolixe de toute l’histoire de la géographie moderne, j’aurai pu ajouter le prince Kropotkine ! Je conseille la lecture de cet ouvrage extrêmement instructif et lisible qui dresse une bonne synthèse de l’histoire des pionniers du naturisme jusqu’à aujourd’hui avec les implications sociales et sociétales

Clin d’œil à l’amie Fred Romano de Formentera qui aime elle aussi se baigner nue et citée par Marc Bordigoni : "À Vendre pour cause de myopie : villa donnant sur un camp de nudistes" (Coluche).

Marc Bordigoni : Les Naturistes / éditions Le Cavalier Bleu / collection Idées reçues, 125 pages, prix 9,50 €, février 2009.