ENTRETIEN AVEC CHRISTIAN CONGIU

ENTRETIEN AVEC CHRISTIAN CONGIU

Christian Congiu, Directeur de la revue Nouvelle Donne (le magazine littéraire de la nouvelle) a bien voulu répondre à nos questions.

Daniel Leduc - Pourquoi la nouvelle est-elle un genre littéraire peu apprécié en France aujourd’hui (ce qui, jadis, ne fut pas toujours le cas) ? Et pourquoi connaît-elle aux États-Unis, par exemple, un certain succès ?

Christian Congiu — Dans la préface de son livre L’Amour, la Mort (Livre de poche), Dan Simmons montre qu’aux USA, la vie du nouvelliste américain n’est pas si aisée. Ce n’est pas parce que les éditeurs français achètent des succès tout faits aux USA qu’il faut croire que les nouvellistes sont plus heureux là-bas. Peut-être, en revanche, y existe-t-il une plus grande habitude de lecture des revues.
D’autre part, je ne prétends pas, personnellement, que la nouvelle n’est pas appréciée en France. Dès que vous interrogez un petit peu les gens (bibliothécaires, auteurs et même éditeurs), tout le monde déclare l’aimer et regretter qu’elle ne se vende pas plus. Disons que tout le monde l’aime mais que peu de personnes ont le courage d’investir dessus. C’est une question de patience et de moyens de promotion, vertus qui font défaut au monde éditorial, lequel monde éditorial doit, comme tout commerce, faire du chiffre et non de la pédagogie. La nouvelle est mal promue en France, c’est tout.

DL - Avez-vous l’impression que le genre de la nouvelle stagne dans sa forme et dans ses thèmes, ou bien qu’au contraire, il se renouvelle et s’enrichit de nouvelles thématiques, de nouveaux questionnements, voire de nouvelles formes textuelles ?

CC — La nouvelle a, sinon toujours, du moins souvent, été un « carrefour de genres » et a toujours adopté des modalités variées. De la nouvelle-anecdote, à la Maupassant, elle est passée au début du XX° siècle à la nouvelle-instant (cette distinction a été faite par René Godenne, chercheur belge), de la narration avec un cadre, elle est passée à la nouvelle in media res, elle a choisi soit un narrateur à la troisième personne, soit un narrateur à la première personne. On la trouve aussi sous forme de lettre, voire de carnet intime (Le Horla, de Maupassant). Sous le règne du Nouveau roman, elle a adopté les formes inspirées de celui-ci (même si on n’a pas forcément employé le terme à l’époque). Etc.
En fait, il ne faut pas en faire un parent pauvre de la réflexion littéraire.
Et puis, qu’est-ce qu’on appelle Nouvelle ? alors même que certains, qui écrivent bref choisissent le terme de conte ou de texte, voire texticules.

DL - Assez souvent on entend cette réflexion : « la nouvelle est un petit roman ». Ce qui, bien entendu, n’est pas le cas. Pourriez-vous nous expliquer les particularités du genre ?

CC — Qu’est-ce que c’est qu’un roman ? Pourquoi doit-on définir la nouvelle alors qu’on est incapable de définir le roman.
Tout ce que l’on peut dire de la nouvelle peut se retrouver contredit immédiatement.
Alors, allons-y : la nouvelle
• serait un texte bref (mais Catherine Lépront a obtenu le Goncourt de la nouvelle pour trois textes de 75 pages chacun au moins) ;
• serait centrée sur un seul événement (mais la nouvelle La Parure, de Maupassant retrace toute une vie) ;
• aurait peu de personnages… Goguenard, Frédérick Tristan a parlé d’écrire une nouvelle avec 110 personnages. Je ne sais pas s’il l’a réalisée, mais il est possible de s’y atteler (imaginez une nouvelle qui se déroule dans un avion… un 11 septembre, ou dans une gare, un 11 mars)

DL - Quels sont les nouvellistes actuels que vous aimeriez nous recommander ?

