Anna, Zalberg et les autres…

Anna, Zalberg et les autres…

Tout avait été dit, écrit sur cette page noire de l’Histoire. Du « Journal d’Anne Franck » à « La Nuit » d’Elie Wiesel en passant par nos bons vieux « Sac de bille » et autres « J’ai quinze ans et je ne veux pas mourir » ou, plus récemment, un « Anus du monde » de Daniel Zimmermann, pour ne citer que ceux-là ; autant de cris de tous âges et de tous tons en témoignage de l’un des plus ignobles traumatismes que l’Homme a jamais engendré et connu.

A l’heure où l’on débat et polémique sur la liberté d’expression, du droit ou non de pouvoir rire du pire, de dénonciation, provocation et subversion, écoutez… loin du bruit et des coups de gueule, cette voix douce se lever sans tambours ni trompettes comme un sanglot d’enfant.

Combien faudra-t-il de sang neuf ? Combien de générations devront-elles naître et naître encore par-dessus celui qui coula par tonnes de litres mêlés aux larmes de l’horreur, pour apaiser ce que folie et absurde ont signé il y a soixante ans, à l’encre funeste du dirigeant d’un pays ?

Sont des drames dont on ne se relève pas. Dont on ne veut pas, dont on ne peut pas se relever. Des histoires dans l’Histoire qui ont ouvert des blessures indélébiles, plaies à jamais béantes aux branches de millions d’arbres généalogiques et aux cœurs à la foi brisée par milliers. Malgré le travail du temps, les reconstructions, les nouveaux enfants sous de nouveaux soleils, ni réparation ni oubli ne seront plus possibles. La repousse, sur ces ruines-là, n’en fera nuls Atlantides. Voici une zone sinistrée pour toujours.

Aussi évident, éclatant que le nez au centre de la gueule ou la lune au milieu des étoiles, l’appel de mémoire reste sous-jacent autant qu’impérieux. Et c’est une petite Anna qui nous entraîne en France, cette terre lointaine aux mots étrangers où elle est laissée à la garde d’inconnus qui, de toutes les façons, ne lui parlent jamais. La fillette, qui n’a jusqu’ici connu que la tendresse de sa mère et jamais manqué de rien d’autre, voit le monde et ce qu’il lui fait soudain avec les yeux de l’enfance et tout ce qu’ils peuvent rendre de brut à travers leur candeur. Car, ce qu’elle ne comprend pas, Anna le ressent.

Au fil des mois pendant lesquels elle apprendra la langue, elle apprendra aussi à devenir quelqu’un d’autre, à régler son devoir aux travaux durs de la ferme, à s’instruire, surtout à survivre, sans relâche, physiquement aussi bien que mentalement, mais encore, elle apprendra, ici l’amitié et, là, à se cacher pour pleurer.

Anna se pressent face à l’incompréhensible et se forge ainsi, entre les griffes toujours en alerte d’une fatalité qui la dépasse et qui les dépasse tous.

Carole Zalberg ne donne pas dans la prose choc ou les sensations fortes. Elle semble plutôt ronronner sur des mots qui nous portent sans en avoir l’air sur un fond de grelots. Et quand, à notre grand étonnement, la dernière page est tournée, cela fait déjà longtemps qu’on n’a plus les yeux secs.

La tragédie, à travers l’écho d’une chanson d’écolière ou dans la lumière d’une cavalcade en forêt, prend des reliefs profonds où les reflets sortent crus. Sous cette écriture aux abords non tranchants, qui coule facilement d’une ligne à l’autre sans jamais changer de mine ni casser son souffle, les passionnés d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale comme ceux qui n’ont fait que la frôler trouveront là, étroitement mêlée à l’intime d’un superbe et juste travail de reconstitution, une émotion tout droit sortie du générationnel d’aujourd’hui. Fort, l’auteur a tenu le pari de mener sur les chemins de l’horrible un récit qui peut être lu par tous, les enfants comme leurs grands-parents, ceux qui ont connus ces jours sombres et bien sûr, nous autres au milieu, qui préparons en ce moment ce qui arrivera demain. Un livre pour se souvenir encore, du pur Zalberg.

Chez eux, roman, Carole Zalberg Foebus.(2004)

Chez eux, roman, Carole Zalberg Foebus.(2004)