Zéro pointé en Philo pour l’Élève Sarkozy

Zéro pointé en Philo pour l'Élève Sarkozy

Le chef de l’État a réclamé une multiplication des opérations coup de poing dans les cités sensibles pour y démanteler bandes et trafics et défendu la sanctuarisation des écoles et lycées contre la violence. Pour justifier ses décisions, Nicolas Sarkozy s’est livré à un véritable viol de la philosophie et à une nouvelle provocation dont il a le secret.

Dans un discours viril, Nicolas Sarkozy a réclamé jeudi devant des responsables des forces de l’ordre et les recteurs d’académie réunis à la suite d’une série d’incidents très médiatisés de nouvelles mesures en matière de répression. Avant de les énumérer, il affirme sa philosophie en la matière : c’est la criminalité qui favorise la misère en aggravant l’exclusion. L’équipe du journal Le MAGue s’est trouvée dans la nécessité de demander de l’aide à un professeur de philosophie pour comprendre le pourquoi du comment de cette absurdité.

En effet, le président de la République a pris volontairement le contre-pied des gens de gauche pour énoncer un sophisme du plus bel effet. La criminalité est-elle cause de la misère ? Sortez les annales du bac et vous ne vous en sortirez pas. Laurence Hansen-Löve a publié cette année des fiches de révision pour le bac philo sur le site Internet de L’Étudiant, elle enseigne cette discipline aux élèves des classes préparatoires aux concours d’entrée aux Grandes Écoles.

Pendant des décennies, l’idéologie dominante était fondée sur l’idée que la misère engendre la criminalité qui ne peut donc être traitée que par des mesures sociales, explique le président de la République. Il prend le contre-pied en inversant la proposition, mais cette rhétorique conduit à quelque chose qui ne tient manifestement pas la route. Certes, nous explique Laurence Hansen-Löve, l’idée de la gauche selon laquelle on voit forcément la délinquance sous le prisme des conditions sociales dégradées est excessive, mais chercher à dire le contraire est absurde.

L’argument que Nicolas Sarkozy part du principe que tous les laquais sont des fripons, ce qu’écrit Jean-Jacques Rousseau dans Les Confessions. Cette litote pour exprimer le problème de la délinquance par la faute des riches fait l’impasse sur l’escroquerie financière, la corruption et les délits d’initiés. L’aisance ne rend pas plus vertueux que le dénuement ne pousse au crime… Pour autant, nous dit Laurence Hansen-Löve, renverser ce qui est excessif ne rend pas juste son propos. En premier lieu, le chef de l’État fait une interprétation abusive du discours d’une partie des élites, et l’inverse du faux n’est pas plus vrai que l’erreur qu’il dénonce.

Il serait plus sensé d’affirmer que, si la misère n’est pas la cause de la criminalité, elle en est souvent le terreau. Les conditions sociales, dont les marxistes ont fait le tenant et l’aboutissant de toute chose, n’expliquent pas tout, mais la caricature qu’en fait Nicolas Sarkozy en exagérant le discours des premiers, rend faux ce qui est fondamentalement vrai. Le président de la République fustige un point de vue grâce à un procédé frelaté, mais l’effet recherché fonctionne : abasourdir ou interloquer.

Nicolas Sarkozy s’appuie sur un sophisme, un raisonnement logique en apparence, mais en réalité l’antithèse de quelque chose d’erroné. Cela ne rend pas forcément vrai son argument. Il serait intéressant de se pencher sur les sources de l’inspiration du chef de file de la droite décomplexée. Cette manière d’argumenter fait penser aux paradoxes énoncés par les philosophes nominalistes, ou encore par George Orwell dans 1984 : ces antinomies fondées sur un langage émasculé, qui devient un verbiage. La paix c’est la guerreLa liberté c’est l’esclavage

L’homme a un penchant pour la provocation et fait montre de beaucoup de respect pour ses adversaires. Il a chipé Guy Môquet aux communistes avec beaucoup de talent. À plusieurs reprises, François Fillon et lui-même se sont livrés à des références incongrues au marxisme-léninisme, dont les tenants furent à l’époque de leur jeunesse les contradicteurs les plus virulents. De la même manière, il aurait emprunté un procédé rhétorique très en vogue chez les gauchistes dans les années soixante-dix pour présenter une absurdité.

En fait, Nicolas Sarkozy s’attaque à la délinquance parce qu’il ne peut pas s’attaquer à la misère… C’est la crise et les moyens dont disposent les pouvoirs publics sont bien entamés. Le chef de l’État est en mesure de s’attaquer aux conséquences du mal, mais il est incapable de s’attaquer au mal lui-même… Alors, il cherche à faire passer les conséquences pour la cause du problème.

Avec le précieux concours de Laurence Hansen-Löve, auteur également de La Philo en dix Leçons (tout le programme du bac en 10 leçons), 197 pages illustrées, chez Le Web pédagogique, 10 €.

Le Web pédagogique est une plate-forme de 9.000 blogs de professeurs dans toutes les disciplines. Il fournit une quantité de connaissance inégalée, précieuse en période de révisions. Laurence Hansen-Löve collabore à cette initiative.

 

 


Pour la sécurité de tous restons bien vigilants
Si les mots ont un sens où parfois l’interprète
Confie un différent de celui qu’on leur prête,
Mais l’astuce aboutit avec les cerveaux lents.

Les jeux de mots hardis sont aussi succulents
Que cette rhétorique asthmatique et proprette,
Mais attention aussi quand l’idée est abstraite
Elle ouvre incognito des conflits plus violents.

Pour vivre heureux ici aussi restez tranquilles
Et refusez de vous cloîtrer dans les presqu’îles
Du sens critique et des avis des gens prudents.

Un discours trop habile est souvent désinvolte
Et les gouvernements sont parfois sur les dents
Quand du sens ont les gens celui de la révolte !