La rosée : de l’eau pour toute la planète !

La rosée : de l'eau pour toute la planète !

À l’heure où l’eau est source de conflits dans le monde, j’ai rencontré à Pessac (banlieue de Bordeaux), deux éminents chercheurs : Daniel Beysens et Jalil Ouazzani. Ils œuvrent au sein de l’Organisation Pour l’Utilisation de la Rosée (OPUR) afin que la rosée soit bue et donne à boire aux champs et cultures, même dans les pires conditions géographiques. Ils nous relatent leurs aventures dans un langage clair et limpide comme de l’eau de source. Leur optimisme et leur générosité donnent du cœur à l’ouvrage, d’autant que leurs démarches conjuguées sont dénuées du carnaval commercial.

Le Mague : Quel a été l’élément déclencheur de votre fascination pour les études des phénomènes de rosée ?

Daniel Beysens : Je suis de formation "physique et optique" et il y a une quinzaine d’années je m’intéressais aux phénomènes de changement de phase. Par exemple, comment la vapeur se transforme en liquide et le liquide en vapeur. Un beau jour, ma voiture est tombée en panne. J’ai pris le bus. C’était le matin au mois de février et il y avait beaucoup de buée sur les vitres. Au loin se trouvait un lampadaire et ça faisait un halo lumineux autour de la lampe. Je me suis demandé : s’il y a un halo, cela signifie que les gouttes de buée sur la vitre ont toutes la même taille et sont séparées d’à peu près une distance égale à leur taille. Je me suis aussi dit : si je souffle dessus, les gouttes vont grossir. Que va-t-il se passer ? J’ai soufflé et miracle, l’anneau a rétréci. Comme les gouttes avaient grossi, cela voulait dire qu’elles conservaient durant leur croissance une distance égale à leur diamètre.

J’ai trouvé que cette propriété, cet ordre dans la croissance était extraordinaire, et j’ai donc commencé à étudier ce phénomène de façon systématique. C’est comme cela que tout a démarré. Nous avons découvert des propriétés physiques statistiques très intéressantes et quelques années après nous nous sommes demandés si cela ne pouvait pas être utilisé dans la vie de tous les jours. C’est grâce à Alain Gioda, un hydrologue qui m’a signalé qu’en Crimée, les Grecs récupéraient la rosée dans l’Antiquité. Nous avons monté une expédition en Ukraine. Nous avons trouvé les traces d’un condensateur de rosée du début du XXème siècle (nous avons fait un livre avec Iryna Milimouk, la Directrice de l’expédition : À la Poursuite des Fontaines aériennes). Après coup, nous avons décidé de créer l’OPUR. Nous avons commencé à étudier de façon systématique la formation de la rosée. Comment récupérer plus, quelle était la quantité maximum disponible et quelles étaient les limitations de la collecte ?

Le Mague : Et à quel moment vous est venu l’idée de monter votre société ?

Daniel Beysens : Avec Jalil Ouazzani, nous sommes lauréats du concours "Émergence" du ministère de la Recherche. Nous avons donc reçu un petit peu d’argent et nous avons essayé de voir si on pouvait monter une petite société de façon à valoriser cette technologie. C’est pourquoi, vous voyez ici des appareils. Nous travaillons avec des architectes pour essayer d’avoir de jolies choses qui en même temps fonctionnent bien. Nous testons aussi un certain nombre de nouveaux matériaux ou des matériaux qui sont des déchets pour certaines industries et que ces industries essaient de les valoriser.

Le Mague : Vous avez parlé de l’OPUR. Qu’est-ce que c’est ? Qui est-ce ? Comment ça fonctionne ?

Daniel Beysens : C’est une Association loi 1901 que nous avons fondé en 1999. J’en suis le président et l’un des fondateurs. Elle a pour but de promouvoir l’utilisation de la rosée, que ce soit au niveau scientifique ou artistique. Nous avons des plasticiens dans notre association. On vit grâce aux cotisations et aux dons. OPUR : ça veut dire Organisation Pour l’Utilisation de la Rosée. C’est une organisation internationale. Le vice-président est un israélien de Jérusalem. Nous avons des membres dans le monde entier notamment en Inde où nous avons réalisé des usines de rosée. Nous venons d’avoir une demande pour installer des condensateurs de rosée sur les 38.000 mètres carrés de toit d’une usine de voitures. Ca fait de l’eau et ça évite à des tas de camions remplis d’eau d’aller et venir.