CC — Moi, (ma bibliographie est sur notre site)… Mais tout n’est pas accessible, vu que je n’ai été édité que sur le tiers de mon « œuvre ».
Et puis, beaucoup d’auteurs parus dans Nouvelle donne (à l’exception de Bernard Werber qui a torché un mauvais recueil), ou dans des revues telles que Salmigondis… Ce ne sont pas tant des nouvellistes, d’ailleurs, que des nouvelles, que j’aurais envie de promouvoir. Parce que ce qui prime est le texte, qu’il soit long ou court. Sinon, il y a : Sylvain Jouty, G-O Chateaureynaud, Annie Saumont.
J’ai beaucoup aimé les trois recueils Les Chevaliers sans nom, ou Les Pirates, chez Nestiveqnen, ouvrages honteusement passés sous silence par la presse habituelle.
J’ai apprécié, récemment, les nouvelles de Brigitte Niquet (mais je ne devrais pas le dire, vu que c’est une amie… Pourtant, ce n’est pas du tout ce que je lis d’habitude et encore moins ce que j’écris et encore moins ce que j’aurais envie d’écrire. Mais ces nouvelles sont bonnes et je suis entré dans son univers). Il s’agit de N’aimer personne (Éditions Ravenala).
Les textes de Marie-Hélène Lafon, dans Liturgie (Buchet Chastel) sont remarquables aussi.
Plus récemment encore, j’ai apprécié Roland Fuentes (qui vient d’obtenir le Prix Prométhée de la nouvelle, avec 12 m3 de littérature, Éditions du Rocher), même si j’ai trouvé le recueil un peu long, il aurait mieux valu sacrifier certaines nouvelles. Mais son univers est proche de celui de Jouty, qui rappelle parfois Borges.

DL - Quels seraient vos arguments pour persuader une lectrice ou un lecteur de lire des nouvelles ?

CC — De lire tout court, sans se dire : je lis un roman, un roman long, un roman court ou un conte, un récit ou une nouvelle. Cela n’a pas réellement de sens.
Le plaisir de lire n’a pas de frontière. Il vaut mieux lire un bon roman qu’une mauvaise nouvelle. Inversement, on devrait davantage lire les nouvelles qui existent (notamment dans Nouvelle donne) que les mauvais romans qui pullulent.

DL - Quelles sont les difficultés essentielles que rencontre un magazine tel que le vôtre ? Y voyez-vous des remèdes ?

CC — Le plus grand ennemi est le silence médiatique autour de nous. Un silence de vautours (voir notre article « Les faux culs de l’édition », sur notre site). Le remède ? Un peu de courage littéraire de la part des lecteurs de sortir de leurs ornières, des éditeurs de reconsidérer leurs modes de diffusion lorsqu’ils éditent des nouvelles. On ne traite pas un recueil de nouvelles comme un roman, de même que l’on ne traite pas l’acheminement des paquets de lessive et des œufs dans les supermarchés, même si, à l’étal, le consommateur doit pouvoir trouver le même confort.

DL - Quelle est votre sentiment concernant l’état de la littérature en France ? Selon vous, sommes-nous au creux de la vague, sur une crête ou bien en mer étale ?

CC — Je n’ai pas de sentiment. Je lis, c’est tout. Je ne peux pas lire tout ce qui paraît, je rate sûrement plein de choses, je n’ai pas à juger l’état de la littérature. Nous ne voyons de la littérature que ce qui est édité, n’est-ce pas ? Alors, ce serait plutôt sur l’état de l’édition qu’il faudrait s’interroger, non ?
Du reste, je m’en fous assez, de l’état général de la littérature. Ce qui compte, ce sont les états particuliers.

DL - Si vous aviez un souhait à formuler concernant la politique culturelle du gouvernement, et plus particulièrement celle qui concerne le livre, quel serait-il ?

CC — Quel gouvernement ? Je ne crois pas au Père Noël. Lorsque je serai ministre de la Culture (ou de l’Éducation, j’hésite encore), ce qui ne saurait tarder, je révélerai mon Plan. En attendant, c’est top secret.

DL-Quels sont vos projets en tant que directeur de magazine et en tant qu’auteur ?

CC — Pour ce qui est de Nouvelle donne, il nous faut trouver des sources de financements solides et régulières, pour ne pas dépendre de la mévente de tel ou tel numéro (méventes qui ne sont souvent dues qu’à des éléments extérieurs : périodes de vacances, catastrophes électorales, grèves des personnels des NMPP - c’est-à-dire, nos diffuseurs - et pouvoir travailler sereinement sur la durée.
Ensuite, et très rapidement j’espère, nous voulons payer nos auteurs et nos illustrateurs de façon à ce que l’on nous prenne au sérieux, car payer les collaborateurs veut dire que nous les considérons comme des réels partenaires, et les autres journaux porteront un autre regard sur nous.
Actuellement, nous ouvrons des ateliers d’écriture en ligne et lançons, sous souscription, un Almanach de la Nouvelle (voir notre site).
Je n’ai pas de projet en tant qu’auteur sinon continuer à écrire jusqu’à ce que mon dernier ouvrage, celui qui est en circulation en ce moment, et qui est mon premier roman, soit réellement lu par quelqu’un qui aurait assez de talent pour reconnaître le mien.
Original, non ?

NOTE : Christian Congiu a, entre autre, publié "Pour l’amour dollar" chez Editinter, "La Nantes religieuse" (coll. Poulpe) chez Baleine, "Le dernier des Minotaures" aux Editions Hors Commerce, "Fuir le bonheur" chez Manuscrit.com

Site de NOUVELLE DONNE

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