À poil les poils !

À poil les poils !

L’ouvrage « La nudité Pratiques et significations » du sociologue Christophe Colera nous dévoile et nous décline la peau dénominateur commun, tant dans l’espace public que privé et ses pratiques inhérentes des premières femmes et des premiers hommes à nos jours.

Vous pensez bien, en tant que membre de la gent simiesque, j’adore le postulat de départ de Christophe Colera selon lequel, la fresque de l’évolution humaine proviendrait du redressement du squelette des femelles et des mâles, en ces temps reculés de vos arrières arrières arrières arrières grand-mères et grands pères puissance mille. Vous imaginez le topo, papi et mamie crocs mignons velus de chez velu, hirsutes de la tête au panier garni se déplaçant comme des singes jusqu’au jour : debout la dedans, je ne veux voir qu’une tête !
De cause à effet, ce redressement de la carcasse de vos ancêtres dans la position d’aplomb aurait aussi engendré la planque du génital carnaval des donzelles alors que chez leurs homologues mammifères, les zigounettes seraient demeurées à couvert de leurs toisons abondantes. Gazon maudit. Comme si le mythe de la tondeuse à repasser le temps, avec l’évolution dressée sur ses deux pattes aurait ratiboiser la fourrure chez nos aïeux pour dévoiler leur peau. Résultat des courses : « Outre le redressement du squelette, la grande singularité du primate homo sapiens est qu’il est pratiquement dépourvu de poils, à part sur la tête — cheveux et sourcils, plus la barbe chez les mâles, sous les aisselles et au niveau du pubis, la pilosité des jambes, des bras et du torse étant des plus éparses, voire souvent presque inexistante chez la femelle » (page 14).

Ayant effectué leur métamorphose et étant désormais dépendant des fluctuations climatiques, l’homme et la femme projetèrent de se vêtir afin de protéger leur peau fragile. Dès lors : « Au-delà des rapports de filiation, les vêtements sont des marqueurs sociaux qui instaurent des séparations entre genres, entre générations, entre classes sociales, entres ethnies aussi, comme le font aussi la coiffure, le maquillage etc. » (page 23).

Le livre s’articule autour des idéaux types, c’est-à-dire des usages sociaux de la nudité. Ainsi, la nudité fonctionnelle est celle qui est la plus dépourvue d’intentionnalité sociale telles par exemple la nudité au bain ou la nudité dans le sommeil. Sa remarque vis-à-vis du naturisme actuel pour ainsi dire uniquement hygiénique et commercial est tout à fait adéquate. « Au regard du caractère populaire de la nudité fonctionnelle sa récupération par la bourgeoisie européenne dans le cadre du mouvement naturiste a pu passer, à certains égards comme une stratégie de distinction. L’exposition de la nudité dans les classes supérieures fonctionne comme une mise en scène de la propreté de son corps, de son contrôle de son apparence visuelle, olfactive, sensorielle. » (page 58)
C’est d’autant plus juste que cette « Distinction » au sens de Bourdieu à propos du corps nu dans son développement social avait été le parangon pauvre de la sociologie avant que Christophe Colera ne nous éclaire. « Cet élément explique que le nudisme naturiste reste aujourd’hui très largement une pratique de classes moyennes et supérieures, et que la défense du droit à la nudité en Occident au début du XXIe siècle soit perçue comme une idéologie bobo (bourgeoise bohème). Il y a une sorte de subversion de la nudité fonctionnelle des pauvres, une volonté largement inconsciente de montrer que la nudité d’un corps riche bien entretenu peut nier la fonctionnalité de la nudité laborieuse. » (page 59)