Le Mague : Quand et comment apparaît la rosée ?

Daniel Beysens : Le ciel est clair et tout d’un coup le matin, mystère on s’aperçoit qu’il y a de l’eau. La rosée se forme dès que le soleil n’est plus là. On sait maintenant que l’eau se dissout dans l’air depuis Charles Leroy (1750) qui a compris que l’eau pouvait être dissoute dans l’air comme le sucre dans le café. Et plus la température est élevée et plus on peut en dissoudre. Vous imaginez que vous avez de l’air à 20°C. Dedans il y a 80% d’humidité, ça veut dire qu’on peut encore diluer 20% d’eau. Si vous baissez la température de l’air, par exemple à 18°C, vous pouvez dissoudre moins d’eau. Avec la même quantité d’eau dans l’air qu’a 20°C, vous allez saturer l’air et atteindre 100% d’humidité. Si vous baissez encore un peu la température, par exemple à 17°C, l’air ne peut plus contenir toute l’eau qu’il a déjà dissous à 18°C. Donc il va rejeter son eau sur tout ce qu’il peut, c’est le phénomène de condensation, qui se fait préférentiellement sur des poussières en suspension (c’est le brouillard) ou sur des parois (c’est la buée ou la rosée).

Le Mague : Vous nous avez parlé de la buée au début de notre entretien. Je voulais savoir quelle était la différence entre la buée et la rosée ?

Daniel Beysens : La buée est semblable à la rosée. Le mot buée, ça vient du mot buanderie, un mot apparu en France vers le XIème siècle. En fait, la buée c’est la condensation qui se forme à l’intérieur d’un local. La rosée c’est de la buée qui se forme à l’extérieur, grâce à un refroidissement qui s’appelle le refroidissement radiatif. La nuit, la terre reçoit moins d’énergie qu’elle n’en émet (par rayonnement infrarouge). Par conséquent, le sol va se refroidir à une température plus basse que l’air alentour. Le sol va pouvoir atteindre la température du point de rosée, la température où l’humidité relative est de 100%. C’est comme cela que se forme la rosée. Il faut donc qu’il n’y ait pas de nuages (pour ne pas recevoir d’eux un rayonnement infrarouge qui chauffe) et pas de vent (qui empêche de refroidir sous la température de l’air).

Le Mague : Et au niveau de vos recherches et de l’élaboration de matériaux pour récolter la rosée, vous pouvez nous dire où vous en êtes ?

Daniel Beysens : Pour faire un maximum de rosée, il faut avoir un matériau qui émette un maximum d’énergie. Cela s’appelle un corps noir, parce qu’il émet et absorbe toutes les couleurs. Il faut aussi que l’eau glisse sur le support. Nous avons donc mis au point des matériaux qui permettent ce phénomène. Et il faut en plus que ces matériaux ne soient pas chers et en même temps qu’ils soient faciles à mettre en œuvre.

Jalil Ouazzani : C’est une sorte de poudre que l’on peut rajouter à n’importe quelle peinture. C’est rayonnant, ça perd son énergie.

Daniel Beysens : C’est intéressant, ça rend la peinture hydrophile. Si vous mettez une goutte dessus, ça va faire un film et l’eau va glisser. Ce qui très intéressant aussi, c’est que cette propriété est liée à une réaction chimique avec les ultraviolets solaires, par conséquent, plus la peinture est vieille, meilleure elle est. Vu qu’on est à Bordeaux, c’est un peu comme le vin.

Jalil Ouazzani : Autre avantage des matériaux, vu leur côté hydrophile, par exemple s’il y a des petites pluies ou des bruines, ils collectent ces eaux. Alors qu’un toit ne les collecterait pas parce qu’il n’est pas complètement recouvert d’eau. Cela collecte aussi le brouillard radiatif. C’est à dire le brouillard qui se forme le matin quand le ciel a été clair.

Le Mague : Ciel de ciel, mais alors quels sont les inconvénients de ces matériaux ?

