Bertrand Tavernier ramollit de la cervelle

Bertrand Tavernier ramollit de la cervelle

Cinéaste exigeant, Bertrand Tavernier n’a pas non plus gardé sa langue dans la poche. Actuellement en promotion pour son dernier film, il intervient pour fustiger le téléchargement illégal sur Internet, l’accusant de tous les maux de notre société.

C’est d’ailleurs toujours sous l’angle social que Bertrand Tavernier nous montre sa vision du monde au fil de ses réalisations magistrales. Et il ne mégote pas sur le plaisir du cinéphile puisque Dans la Brume électrique, sa dernière œuvre, est présentée sous deux versions différentes ! D’accord, il y en a forcément une que nous ne verrons pas, dans la mesure où la première version est réservée au public des États-Unis, et la seconde est diffusée dans le reste du monde.

Tourné avec Tommy Lee Jones, les divergences rencontrées entre le réalisateur et ses partenaires américains pendant l’écriture du scénario et le tournage ont eu pour résultat les deux versions du film — 102 minutes pour l’américaine, 117 minutes pour la française. New Iberia, Louisiane : le détective Dave Robicheaux est sur les traces d’un tueur en série qui s’attaque à de très jeunes femmes. De retour chez lui après une investigation sur la scène d’un nouveau crime infâme, Dave fait la rencontre d’Elrod Sykes.

La grande star hollywoodienne est venue en Louisiane tourner un film, produit avec le soutien de la fine fleur du crime local, Baby Feet Balboni. Elrod raconte à Dave qu’il a vu, gisant dans un marais, le corps décomposé d’un homme noir enchaîné. Cette découverte fait rapidement resurgir des souvenirs de Dave. Mais à mesure qu’il se rapproche du meurtrier, le meurtrier se rapproche de la famille de Dave… La tension est à son comble dans la moiteur des bayous du pays sudiste.

Mais c’est avec le même souci de la provocation qui l’anime que Bertrand Tavernier confie à Ouest-France que le piratage des films rend les cervelles molles ! Pour lui, les films diffusés de façon clandestine sont de mauvaise qualité, bafouant le droit moral de leur réalisateur. Il justifie en outre son point de vue par les conséquences économiques que les pirates font subir à l’industrie du cinéma, avec du chômage à la clé : argument choc en ces temps de crise, s’il en est !

En effet, le pain doit être gratuit, la viande, les soins médicaux, les transports, l’hôpital, oui, mais je ne vois pas pourquoi un morceau de musique ou l’art devraient être gratuits… Étonnante prise de position, qui accorde plus de valeur aux productions de l’esprit qu’au fruit du travail manuel ! Ses débuts sous la direction de Jean-Pierre Melville ont marqué à jamais Bertrand Tavernier. Maître du film noir, dans la dénonciation de l’injustice humaine et sociale, le réalisateur de L’Appât et du Capitaine Conan en passant par Le Juge et l’Assassin et L’Horloger de Saint-Paul fait preuve d’une telle rigueur morale qu’il en oublie aujourd’hui qu’il est passé de l’autre côté de la barrière, dans le camp des nantis.

Il a beau expliquer au public que dans les années de galère, il allait jusqu’en Belgique pour voir les films qui n’étaient pas présentés en France… Soit, mais à presque 70 ans, Bertrand Tavernier ignore l’évolution du monde moderne et les lois du marché, pour lesquels la piraterie et la contrefaçon participent l’expression de la croissance économique. Aux riches le pain bien cuit et les brioches, les soins médicaux non conventionnés, aux pauvres gens le pain du supermarché, les urgences et la démerde !

Bertrand Tavernier ignore qu’il en est du cinéma comme des Rolex™… Les plus aisés consomment en toute légalité, quand les autres se fournissent sur le marché parallèle. Et puisqu’il faut toujours donner aux seconds le goût de l’aisance et du confort, afin qu’ils ne ménagent pas leurs efforts dans un sens positif et sans se révolter, la contrefaçon leur permet de patienter.