Grand Final sonne la mort des sérénades

Grand Final sonne la mort des sérénades

Grand Final a récemment fêté la sortie de son premier album, The Bridge, sur la scène de l’incontournable Cabaret Électric, au Havre. Le Mague a interviewé le duo. Chaud devant !

Nos tympans se souviennent encore de Dickybird. Le trio Doris Le Mat-Thieulen (guitare + chant) / Jean-François Thieulen (batterie) / Stéphane Touboulic (basse) a électrisé pas mal de scènes européennes et même américaines entre 1993 et 2006. Avec Grand Final, Doris Le Mat-Thieulen et Jean-François Thieulen lancent un duo rock très noise qui, lui aussi, va faire des trous dans les murs.

Nous avons découvert leur premier album, The Bridge, en avril au Cabaret Électric. Entouré d’amis, le couple uni sur scène comme à la ville (mais cela ne nous regarde pas) a envoyé un concentré de décibels sur des fans ravis. Sur CD, ça tape pas mal aussi. Les treize titres de The Brigde ont été enregistrés au studio Closer de San Francisco. Joe Goldring (Enablers, Swans) était aux manettes, sur certaines parties guitare, aux claviers et à la production.

“She” plays the guitar and sings. “He” plays drums. Avec de belles phrases mélodiques et une énergie débridée, la puissance de Grand Final soulève des montagnes. Ballade noisy (Show, Happy lovers…), groove tonitruant truffé d’un gros son métal (Aileen, Me and myself…), voire punk hip-hop qui serait du meilleur effet dans les manifs (The serenade is dead), ce duo déchaîné pulse comme cent diables pour nous offrir des ambiances survoltées. À garder à portée d’oreilles pour les moments de colère.

Repérable avec sa très belle photo du Golden Gate Bridge prise par Doris, l’album s’écoute à plein volume. N’oubliez pas de prévenir les voisins qui pourraient penser qu’il s’agit d’un tremblement de terre !

Le Mague : Grand Final, drôle de nom ! Ça rime avec « lutte finale » ?

Doris et Jean-François : Il y a de ça en effet ! Grand Final est un genre d’élan ultime, à la fois kamikaze et franchement insolent. Il y a quelque chose d’insoumis et de profondément rebelle dans notre démarche. Un genre de gros doigt dressé vers l’industrie musicale française. Nous ne chasserons pas le naturel car nous n’aimons pas le galop. Ni Dieu, ni maître, plus que jamais !

Le Mague : Votre album, The Bridge, commence par une partie de banjo. Ce n’est pas vraiment l’instrument le plus fréquent dans l’univers noisy...

Doris et Jean-François : C’est clair, quoi que ! Elle n’était pas vraiment prévue cette partie de banjo. Mais il y en avait un (de banjo) qui traînait dans le studio et l’un de nos colocataires, Danny Pearson, était un super joueur banjo. Il faisait chaud, l’air était lourd, la sueur ourlait sur les fronts, la viande grillée laissait ruisseler son jus sur nos « french fries », la bière était bonne et glacée, on a cru apercevoir Clint Eastwood monter dans sa Gran Torino et là, on s’est dit : « Il nous faut du banjo sur ce morceau ! »

Le Mague : De quoi causent vos textes ? The French people n’est pas tendre pour les Français…

Doris et Jean-François : Ils traitent en général de sujets assez personnels, d’états d’âmes pouvant être plus ou moins noirs. Bizarrement, la musique ne nous a jamais servi à exprimer quelque chose de joyeux, pourtant, ce n’est pas faute de l’être dans la vie. Il y a une fonction d’exutoire, d’expressionnisme quasiment. The French people est un texte de colère face à cette France supérieure et donneuse de leçon qui nous a démontré le 6 mai 2007 à quel point elle pouvait être stupide, prétentieuse, sensible à la flagornerie, aux signes extérieurs de pouvoir. Aujourd’hui 53% de crétins 100% pur souche française se plaignent, souffrent de cette foutue crise. 53% de ces Français ne se posent pas la question quand l’enseignement, la santé, la culture sont si malmenés par le manque de moyens, de savoir pourquoi d’un coup, il est possible de sortir du chapeau des milliards qui vont servir à sauver des banquiers ! Ce pays est juste hallucinant de bêtise et d’autosatisfaction.

Le Mague : Vous êtes allés à San Francisco pour enregistrer The Bridge. Il n’y a pas de studio à votre goût en France ?

Doris et Jean-François : Il y a de ça en effet ! En fait, le prix que nous avons payé pour nous rendre et vivre à San Francisco ajouté à celui du studio, c’est ce que nous aurions dû payer à conditions identiques en France, moins bien produit et moins exotique. Il eût été ballot de s’en priver ! Et puis, nous nous sommes toujours dit que la musique puisqu’elle ne nous rapporterait jamais rien financièrement, se devait de nous rapporter un max au niveau des expériences, des souvenirs, des émotions. Mettre les petits plats dans les grands, cela a toujours été notre méthode. Et ce, en toute indépendance, avec nos propres moyens. Nous sommes de fervents adeptes de la secte « DIY » (Do It Youself) ! Et puis aux États-Unis, faire un disque de rock, c’est juste normal. Pas une affaire d’état.

Le Mague : Quand des rockeurs américains rencontrent des rockeurs havrais, qu’est-ce qu’ils se racontent ?

