Dopage sportif : Faut-il en parler dans la presse ?

Dopage sportif : Faut-il en parler dans la presse ?

Tous les ans à deux ou trois semaines du départ du Tour de France, les médias en font des tonnes pour sortir de nouvelles informations sur le dopage dans les milieux sportifs. Dimanche, les spéculations sur une éventuelle relation entre le cancer de Laurent Fignon et la prise de produits illicites sera évoquée sur les chaînes de télévision. Et le sport dans tout ça ?

Mon confrère Bruno Roger-Petit raconte la manière dont France2 a réussi à doubler TF1 pour obtenir le témoignage du coureur cycliste à propos de la maladie qui le frappe avant la concurrence. Laurent Fignon, double vainqueur sur le Tour de France, vient de reconnaître avoir pris des produits dopants au cours de sa carrière dans un livre à paraître aux éditions Grasset : Nous étions jeunes et insouciants. Il récuse tout lien avec le cancer dont il souffre, mais son témoignage, à l’entendre, prend des airs de confession ultime : "mon cancer est un cancer avancé, puisqu’il a envoyé des métastases. C’est certainement le pancréas. Donc on ne sait pas ce qui me reste à vivre"…

Tout comme Lance Armstrong en son temps, Laurent Fignon se refuse à faire le lien entre le cancer et sa maladie : "je ne vais pas dire que cela n’a pas joué. Je n’en sais absolument rien. C’est impossible de dire oui ou non. D’après les médecins, apparemment non". Son cas n’est pas unique, et bien sûr, il suggère qu’un lien avéré entre la prise de produits illicites et l’apparition de cancers chez les sportifs se traduirait par forcément par une hécatombe. "On n’a pas de recul sur le dopage, souligne l’ancien coureur. Être sûr et certain que cela ne fait pas mal, c’est impossible à dire. Être certain que tous ceux qui ont vécu l’époque 1998, où il y avait beaucoup d’exagérations, ne développeront pas un cancer dans dix ou vingt ans, je n’en sais rien. On le saura plus tard".

La science n’a jamais assez de recul pour analyser correctement les conséquences de l’administration de telle ou telle substance sur le corps humain. Près de deux siècles après la mort de Napoléon Bonaparte, les experts se perdent encore en conjecture au sujet d’un éventuel empoisonnement du dictateur exilé à Sainte-Hélène… Comment demander aux médecins de prédire la probabilité de développer un cancer dans les conditions où se déroulent les courses et l’entraînement sportifs sur les vingt ans à venir ? Le dopage, en plus, évolue sans cesse, et les coureurs et les athlètes de haut niveau bénéficient des dernières nouveautés scientifiques. Une chose est cependant certaine : si les produits administrés sont interdits, c’est naturellement que les autorités soupçonnent des conséquences dommageables pour la santé. C’est valable pour n’importe quel médicament administré à hautes doses : ne pas dépasser la dose prescrite !

L’affaire Festina, à l’été 1998, a fait l’effet d’une bombe dans le milieu du cyclisme : des membres de l’équipe, non seulement les coureurs, mais les responsables et le personnel soignant sont impliqués dans une histoire de dopage… Tout était organisé dans les moindres détails par l’encadrement, ce dont le grand public ne pouvait imaginer, tenu dans la légende des canards boiteux et des moutons noirs pris sur le fait et jugés seuls responsables du dopage. Depuis, plusieurs sportifs à la retraite ont fait leur coming out, et ont mis en cause des personnes chargées de gérer leur entraînement et leurs carrières. Plus personne n’est dupe aujourd’hui : arrivé à un certain niveau, tout le monde se dope !

Mais le problème n’est pas seulement celui du sport. Notre société réclamant toujours plus de performance, de rentabilité, des gens ordinaires en sont venus à de telles pratiques, comme certains chauffeurs routiers, devenus accros à la cocaïne et aux amphétamines pour lutter contre les troubles de la vision sur la route au cours de leurs longues périodes de conduite… Et chez nos politiciens, qui n’a pas remarqué les soudaines phases de forme et de méforme illustrées par l’un ou l’autre d’un jour à l’autre, ces tics révélateurs d’une addiction ? Il faut tenir le coup sur toute la campagne électorale, optimiser son sommeil et ses prises de parole !

Avec le développement des salles de sport et le réseau Internet, le dopage est entré de plain-pied dans le grand public. Objectif avoué pour tout le monde : améliorer les performances. C’est également celui des sportifs à la veille d’une compétition comme au long de toute l’année, pendant l’entraînement. Et si les meilleurs se dopent, comment imaginer que les autres ne feraient pas usage ? Toujours est-il que la presse a pour manie de jeter l’opprobre en vue d’améliorer ses propres objectifs de vente. Bruno Roger-Petit juge la manœuvre de France2 en ces termes : "une course à l’exclusivité un peu… sordide" ! Au pire est-on en droit de se demander si ces grands déballages à quelques jours du départ d’un grand événement sportif est la meilleure façon de promouvoir le sport.