Les "Autres rives" de Denis Polge

Les "Autres rives" de Denis Polge

Denis Polge est né à Grasse, en 1972, et un réflexe premier me fait l’aimer avant même d’avoir ouvert son livre, comme si l’appartenance à la même terre devait en faire obligatoirement mon frère, comme si d’avoir vu la même mer et grandi dans le même mistral aux pollens de cyprès rendait obligatoire des affinités électives.

J’aime croire à ces petits mystères de la vie qui s’appellent des racines communes ou des valeurs partagées, et nul doute qu’en ouvrant cet album j’aurai un choc, une attirance, une forte émotion qui me renverra dans un seul bon vers le plaisir des motifs à contempler … Jouons le jeu, tournons la page, fermons les yeux et ouvrons les d’un coup : flamboyantes couleurs, magie de la chose peinte qui s’avère vivante alors qu’elle est bien figée sur la toile avant d’être reproduite sur le papier, mais c’est bien là qu’intervient la grâce du plasticien, de ce maître à déraison, seul capable de nous délivrer de notre pesanteur terrestre en nous donnant une nourriture spirituelle ô combien délicieuse pour le corps qui s’apaise enfin à se perdre dans la découverte des aquarelles …

Y devine-t-on une influence, comme nous le précise Xavier Girard, d’une poésie de René Char qui serait passée par là, encore le Sud, encore ces racines communes qui me parlent. Car il y a un enchantement à rester planté, littéralement, devant ces pages brillantes de volubilité en cascades, il y a cette précision diabolique dans ce spectacle si présent d’une autre peinture qui délaisse la mythologie pour se napper dans le scintillement de la lumière …
Aidé par le papier japon – ce mixte de lumière opalescente et de transparence froisséeDenis Polge se libère des cadres et des normes, il trempe et inonde ses papiers pour mieux les éclairer. Allant jusqu’à les peindre des deux côtés pour créer des jeux de transparence, et comme ils sont doublés, leur aspect est proche de la peau voire du parchemin … et la magie opère alors, le dessin se fait jour, se fait jouir aussi, intense plaisir que ces mariages de tons en jeux d’ombres.

Les séries Nappes et Hippocrène ne sont pas des à-plats de sens où le désert se serait invité même si l’impression d’un sable omniprésent laisse le temps à l’œil de découvrir quelques objets oubliés (?) qui ne relèvent point d’un désordre. Au contraire, ils témoignent d’un ressac de la mémoire et d’un temps ancien où la montre s’oubliait pour laisser s’écouler les minutes et étudier tranquillement ce qu’il y avait à glaner autour de soi … Un coquillage représente-t-il bien un coquillage ou sa valeur doit-elle se lire en fonction de sa place dans le dessin, ou des traits de crayon – parfois plusieurs fois répétés – qui l’entourent ?
En ancien étudiant en philosophie, Denis Polge aime se poser des questions sur le sens si bien qu’il ne sert à rien de tenter de répondre à ce qui aurait trait au dessin dans le dessein du peintre. C’est uniquement la magie de la chose peinte qu’il convient de célébrer et d’oublier toute équivoque, méprise ou allitération. La peinture est avant tout une rêverie.

Celle-ci me rappelle la clairvoyance des œuvres de Nicole Bottet, cette légèreté dans les nuances, cette simplicité et le sens ténu du détail, une chromatique édulcorée qui symbolisent, d’une manière caricaturale, ce que l’inconscient collectif a retenu de la peinture japonaise. Et l’anecdote est toute symbolique car, tout comme Bottet qui est vénérée au Japon, Polge semble y tracer aussi son sillon puisque ce livre témoigne de l’exposition qui présentera ses œuvres dans l’immeuble Chanel de Tokyo, du 21 avril au 6 mai 2009.
Pusique vous ne ferez pas le voyage, offrez-vous ce magnifique album et laissez-vous enivrer …

Denis Polge, Autres rives, avec des textes d’Henry Mathieu et Xavier Girard, 265 x 240, 45 reproductions couleurs, Le Promeneur, avril 2009, 88 p. – 35,00 €