Doris et Jean-François : Ils parlent musique, bouffe, philosophie, politique, du temps qui passe, d’amour, de vin, de paysage, d’enfance ; bref, comme le font des rockeurs français qui rencontrent des rockeurs français. Le milieu rock indé a toujours évolué dans un certain registre d’idées et il n’est pas rare de rencontrer des gens avec lesquels on est sur la même longueur d’ondes. Bien sûr, pas de manichéisme dans ce que l’on te dit : ce milieu a son lot d’imposteurs, de connards, de gens bons, mais aussi imparfaits (nous sommes loin d’être en reste). Mais en règle générale, on sait assez rapidement quand on tombe sur des gens un peu similaires dans l’état d’esprit. Enablers est un groupe dont on savait de par sa musique que nous aurions des choses à partager. Après et juste pour préciser, nous ne fréquentons pas que des rockeurs ! Nous sommes suffisamment près du milieu pour en connaître les bons et les mauvais côtés et savoir s’en détacher quand il faut.

Le Mague : Vous aviez pas mal d’invités, venus d’horizons assez variés, pour le concert du Cabaret Électric. Vous semblez aimer les passerelles. D’ailleurs, ce n’est peut-être pas pour rien que votre album s’appelle The Bridge ?

Doris et Jean-François : À l’inverse de Dickybird qui avait (volontairement) une attitude un peu autiste, Grand Final se laisse plus souvent « aller ». Nous avons toujours eu l’envie en nous mais nous n’avions peut-être jamais « osé ». Je pense que ce qui nous un peu « décoincés », c’est notre première participation à Polaroïds Rock où nous avons été « obligés » de sortir de notre bulle. Qui plus est, nous y avons pris du plaisir ! Grand Final étant un duo, il est encore plus facile d’ouvrir le terrain des collaborations et cela apporte tellement de choses à notre musique que nous avons décidé de ne pas nous en priver. Effectivement, « ce pont » que nous avons installé aux pieds d’autres musiciens fait bel et bien de ce que nous sous-entendons dans ce titre. Bravo pour ta perspicacité !

Le Mague : Un mot sur la vie culturelle havraise. Des partis, des syndicats, des associations, des particuliers… s’opposent actuellement aux projets de la mairie UMP qui veut démanteler Le Volcan et le Cabaret Électric. Vous vous situez comment dans ce combat ?

Doris et Jean-François : Nous sommes toujours un peu en retrait dans ce contexte particulier. Et nous dirions que nous avons deux postures à gérer : celle d’un groupe et celle de deux citoyens. Dans la première posture, nous partons d’un constat : Des structures comme le Volcan et de tout temps, ont toujours eu un très grand mépris ou pire encore un total déni du mouvement rock en ne l’intégrant jamais la sacro sainte « Culture ». Par ailleurs, nous avons toujours trouvé très antinomique de solliciter les subventions et l’assentiment d’un État que l’on critique. De fait, nous avons toujours revendiqué une totale indépendance financière et idéologique et n’avons JAMAIS demandé la moindre subvention pour nous réaliser en tant qu’artistes. (D’ailleurs, soit dit entre nous, prenons deux groupes ; l’un subventionné à outrances, et nous. Qu’avons-nous fait de moins ? Bref, c’est un autre débat). Ça c’est notre position en tant que groupe. Nous pensons que l’on ne peut pas s’étonner du fait qu’une mairie de droite torpille la culture, mais on ne doit pas demander l’autorisation de tout faire non plus. Nous pensons que la culture de terrain, la vraie, celle des créateurs existera avec ou sans la permission d’Antoine Rufenacht. Et en ce sens, rien de neuf à l’horizon. Bien sûr, en tant que « citoyens », il est de notre devoir de nous opposer à ce démantèlement parce que c’est de l’ordre du symbole et qu’à une échelle plus large, c’est une façon de s’attaquer aux libertés. À titre personnel, nous sommes plus mobilisés aux côtés du Cabaret Électric et de l’Éden. Le Cabaret, car on y répète et qu’on peut y organiser nos concerts, l’Éden parce que nous savons à quel point les deux programmatrices ont toujours porté leurs projets à bout de bras avec passion et peu de moyen. Quoi qu’il arrive dans le futur, nous existerons. Nous existions avant, nous existions pendant, nous existerons après. Et sans avoir à attendre l’assentiment et l’argent de poche que nous donnera le Maire du Havre. Argent dont nous déplorons, d’ailleurs, qu’il ne soit un peu trop souvent destiné à un certain nombre de nantis de la culture aux dépens de structures, comme le Cabaret Électric, qui doivent se contenter des miettes et dire « merci » en prime.

Le Mague : Grand Final, vous avez le mot de la fin. Si vous voulez dire bonjour à votre famille, lancer un appel insurrectionnel ou donner votre recette de cuisine préférée, c’est le moment. Carte blanche et à bientôt.

Doris et Jean-François : D’abord merci à toi pour cet entretien et la qualité de tes questions. Un seul mot d’ordre : soyez curieux, allez voir des concerts et pas forcément ceux dont « on » (ce grand con qui dit jamais son nom) vous parle, achetez les disques des groupes et pas ceux de la Fnac ! Ne votez plus pour Sarkozy, vous voyez bien que ça n’amène rien de bon ! N’hésitez pas à nous contacter pour qu’on discute, qu’on s’aime ou qu’on se déteste !

Grand Final, The Bridge, co-production XTT Records et les Disques du Hangar.

Contact Grand Final : xttrecords[at]wanadoo.fr & 06 88 80 99 64.

Le site Myspace de Grand Final