Daniel Beysens : Ces matériaux sont plus souvent inclus dans un film plastique peu cher (polyéthylène basse densité), qui se dégrade au bout d’un certain temps sous l’effet du soleil, même si on y met des additifs anti UV. C’est quelque chose à laquelle on doit remédier. Mais, en même temps, ces matériaux déclinés en films plastiques restent moins chers qu’en peinture. La peinture n’a pas de gros inconvénients si ce n’est que son coût assez élevé. Cependant, pour choisir un revêtement on doit compter le coût de la peinture et de la main d’œuvre. Le film polyéthylène est moins cher mais il est plus difficile à mettre en œuvre que la peinture.

Le Mague : Pour aller dans le sens du très concret. Une de mes amies, Fred Romano, vit à l’année sur l’île de Formentera aux Baléares. Il s’avère qu’à chaque été, elle souffre d’énormes sécheresses donc d’un manque flagrant d’eau. Si Fred désirait équiper sa maison pour récolter la rosée, comment devrait-elle procéder et combien ça lui coûterait ?

Jalil Ouazzani : Pour les particuliers, ils peuvent s’adresser directement à l’association OPUR qui les dirigera vers une entité commerciale. Le coût du matériel va varier autour de quelques euros le m², en prenant en compte les frais de transport. C’est très abordable. Pour un toit de 200 m², ça va lui coûter environ entre 300 et 500 euros.

Daniel Beysens : Le rendement qu’elle pourra escompter, comme elle est sur une île peut varier entre 20 à 30 litres par jour (petites rosées) et beaucoup plus entre 100 à 200 litres (grandes rosées). Ces variations bien sûr sont liées aux conditions météo, changeantes par nature.

Le Mague : Et cette eau est-elle buvable ?

Daniel Beysens : On ne peut pas édicter de règles générales. Ca dépend de la composition chimique et bactériologique de l’air. La rosée dépend de l’endroit où vous vous trouvez. En règle générale, elle sera toujours un peu acide à la base, parce qu’elle va absorber le gaz carbonique de l’air. Mais elle sera moins acide que la pluie parce qu’elle va absorber du CO2 durant seulement une nuit, alors que les gouttes de pluie, avant de tomber, restent toujours longtemps en suspension. On trouve aussi dans la rosée un peu d’acide sulfurique, d’acide nitrique dans des quantités plus faibles que dans la pluie et en général infinitésimales. La rosée se forme sur un support et il y a donc des aérosols, c’est-à-dire des poussières transportées par le vent qui vont se déposer. Ces poussières vont se dissoudre dans la rosée notamment et elles sont calcaires comme le carbonate de calcium. Cela va empêcher l’acidité de la rosée d’être trop forte.

Le Mague : Même que si ça tombe, elle est si bonne que les bébés peuvent la boire ?

Daniel Beysens : En général l’acidité des rosées que l’on a mesurées avaient un pH (le pH mesure l’acidité : un pH de 7 correspond à une eau neutre, un pH beaucoup plus petit que 7, à une eau acide, un pH beaucoup plus grand que 7 à une eau alcaline), entre 6 et 7 1/2 de PH, c’est-à-dire que la rosée était quasiment neutre ou légèrement acide. C’est excellent. C’est une eau qui est très peu minéralisée. Les caractéristiques en Europe ne sont pas très éloignées de l’eau de source du Mont Roucous dont l’eau est préconisée pour les bébés et l’eau des biberons parce qu’elle est très peu minéralisée. Maintenant du point de vue bactériologique, c’est une eau qui est récoltée à l’extérieur. On y trouve pas mal de spores de bactéries végétales et s’il y a des insectes ou si des précautions élémentaires d’hygiène ne sont pas prises pour la récolter, elle peut être polluée par des bactéries d’origine animale ou humaine. Au niveau bactériologique, pour la boire, il vaut mieux la stériliser.

Jalil Ouazzani : Si on la filtre, elle est potable. On dit aussi que l’eau de rosée à des propriétés curatives. Peut-on y croire ? C’est une eau, mais parmi des milliers d’eaux, elle est une eau très particulière.

