Le Spectre de la Grippe espagnole refait Surface

Le Spectre de la Grippe espagnole refait Surface

En plus des aspects désastreux de la tragédie humaine qu’elle provoque, une épidémie mortelle comporte un grand risque pour une économie mondialisée actuellement en récession, car elle pourrait être tentée de couper court aux nécessités du commerce et de l’activité.

Nous n’avons encore aucune idée de la gravité, ni de la capacité que cette nouvelle forme de grippe a de se répandre, et les éléments que nous possédons en ce qui concerne les capacités de cette maladie à s’affranchir des frontières qu’elle semblent moins alarmants au fur et à mesure qu’elle se répand dans le monde à partir du Mexique. Il suffit de regarder les photos des gens dans les rues, les magasins et les lieux publics abandonnés à Mexico pour se rendre compte du choc causé à la consommation, mais également à la production et à la distribution des produits manufacturés et des denrées alimentaires.

Il est cependant possible de se référer à l’expérience de la grande épidémie de grippe espagnole, car elle demeure un bon indicateur de ce qui peut se passer lorsqu’un tel événement se répand à travers une grande partie du monde pendant 1918 et 1919. Un quart de la population mondiale a été infecté, tandis que 50 à 100 millions de personnes ont perdu la vie, selon les différentes évaluations. Les données économiques de l’époque ne sont malheureusement pas assez exhaustives, mais la période de temps où l’affection s’est répandue aux États-Unis correspond presque exactement à une période où le bureau national des études économiques analyse une contraction de l’activité.

Les entreprises de toutes les sortes en ont été très affectées, et beaucoup d’assurances sur la vie ont vu leurs dividendes suspendus à cause du nombre trop élevé de demandes à satisfaire, jusqu’à cette entreprise de télécommunications du Tennessee, qui a eu tellement d’opérateurs malades qu’elle a dû publier un communiqué pour demander au public de faire attention aux appels inutiles. Les salaires ont été probablement à la hausse pendant la pandémie, comme en attestent les études de Thomas Garrett sur la grippe, éditées par la Réserve fédérale de St Louis. Une situation semblable s’est produite en Angleterre après la peste noire, quand les travailleurs agricoles ont pu réellement faire progresser leurs salaires.

Le qualificatif d’espagnol a été curieusement affecté à cette grippe de 1919 parce que la censure en temps de guerre était moins vive en Espagne, laissant aux gens la fausse impression que la maladie était plus répandue dans ce pays, ou qu’elle y trouvait son origine, dans la mesure où les rapports et les témoignages publics avaient un plus grand retentissement dans la péninsule ibérique.

L’absence actuelle de censure et les grands réseaux de communication militent pour un impact économique proportionnellement plus important et plus grave. Si la grippe se répand avec une forte mortalité, les gens l’apprendront vite et leur réaction en tant qu’agent économique sera désastreuse. Bien plus grave que ne le supposent les précautions à prendre. Vendredi, la presse rapportait par exemple que des personnels volants d’Air France avaient refusé de prendre leur service à destination du Mexique au cours de la semaine. Nous devrions observer des conséquences économiques amplifiées par rapport à la réalité du danger d’exposition au virus.

De la même manière que l’information circule aujourd’hui plus rapidement, l’économie globalisée est plus interdépendante. Les relations entre la plupart des entreprises sont bien plus efficaces qu’il y a 90 ans tout juste, mais elles sont aussi plus fragiles. Les évaluations du prix à payer pour une telle pandémie varient considérablement de l’une à l’autre. Le bureau du Congrès pour le budget a estimé qu’une autre grippe espagnole affecterait le Produit Intérieur Brut (PIB) des États-Unis de 5%. En2005, la banque mondiale a prévu un coût global de l’ordre de800 milliards de dollars pour une pandémie globale, tandis que les services de Santé des États-Unis en ont évalué l’impact à 1,5% du PIB environ.

Alors que l’économie mondiale est tout juste en train d’essayer de trouver des remèdes à la crise qu’elle traverse en ce moment, une pandémie affecterait inévitablement la confiance et l’activité devrait dégringoler à nouveau. De plus, les capacités des pouvoirs publics à gérer des finances déjà tendues dans un contexte de dépenses de santé nouvelles et inattendues seront réellement mises à mal. Les déficits publics pourraient s’accroître et les devises nationales perdre de leur valeur.

En revanche, l’impact sur le système financier n’en serait pas si mauvais, d’après un rapport sur la grippe espagnole établi par la Réserve fédérale de Philadelphie. Le système de paiements a continué à fonctionner pendant toute la durée de la crise et, si l’on se réfère au nombre de faillites financières, la période de la pandémie n’a pas été catastrophique. Mais le système bancaire du début du XXème siècle n’avait rien à voir avec ce qu’il est aujourd’hui. Les relations et les marchés boursiers ont également poursuivi leurs échanges, avec des volumes de valeurs en constante augmentation. L’indice Dow Jones a terminé l’année 1918 en gagnant 10,5%, avant de s’envoler à 30% dans l’immédiat après-guerre au premier trimestre 1919. En ces temps difficiles toutefois, la censure des gouvernements veillait au grain.

 

 


Trop d’ennuis de santé ne sont pour faire affaire
Jamais très bons, ils vont causer tant d’embarras,
Et ces deux fers aux pieds soudain sont scélérats,
Car l’Histoire a montré qu’on a tort de s’en faire.

Le choléra, la peste ont pu tantôt nous stupéfaire,
Mais les effrois n’ont rien à voir avec ces opéras
Où les ténors sont morts en hurlant dans les bras
Du premier rôle en pleurs qui sait nous satisfaire.

Ce n’est pas bon non plus pour leurs exportations
Nous ne nous ferons pas pour tant d’interdictions
À ce ménage à faire au printemps dans ce monde.

Pour le commerce assez morose, il nous faut voir
À ne pas promouvoir un grand désastre immonde,
La crise est bien à l’œuvre et viendrait y pourvoir.