En réponse justement au naturisme commercial bêlant, j’ai été très sensible à la nudité affirmation dans son essence de qu’il nomme « Nudité transgressive et intégrative en politique ». Le courant naturien anarchiste individualiste à la fin du XXe siècle en France, tel que je l’avais découvert dans les brochures de la Question Sociale et dans la thèse d’Arnaud Baubérot sur l’histoire du naturisme, est évoqué entre ses pages ; « Ils promettaient un Age d’or qui restaurerait le bonheur et l’harmonie des temps primitifs par la destruction des règles qui fondent l’ordre social. (…) Ils mettaient en œuvre une forme de militantisme basée sur la sociabilité libertaire, utilisant des canaux de la culture populaire : conférences, causeries, banquets, dessins, poèmes, chansons. » (page 96). De même sont évoquées les expérimentations anarchistes de la Colonie libertaire de Vaux (1905 / 1907) ainsi que celle de « Natura » à Tahiti mais également celle de Monte Verità en Suisse (1900 / 1920), de même qu’en 1929 fut fondée en Espagne la Federacion naturista liée encore une fois aux milieux libertaires bien antérieurement à la France et sa fédération de naturisme. Plus proches de nous d’autres exemples tout aussi éloquents et importants sont mentionnés. Le pendant de ces mouvements est aussi la récupération par un Spencer Tunick qui exploite à ses fins mercantiles des milliers de personnes nues volontaires.

J’ai aussi beaucoup apprécié la lecture de la question du nu en Allemagne sous le troisième Reich ou Christophe Colera décrit parfaitement les relations du je t’aime moi non plus nu sous le régime nazi. « Le naturisme supprime la pudeur naturelle de la femme et ôte à l’homme tout respect de la femme, portant atteinte aux fondements de toute culture digne de ce nom » Hermann Göring (page 107). « C’est surtout à la nudité comme représentation que le régime nazi (à l’instar du fascisme mussolinien) fit largement appel à travers les sculptures d’Arno Brecker et le travail de Leni Riefenstahl. Cet art s’inscrivait dans une propagande raciale, notamment lors de l’exposition « Les Juifs en France », à Paris en 1941, où pour démontrer la supériorité raciale allemande par rapport aux nudités « honteuses » des Juifs, Tsiganes, Russes, Gitans, criminels, homosexuels, fut mis en valeur une gigantesque photo d’un Allemand nu (« le parfait Athlète »). Cette nudité statufiée était moins dangereuse pour le régime que la nudité réelle. » ( page 108).

Dans le quatrième chapitre est évoquée sous toutes ses formes la nudité comme humiliation qui va de la vengeance par la nudité, la torture, la nudité judiciaire, le viol, l’éviscération… Le dernier chapitre aborde la nudité comme un don touchant les domaines du don au regard, la nudité pornographique ou le don entre étrangers, devant la divinité, pour le bien de l’ordre politique ou cosmologique du harem aux prostituées, au don inachevé.

Truffé de références culturelles, d’anecdotes, jamais auparavant un tel ouvrage d’une telle richesse et d’une telle densité n’avait vu le jour entre les pages. Avec la singularité qui le caractérise, Christophe Colera parle d’esquisse de son sujet. Il n’empêche, les sciences humaines par trop frileuses en ce qui concerne l’épiderme décliné sous toute ses coutures, Christophe Coléra expose son point de vue avec brio et comble enfin de ce fait un manque. Pour celles et ceux, qui comme moi le sujet passionne, vous pouvez aller toujours plus loin et partir de la bibliographie très complète que propose l’auteur en fin de son ouvrage.

Depuis que j’ai lu le livre de Christophe Colera, quand le Bartos m’emmène à la grande ville de Bordeaux sur sa moto, l’évocation du coiffeur pour dame me damne les morpions du côté de ma toison fournie. Je redresse la tête et ma colonne vertébrale suit le mouvement. Allez savoir pourquoi ! Puisque je me situe in situ dans la théorie évolutionniste que je partage avec Christophe Colera. Entre la primate à la fourrure et la nana à la peau lisse, mon poil dans la main balance !

La nudité Pratiques et significations de Christophe Colera, Éditions du Cygne, 188 pages de régal, octobre 2008.