Daniel Beysens : Suivant l’endroit où vous êtes, les caractéristiques de l’eau de rosée peuvent changer. Nous avons effectué des mesures en Polynésie Française sur les atolls du Pacifique et là elle est beaucoup plus minéralisée. On y trouve beaucoup plus de sel dû à la présence de l’océan et aux vents forts les alizés qui apportent sur les supports des embruns, des petits cristaux de sel marin.

Jalil Ouazzani : Dans la région du pays Basque, une fois par an il y a des boulangers qui se réunissent et qui collectent l’eau de rosée et qui font un pain. C’est le pain de rosée et ils disent que le pain est différent.

Daniel Beysens : C’est un pain où il n’y a pas de crottes de souris (rires).

Le Mague : Non mais sans dec, nom d’une cacahuète, je ne mange pas de ce pain sec là ! Quels sont vos projets pour le futur proche de l’OPUR ?

Daniel Beysens : C’est d’abord d’améliorer les matériaux que nous avons mis au point, les rendre moins chers et plus pérennes. C’est aussi d’analyser la composition chimique de la rosée avec de nouveaux matériaux, pour voir si ces matériaux sont de qualité alimentaire ou pas. La feuille de polyéthylène qu’on a développé est assez complexe. On y trouve un surfactant, c’est à dire un matériau qui migre en surface et rend la surface glissante pour l’eau. Cette feuille est alimentaire, elle a été agréée par le Département de l’Énergie des États-Unis (DOE), par conséquent, avec cette feuille, on peut boire la rosée sans problème. Avec la peinture, il faut faire attention. Il faut que la peinture soit agrée pour son côté alimentaire. Cependant, la rosée n’est pas toujours récoltée pour être bue. En Inde, des toitures d’écoles on été équipées. Si les gamins peuvent boire la rosée, ils n’ont pas à aller chercher à des kilomètres de l’eau, cela permet aussi d’arroser les jardins autour.

Une journaliste de Libération y est allée il y a quelques mois. Elle m’a dit : c’est formidable. Tout autour, c’est sec comme tout et lorsqu’on arrive à l’école, tout est vert ! Et ceci grâce à la rosée. Comme quoi, même si la rosée ne va pas faire reverdir le désert… Quoi que… dans le désert du Néguev, si les dunes sont stabilisées, c’est grâce à la rosée qui nourrit ce qu’on appelle la croûte biologique. Ce sont des bactéries cyanophiles qui se développent à la surface du sol et qui fixent les dunes. Et quand les dunes sont stabilisées, des herbes, des buissons, etc… peuvent se développer. C’est très important. D’autant plus, que dans ce désert (comme dans d’autres) on récolte autant d’eau de rosée que d’eau de pluie. La pluie tombe deux ou trois jours par an — quand il y en a !

Le Mague : Si vous avez un dernier commentaire à faire, ce sera toujours avec plaisir !

Daniel Beysens : Oui, juste une petite remarque. Il faut connaître le prix de revient du litre d’eau de rosée. A l’heure actuelle, son prix de revient est plus élevé que celui des usines de dessalement d’eau de mer. Simplement, la différence essentielle est la suivante : les usines de dessalement d’eau de mer ont besoin de beaucoup d’énergie, c’est de l’ordre de plusieurs KWh par m³. Quand elles fonctionnent avec du fioul, elles rejettent du carbone et du souffre dans l’atmosphère, ce qui n’est pas le cas pour notre technique qui est une technique naturelle. Il faut voir aussi que pour construire une usine de dessalement d’eau de mer il faut des milliards d’euros, tandis que l’investissement pour nos systèmes, n’est de l’ordre que de quelques centaines voire à quelques milliers d’euros. On ne joue pas dans la même gamme, on n’est pas du tout concurrent. Nous on est petit et délocalisé et on utilise une énergie plus que renouvelable qui est permanente (sourire), qui utilise le déficit radiatif. Nous sommes complémentaires et pas concurrents.

Daniel Beysens : Directeur de Recherches de l’Institut nanosciences et cryogénie du Commissariat à l’énergie atomique, chercheur à l’Ecole Supérieure de Physique et Chimie-Paris-Tech et Président de l’OPUR.

Jalil Ouazzani : Directeur de l’entreprise Arcofluid, à la pointe dans la simulation informatique en mécanique des fluides, sommité scientifique membre à l’OPUR et chercheur.